Route Ayos-Bonis: L'étrange dossier de Messengue Avom au TCS

Sun, 5 Apr 2015 Source: 237online

L’ancien ministre des Travaux publics est mis en examen pour des dépassements de coûts lors de la construction d’Ayos-Bonis, pourtant la moins chère de ces dix dernières années au Cameroun.

En novembre 2014, l’ancien ministre des Travaux publics, Bernard Messengue Avom a été entendu par les officiers du corps spécialisé de police judiciaire du Tribunal criminel spécial (TCS).

On ne savait pas jusqu’ici quelles étaient les accusations retenues par le TCS, même si chacun subodorait qu’elles avaient trait au rapport 2010 de la Commission anti-corruption (CONAC) qui avait chargé Bernard Messengue Avom au sujet de la réalisation de la route Ayos-Bonis.

La commission Garga Haman, qui avait travaillé sur ce tronçon routier, avait indiqué que le premier lot Ayos-Abong Mbang (long de 88 Km) et attribuée à l’entreprise Pantechniki avait été construit en 66 mois au lieu des 25 mois prévus à l’attribution du marché.

Le second lot, Abong Mbang-Bonis, long de 103 kilomètres, attribué aux entreprises Pantechniki/Edor Eter, avait été réalisé en 56 mois au lieu de 30. Les avenants signés pour ces rallonges de délai ont occasionné, selon le rapport Garga Haman, des malversations financières au niveau du maitre d’ouvrage, le ministère des Travaux publics, de plus de 26 milliards de F CFA.

Le rapport de la CONAC avait été transmis à la justice, mais fait curieux, de toutes les personnalités citées dans diverses autres affaires par cette institution, seul le dossier Bernard Messengue Avom connaît une suite judiciaire. Comme si une main invisible veillait sur le sort de ce diplômé de l’Enam, sorti du gouvernement en décembre 2011 à la suite de la polémique suscitée par les conclusions de la CONAC.

Accusée de malversation et de dépassement de coûts dans l’exécution des travaux de cette route, l’ancien ministre des travaux publics va recevoir, huit mois après son limogeage, un hommage « posthume » lors de son inauguration par le Premier ministre. Les conclusions du gouvernement sont que la route Ayos-Bonis est la moins chère exécutée ces dix dernières années au Cameroun.

Soit 342 millions le kilomètre pour le premier lot Ayos-Abong Mbang et 353 millions pour Abong Mbang-Bonis contre une moyenne de 483 millions le kilomètre pour les autres projets routiers tels Zoétélé-Nkolyop (598 millions/km), Numba-Bachuo Akagbe (834 millions/km) ou encore Nandeke-Mbere (498 millions/km. « Il y a donc lieu de relativiser certaines de nos prises de position antérieures et d’identifier les véritables raisons qui auront impacté négativement ce projet », glissera Patrice Amba Salla, ministre des travaux publics, successeur de Messengue Avom.

Etudes bâclées, quantités sous-évaluées

Seulement, la justice est saisie de l’affaire et doit à présent se prononcer. Elle a retenu trois accusations pour lesquelles le corps spécialisé de la police judiciaire enquête. La première accusation est relative au « financement épuisé sans réalisation à terme du marché ».

En effet, les travaux du premier lot Ayos-Abong-Mbang démarrent le 3 mars 2005 pour une durée initiale de 25 mois. Mais la réception provisoire n’interviendra que le 14 septembre 2010. Cet élargissement de délais entraîne ipso facto un alourdissement des coûts. De 16,3 milliards, le marché coûtera finalement 29 milliards toutes taxes comprises. La commission Garga Haman de la CONAC se jette sur ces données et conclut à des malversations.

Le fait est que, note l’audit indépendant publié par le cabinet Scet Tunisie en mars 2012, « plusieurs insuffisances relatives aux études ont été notées.

» Achevées en 2000, elles n’ont pas été actualisées lors du démarrage du projet en 2005. De plus, le bureau d’études Ecta-Btp/Sadeg a sous-estimé les délais de démolition des cases, de déplacement des tombes, des déblais meubles, les purges et remblais d’emprunt, etc. Dans cet audit indépendant, le cabinet d’expertise tunisien révèle, dans le jargon, que les études avaient largement sous-estimé la réalité.

De plus, Pantechniki, l’entreprise choisie en 2004 pour la réalisation des travaux, l’avait été de manière irrégulière, car présentant dès le départ des insuffisances criardes.

Les bailleurs de fonds refusent d’allonger

Financée, en plus des fonds publics camerounais, par deux bailleurs de fonds étrangers, le Fonds koweitien de développement économique (FKDE) et la Banque arabe pour le développement économique de l’Afrique (BADEA), la route Ayos-Abong Mbang enregistre aussi quelques changements très coûteux. A cause des retards accusés, l’entreprise demande une compensation financière de 450 millions. Et à cause de l’actualisation des prix, l’ardoise s’alourdit de 2,25 milliards.

Pourtant, les bailleurs de fonds refusent de payer le surcoût. D’août 2008 à juillet 2009, l’entreprise suspend les travaux, qui reprendront après la signature autorisée par le Premier ministre d’un marché complémentaire après les trois premiers avenants pour rattraper les insuffisances de départ du projet. Fait notable, le marché complémentaire est signé en régularisation après six mois d’activité de l’entreprise, que le ministre des Travaux publics avait encouragée à travailler pendant la période des discussions. La CONAC considèrera toutes ces contingences fort compréhensibles comme des malversations estimées par elle à 13 milliards.

Le second lot Abong Mbang-Bonis fait l’objet des quasi-même problèmes qui conduisent à un dépassement des délais et des coûts. D’une longueur de 103 km, les travaux, financés par les mêmes bailleurs, démarrent en août 2006 et ne s’achèvent que plus de cinq ans plus tard alors que la durée contractuelle était de 30 mois pour 21 milliards de francs CFA. Le coût final sera de 28 milliards hors taxes au terme de plusieurs avenants et d’un marché complémentaire. Dans les mêmes conditions d’expérience, les mêmes causes produisent invariablement les mêmes effets.

L’intelligence des décisions

La deuxième accusation du TCS porte sur la « non application des pénalités de retard à l’entreprise, d’où une perte de 4 milliards. » De fait, Pantechniki avait été choisie en 2003dans des conditions de distorsion des règles en matière de passation des marchés publics, plusieurs mois avant la nomination de Messengue Avom. Quand il arrive aux Travaux publics le 22 septembre 2006, les choix sont faits, mais il est clair que Pantechniki éprouvera toutes les peines à réaliser les deux tronçons du projet : ses capacités techniques ayant été surévaluées et son offre technique ayant été insidieusement sous-évaluées.

Messengue Avom se retrouve devant un dilemme : infliger des pénalités à l’entreprise ou même résilier le marché et compromettre la construction de la route ou alors engager des négociations avec le prestataire pour sauver le projet. L’ancien Mintp fait le second choix. « Les pénalités ne sont pas une fin en soi, la réalisation de la route était le job du ministre des Travaux publics », soutient un ingénieur du ministère ayant travaillé sur ce projet.

La dernière accusation indique que Messengue Avom a permis à Pantechniki d’exploiter la carrière de Bent dédié au second lot (Abong Mbang-Bonis) pour les travaux du premier lot (Ayos-Abong Mbang), en payant à l’entreprise des frais de transport pour ce changement de site. En effet, Pantechniki avait produit des études montrant que la carrière d’Atok était de mauvaise qualité. La contre-expertise du Labogenie a partiellement confirmé les conclusions du prestataire.

Le Labogenie demandait des études complémentaires sans être sûr qu’elles établiraient une meilleure roche en profondeur. En tout état de cause, la mauvaise qualité des études, de la responsabilité de l’Etat, le prédisposait à payer des dommages et intérêts de 2 milliards de francs CFA au prestataire. Messengue Avom choisit d’autoriser l’entreprise à exploiter la carrière de Bent et de payer la plus-value de ce changement de site à Pantechniki, qui revenait bien moins cher et faisait gagner un temps considérable.

Chasse aux sorcières?

Enfin, le TCS objecte que l’ingénieur du marché était entretenu par le prestataire Pantechniki. Effectivement, les marchés publics financés par les bailleurs de fonds (BAD, Banque mondiale, BADEA, etc.) prévoient un soutien logistique à l’ingénieur du marché à condition qu’il ne dépasse pas 3% du marché. Or les agents de l’administration chargés du suivi avaient perçu 214 millions environ soit 0,4% du coût total des deux lots. C’est davantage une facilité de caisse qu’un acte de malversation.

Plusieurs autres projets de route ont fonctionné sur le même mode.

La route Ayos-Bonis constitue un cas d’école pour le gouvernement. D’être arrivé au terme de ce projet avec des coûts aussi maîtrisés est une victoire gouvernementale. C’est aussi la preuve que des décisions pas forcément procédurales ont été prises dans un souci d’efficacité et d’atteinte des résultats. Ce qu’il faut craindre c’est que cette affaire ne cache en réalité une chasse aux sorcières qui viserait à briser un homme promis à une belle carrière.

Source: 237online