L’ancien technicien du poste national de la CRTV Radio, héros oublié du coup d’Etat manqué du 06 Avril 1984, d’après un opuscule de feu Ateba Eyene, nous a accordé un entretien à bâtons rompus.
Comment allez-vous Monsieur Gabriel Ebili ? Après la mort tragique de Charles Ateba Eyene, votre oncle maternel, on vous a presque perdu de vue...
Comme vous pouvez le remarquer sans doute par vous vous-même en me regardant, je ne vais pas bien, je me porte très mal à cause de mon dossier qui se trouve en ce moment bloqué au ministère des finances, plus précisément à la porte 338, chez un certain M Etoundi qui m’a formellement demandé de lui remettre 20 millions de FCFA… pour répondre donc plus brièvement à votre question, j’ajouterai aussi que j’ai des problèmes de santé et je souffre de faim.
Nous dévions même commencer par là, dites-nous quelques mots sur votre personne, qui est Gabriel Ebili ?
Je m’appelle Gabriel Ebili comme vous l’avez si bien dit. Né le 13 septembre 1957 dans un petit village qui se nomme Bibondi, localité située dans l’arrondissement de Lolodorf, département de l’océan, région du Sud Cameroun. Mon défunt père s’appelait Monsieur Ndong Emile, et ma feue mère, Madame Ntsam Créscence. Le jeudi 06 Avril 1982, lorsque le coup d’Etat contre le président Paul Biya est survenu, je travaillais- âgé de 27 ans à l’époque des faits- comme technicien au poste national. Pour la petite histoire, je fus parmi ceux qui avaient œuvré pour déjouer ce putsch.
A l’époque qu’aviez-vous donc fait concrètement ?
Désolé ! Je ne peux pas répondre à votre question, c’est un secret professionnel. Si un jour, le président Paul Biya me reçoit en audience, c’est à lui et à lui seul que je dévoilerai ce que j’avais fait.
Monsieur Gabriel Ebili nous ne vous demandons aucunement de violer le secret professionnel, décrivez-nous tout simplement la scène…
Ce matin du jeudi 06 Avril 1984 là, à 05 heures du matin, lorsque nous sommes arrivés à bord du car Hiace de couleur blanche (conduit par notre chauffeur Ebogo Ernest) qui effectuait habituellement le ramassage, le poste national était déjà pris par les mutins. A l’époque, la radio se fermait à 01 heure et les programmes ne reprenaient qu’à 06 heures du matin.
Au nombre de combien étiez-vous dans le car, ce jour là, si vous en avez souvenance ?
Nous étions au nombre de sept, il y avait : le journaliste aujourd’hui disparu, Epsi Ngum Emmanuel, l’animateur Hippolyte Nkengué, Johnny Mac Viban, feue Becky Ndive, Grâce Mokom, Jean-Materne Ndi et moi-même. Lorsque notre car est donc arrivé au portail du poste national, un mutin est sorti de la guérite, armes aux poings, et nous a intimé l’ordre de sortir du véhicule.
Qu’avez-vous fait à ce moment précis ?
Qu’auriez-vous fait à notre place ? Il fallait obéir et c’est ce que nous avons fait en descendant du bus. Et dés que nous sommes descendus, le mutin qui nous tenait en respect à l’aide de son arme, nous a demandé de nous étendre à plat ventre dans une mare d’eau qui se trouvait à proximité du parking.
Comment Gabriel Ebili s’est-il donc retrouvé à l’intérieur de la radio pour déjouer le coup d’Etat ?
Ne soyez pas pressé, j’en arrive ! Je me suis retrouvé à l’intérieur du poste national parce qu’un ancien technicien radio qui était entre-temps devenu militaire m’avait dénoncé auprès des mutins comme étant le technicien. Je sortais même d’une permission de trois jours qui m’avait été accordée par mes supérieurs hiérarchiques.
Quand les mutins sont venus vous chercher alors que vous étiez couché à plat ventre avec vos autres collègues, qu’est-ce qui s’est donc passé ?
Quand les mutins sont venus me chercher manu militari alors que j’étais couché dans une mare d’eau, ils m’ont emmené au hall du poste national où j’ai subi un interrogatoire musclé. Y étant, le lieutenant de gendarmerie Arona, le chef de la bande des mutins, un tireur d’élite, m’avait posé la question suivante : peux-tu coopérer avec nous ? Sous la menace des armes, j’avais répondu par l’affirmative. A la suite de cette question, les mutins m’ont aussitôt proposé une mallette de billets et un poste de responsabilité au sein de la radio, si jamais je m’acquittais loyalement de ma mission. Au fil de la conversation, mes interlocuteurs s’étant rendu compte du double jeu qui était le mien. Instruction avait été donnée de me traiter. C’est ainsi que j’avais été passé à tabac : crosses de fusil, coups de rangers, coups de poings, et tout ce que vous pouvez imaginer. Alors que je subissais la raclée, il me souvient d’ailleurs qu’un sergent-chef de l’armée de terre, un mutin, m’avait clairement dit que je marcherai nu comme une « vasse », c’est-à-dire une vache. Après la bastonnade, les mutins m’ont donc relevé de force et conduit vers la cabine, au lieu-dit cœur de la nation ou CDM, c’est-à-dire centre de distribution de modulation. Pendant qu’ils me marquaient au pas, mes ravisseurs m’ont donc conduit jusqu’aux émetteurs, que j’ai bien évidemment mis en marche les uns après les autres. J’étais escorté comme un président par des hommes prêts à dégainer.
Dés que vous avez donc mis les émetteurs en marche qu’est-ce qui s’est
concrètement passé ?
Après avoir mis les émetteurs en marche, je suis revenu au CDM, après le centre de distribution de modulation je suis retourné à la cabine mère 105 pour le démarrage des programmes.
Allez-y donc, racontez-nous…
J’ai donc ainsi mis tous les indicatifs de la radio en état de fonctionnement. Après coup, j’ai mis la musique militaire.
Un détail important manque à votre narration, de qui avez-vous reçu la bande, je veux parler de la musique militaire, appartenait-elle à la radio ?
Bien évidemment non ! La bande venait de l’ancien technicien radio qui était entre-temps devenu militaire et putschiste, c’est lui-même qui me l’avait remise. Ce Monsieur est toujours en vie hein ! Il habite le quartier Briqueterie, mais je ne donnerai pas son nom.
Par la suite que s’était-il donc passé ?
C’est étant entouré de mutins que j’avais reçu un coup de fil. Il venait du sous-directeur technique, un certain Samba, un anglophone. Au bout du fil, il me demandait justement pourquoi il y avait retard dans le démarrage des programmes. Puisque mon chef hiérarchique n’était pas au courant de la situation, je lui avais aussitôt informé qu’il s’agissait d’un coup d’Etat.
Comment avez-vous pu décrocher alors que les mutins étaient à vos côtés,
mais ils auraient bien pu vous tirer dessus…
Ça ne pouvait pas être le cas, puisque les mutins avaient besoin de moi. Toutefois, je devrais vous dire que ce sont les choses de Dieu. Lorsque l’un des hommes m’a posé la question de savoir à qui je parlais, je lui ai rétorqué que je parlais à mon épouse.
Allons tout droit au but, continuez…
Pendant que nous étions donc là, M. Jean-Vincent Tchienehom le sous-directeur des programmes radio est entré. Alors que toute la radio était encerclée, il m’a posé la question suivante : « M. Ebili comment faire ? Va prendre le magnétophone, Nagra 4 -uniquement réservé aux enregistrements du président de la république, et sans trop savoir comment, je ne l’avais pas obéi. Par la suite, j’ai appris que sous la menace des armes et escorté comme un président, mon patron de l’époque avait été donc contraint d’aller enregistrer le discours du nouveau président au camp Yeyap. Quand tout le monde est revenu à la maison de la radio, il était question que je fasse diffuser la bande, c’est-à-dire, le discours du chef des mutins sur l’ensemble du territoire national. Avant cela, dés que les mutins étaient partis enregistrer le discours, j’avais pris sur moi de mijoter un petit quelque chose à l’insu du petit groupe qui m’avait presque laissé travailler.
Qu’avez-vous donc fait du discours du chef des mutins ?
(Rires) Ce que j’avais pensé plus tôt… je ne l’ai fait diffuser qu’à Yaoundé jusqu’à Mbalmayo. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le président Paul Biya est encore au pouvoir.
Feu Ateba Eyene disait justement que le chef de l’Etat avait ordonné une reconstitution de votre carrière, il racontait également à qui voulait l’entendre que le président Biya avait fait débloquer 80 millions de FCFA pour vous récompenser de cet acte de bravoure…
C’est le directeur adjoint du cabinet civil, M. Le Joseph qui me l’avait appris de sa propre bouche alors qu’il me recevait en sa résidence ici même à Yaoundé au quartier Biteng. Je le soupçonne d’avoir détourné mon argent. Aujourd’hui, il refuse de me recevoir. Mon fils ! Acceptez que je vous appelle ainsi, j’ai fait le tour des cabinets des ministres. Touna Mama, le conseiller du premier ministre m’avait même publiquement injurié, il en est de même de Grégoire Owona qui a refusé de me recevoir au bureau et chez-lui. Il ne m’appartient pas de chercher le président Paul Biya, c’est à lui de me chercher.
M. Gabriel Ebili, Paul Biya n’est pas un homme ordinaire, c’est un chef
d’Etat…
Vous avez raison, c’est la raison pour laquelle je me suis rendu au palais le 1er Avril dernier. Mais je n’y retournerai plus jamais, parce que c’est un capitaine, un ressortissant de l’Est qui m’a sauvé la vie. Papa ! m’a-t-il dit, nous avons reçu des instructions fermes ici à propos de vous, il nous a été demandé de boucler toutes les issues. Je crains vraiment pour ma vie, d’autant plus que je reçois des menaces de
mort.
Revenons sur l’épilogue du coup d’Etat, qu’est-ce que les mutins ont fait dés qu’ils se sont rendu compte que vous les avez bernés ?
J’ai failli y laissé ma peau, d’autant plus que j’étais recherché par les deux camps. Il me souvient d’ailleurs que j’avais été également copieusement battu par les hommes du colonel Pierre Samobo, qui une fois la radio reprise par les forces loyalistes, m’avaient demandé: «Où est-il ?». A l’époque, j’avais aussi rencontré le capitaine de gendarmerie Ivo Desancio, c’est lui qui portait le discours du président Paul Biya. Avant de clore notre entretien, je voudrais remercier du fond de mon cœur le DGSN Martin Mbarga Nguelé, ainsi que le directeur de la DGRE Léopold Maxime Eko Eko. Le Ministre de la communication Issa Tchiroma est un hypocrite… un jour, il m’a reçu dans son bureau de 18 heures à 24 heures, au moment où je repartais, il ne m’a donné que quatre mille francs, c’est-à-dire deux billets de deux mille francs CFA. Avant de nous quitter, je voulais vous informer que je serai l’invité d’Ernest Obama votre confrère de Vision 4, ce vendredi 17 Avril 2015 autour de 22 heures.