Les actions menées par les ministères camerounais des Finances, du Commerce et de l’Economie en matière d’exports sont en opposition.
Alors que les recettes d’exportation du pays sont en baisse continue depuis 2014, des experts et acteurs du secteur plaident pour plus de cohérence et de coordination. Au lendemain de sa nomination, le 02 mars 2018, comme ministre des Finances (Minfi), Louis Paul Motaze a reconnu, lui-même, que l’un de ses défis majeurs serait de trouver un juste équilibre entre la nécessité de mobiliser davantage les ressources intérieures et celle de promouvoir le secteur privé.
Pour l’instant, le Cameroun peine à concilier avec efficacité les deux objectifs. Et l’ancien ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat) est bien placé pour le savoir. Convaincu que la solution à la crise des devises que traverse les pays la Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale (Cemac) passe par la diversification des économies de la région, Louis Paul Motaze place, en fin du mois de janvier, la conférence annuelle des responsables du ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire sous le thème de l’accélération de la diversification de l’économie. A l’occasion, ce dernier explique qu’il s’agit à la fois de multiplier les volumes et les types de produits d’exportation et de les transformer davantage avant leur commercialisation sur le marché international.
Dans son rapport sur le commerce extérieur en 2017, publié en février dernier, l’Institut national de la statistique estime en effet que «les exportations demeurent très peu diversifiées et sont constituées principalement de produits primaires». Conséquence, les recettes d’exportation sont en baisse continue depuis 2014, date du début de la chute des prix sur le marché international de certaines matières premières comme le pétrole.
Contradictions
«Il faut que nous travaillions à faire qu’il y ait davantage de produits de sorte que les effets de la baisse d’un produit soit plus ou moins compensés par la bonne tenue du prix des autres... C’est aussi bien de noter qu’au même moment où le prix du Cacao baisse sur le marché international, le prix du chocolat ne baisse pas. Ça veut dire que ce que vous vous produisez et exportez brut voit son prix chuter (c’est-à-dire que vous êtes moins rémunérés) mais dès que le produit est transformé ailleurs, il vous est vendu au prix le plus élevé», indique le ministre pour mieux illustrer l’enjeu.
Pour y répondre, il annonce pour cette année, le renforcement du rôle du secteur privé (notamment des entreprises exportatrices): lancement de la politique de soutien aux champions nationaux, appuis à l’amélioration des process de production et financement du haut de bilan des entreprises sont placés au centre des priorités de l’action du Minepat pour cette année. Mais pour nombre d’exportateurs, cette politique volontariste affichée par Louis Paul Motaze est contrariée par la politique fiscale menée sous la conduite du ministère des Finances que dirigeait jusqu’au 02 mars Alamine Ousmane Mey, avant d’être nommé Minepat.
«On ne peut pas comprendre qu’on soit en train d’encourager les exportations et qu’on demande de payer une taxe à l’exportation du savon en donnant l’impression que la matière première qui est importée est réexportée», fulmine Jacquis Kemleu, le secrétaire général de l’Association des raffineurs des oléagineux du Cameroun (Asroc), l’une des rares filières d’exportation de produits transformés du pays. Afin d’atteindre les objectifs de mobilisation de ressources intérieures fixés dans le programme d’ajustement conclu avec le Fonds monétaire international en juin 2017, la loi de finances 2018 a instauré des taxes à l’exportation ou réévaluées celles qui existaient déjà.
Il est par exemple désormais exigé aux exportateurs de savons de ménage «généralement fabriqué au Cameroun sur la base de l’huile de palme brute importée le plus souvent en exonération totale ou partielle, en fonction des politiques et programmes gouvernementaux», de procéder, avant toute exportation, «au paiement de la fraction ou de la totalité des droits et taxes non liquidés lors de l’importation» de l’huile de palme. Cette disposition met en rogne les acteurs de la filière. «Le savon est produit à partir d’un sous-produit qu’on appelle la stéarine (obtenu après le fractionnement de l’huile de palme brut). Vous valorisez le sous-produit et on vous dit que vous avez réexporté la matière première?», s’interroge Jacquis Kemleu avant de mettre en garde : «ça c’est une question qui est suffisamment grave et qui risque de briser à jamais la volonté de conquérir de nouveaux marchés».
Agence des exportations
Même au ministère du Commerce, département ministériel dirigé par Margloire Mbarga Atangana, ces taxes à l’exportation sont décriées. «Nous qui mettons en œuvre le programme «développement des exportations», nous ne pouvons pas être pour les taxes à l’exportation. On est là dans une contradiction. On ne peut pas promouvoir et mettre les taxes au même moment. Donc, il est question de travailler de manière coordonnée pour qu’il y ait une cohérence de la politique publique qui est censée être mise en œuvre», commente Narcisse Ghislain Olinga.
Le sous-directeur des échanges commerciaux au ministère du Commerce s’est exprimé à l’occasion de la conférence annuelle des responsables du Minepat. A bien écouter ce haut cadre, les problèmes de cohérence et de coordination sont plus profonds. «La stratégie nationale des exportations du Cameroun, élaborée en 2015 sous les auspices du Minepat, s’est donnée pour objectif de doubler nos exportations à l’horizon 2035 en se basant sur une approche par filière (Cacao, coton, bois...).
Par contre, le programme «développement des exportations», que nous mettons en œuvre au ministère du Commerce, est basé sur l’approche par destination selon le triptyque intégration régionale, intégration des marchés émergents et consolidation de notre présence sur les marchés traditionnels (Union européenne, Etats-Unis...).», fait observer le fonctionnaire. Son collège Gilbert Mbipan Kwachuh, également présent lors de cette conférence, pointe pour sa part «une politique publique dispersée entre plusieurs institutions et multitudes de document prospectifs». Il en dénombre une vingtaine allant de la «Vision Cameroun 2035» à l’«Evaluation sur la base documentaire du potentiel du Cameroun dans le secteur agricole».
Pour Narcisse Ghislain Olinga, «il y a donc nécessité, urgence même, de mettre en place l’Agence de promotion des exportations qui avait été prévue depuis 2002 dans le cadre de la charte des investissements». Selon lui, «cette agence devrait piloter, coordonner... la politique nationale du commerce extérieur avec un déploiement qui serait véritablement tentaculaire. Elle s’occuperait des questions de financement, de dynamisation de notre appareil d’exportation...». La recommandation a été reprise dans le rapport général de la conférence. Mais qu’en fera-t-on? Le temps permettra de répondre à cette question.