« J'ai un code d'honneur et un sens de la responsabilité historique qui me commandent de préserver ma dignité et ma parole», a déclaré le président lundi soir dans un message à la nation. Mais cette décision laisse un vide politique qui suscite des interrogations auprès des observateurs et analystes politiques.
La crainte du ''Syndrome Ouattara''
Lors de son message à la nation, le président sénégalais n'a pas désigné un dauphin pour la présidentielle de février 2024. Pour certains observateurs, cela n'est pas sans risques.
''On a vu le syndrome Ouattara en Côte d'ivoire. Un président peut renoncer à sa candidature et revenir sur sa décision en l'absence d'un dauphin'' a déclaré à la BBC, Pr Ogo Seck, Professeur titulaire de classe exceptionnelle, agrégé en droit et science politique.
Le politologue fait remarquer que la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY) qui a porté le président Macky Sall à la tête du pays n'a pas un ''Numéro 2'' qui peut valablement défendre les couleurs de la coalition au prochain scrutin présidentiel.
Selon l'analyste Alioune Ndiaye, aucun de ces cadres de l'APR ne pourra remporter la présidentielle au premier tour sans le soutien majeur de l'actuel chef de l'Etat.
Selon lui, le président Macky Sall doit rapidement désigner son dauphin et s'investir de façon personnelle dans la campagne du candidat.
''Si aujourd'hui, l'Apr prend le risque d'organiser les primaires, le parti va s'éclater. La seul perspective qui s'offre à eux à huit mois des élections, c'est que Macky Sall désigne un candidat et qu'il fasse tout le travail de diplomatie souterraine pour que tous les leaders et partis significatifs de la coalition Benno Bokk Yakaar soutiennent ce candidat'' précise-t-il.
Ousmane Sonko, le ''grand perdant'' ?
Si la fumée blanche semble apparaitre pour Karim Wade et Khalifa Sall, la situation reste confuse pour l'un des leaders de la coalition de l'opposition Yewwi Askan wi.
Arrivé troisième lors de la présidentielle de 2019, Ousmane Sonko est aussi sous le coup d'une condamnation à deux ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse. Contrairement à Khalifa Sall, il n'a pas encore purgé sa peine. Sa candidature reste compromise.
L'analyste Alioune Ndiaye, déclare que le président du parti Pastef reste le ''grand perdant'' après la décision de Macky Sall de ne pas se représenter en 2024.
'' Ousmane Sonko est le grand perdant parce qu'il a boycotté le dialogue national et donc les conclusions de ce dialogue ne sont pas obligées de prendre en compte son cas. Il va se retrouver isolé de l'espace politique''.
Il ajoute que Ousmane Sonko risque d'être aussi ''isolé dans la hiérarchie des problèmes des Sénégalais''.
'' Le grief principal que les Sénégalais pouvaient porter contre Macky, c'était de se présenter pour un troisième mandat. Aujourd'hui, mis à part ses partisans, pour le commun des Sénégalais, la participation ou pas de Sonko à l'élection présidentielle n'est pas un enjeu majeur'' précise-t-il.
Pour le parti PASTEF dirigé par Ousmane Sonko, il n'est pas question d'une élection présidentielle sans la participation de leur leader. Birame Soulèye Diop, président du groupe parlementaire de la coalition Yewwi askan wi dont Pastef est membre, se veut formel : "Dakar a dormi quand Macky Sall a déclaré sa non candidature. Dakar ne dormira pas si Ousmane Sonko est empêché d'être candidat."
Aminata Touré
L'ancienne première ministre est la première femme qui s'est déclarée candidate pour la présidentielle de 2024.
Mimi comme elle se fait appeler au Sénégal était une proche du président Macky Sall. Mais le ''divorce'' a été consommé avec le chef de l'Etat au lendemain des législatives de 2022.
Celle qui était la directrice de campagne de la coalition Benno Bokk Yakaar pour ce scrutin législatif pensait occuper la présidence de l'Assemblée nationale. Mais le chef de l'Etat a jeté son dévolu sur Amadou Mame Diop.
En signe de protestation, Mimi quitte le groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar, rejoignant les députés non-inscrits. Elle a finalement été déchue de son poste de député après un vote du bureau de l'Assemblée nationale en janvier 2023.
La militante pour les droits de l'homme vole désormais de ses propres ailes avec le Mouvement pour l'intégrité, le mérite et l'indépendance (Mimi) qu'elle a créé après son départ de la coalition au pouvoir.
Pour devenir la première présidente de l'histoire du Sénégal, Aminata Touré va tenter de focaliser sa campagne sur les femmes et les jeunes.
Les Outsiders
Plusieurs autres candidats devront faire face aux poids lourds de la présidentielle de 2024.
Même s'ils ne joueront peut-être pas les premiers rôles, leurs choix seront cruciaux en cas de deuxième tour.
Boubacar Camara, ancien directeur général des Douanes sénégalaises et avocat, il a été secrétaire général du ministère dirigé par Karim Wade. Il s'est engagé dans l'opposition politique depuis mai 2018. Il est consultant international.
Malick Gakou, du Grand Parti, qu'il a fondé en 2015 après son exclusion de l'AFP de Moustapha Niasse dont il était le numéro deux.. Il a été ministre des Sports en 2012, puis ministre du Commerce, de l'Industrie et du Secteur informel. Il a fait ses études en Pologne et il est administrateur de sociétés.
Déthié Fall, coordonnateur de la principale coalition de l'opposition Yewwi Askan Wi, est l'un des candidats à suivre de près lors du scrutin. L'ex-bras droit de Idrissa Seck, désormais à la tête de son propre parti, Parti républicain pour le progrès (PRP) est aujourd'hui l'un des principaux leaders de l'opposition sénégalaise.
Bougane Guèye Dani, patron du groupe de presse D-Média (Sen Tv, Zik Fm…), Boubacar Camara, le leader du mouvement politique sénégalais Jenggu, Professeur Mary Teuw Niane, ancien ministre de l'enseignement supérieur tenteront également de séduire les électeurs.
Thierno Alassane Sall, ancien ministre et membre fondateur du parti Apr de Macky Sall et Dr Abdourahmane Diouf, président du parti Awalé sont aussi engagés dans la course présidentielle.
Pour tous ces candidats, le premier écueil à franchir sera celui des parrainages. Chaque candidat devra recueillir au moins les parrainages de 0,8 % du fichier électoral pour être éligible, entre autres critères.
La décision du président Macky Sall redistribue les cartes au niveau de la scène politique sénégalaise. Son retrait ne manquera pas d'aiguiser l'appétit au sein de la majorité présidentielle et de l'opposition.