À deux semaines de la présidentielle, l’analyste politique met en garde contre les querelles fratricides de l’opposition. Pour Benjamin Zebaze, seule une entente entre Issa Tchiroma et Bello Bouba — ne serait-ce que pour le contrôle des votes — peut empêcher le régime de Paul Biya de triompher sans effort.
Il faut clarifier les choses avant le 12 octobre Avant tout, je vais bomber un peu le torse pour rappeler le fait d'avoir été le premier, dans nos échanges ici, à miser sur les candidats du Grand Nord pour poursuivre notre lutte en faveur du changement : aujour- d'hui tout le monde s'accorde à reconnaître cette évidence. On ne peut pas avoir assisté à toutes les élections présidentielles pluralistes dans ce pays et continuer à ne rien tirer de nos erreurs. Paul Biya et son Rdpc trichent depuis des années ; mais sommesnous sûrs d'avoir à chaque fois amé- lioré notre stratégie ? Notre tac- tique ?
1- Ce fameux problème de coalition
Prenons ce problème de coalition : chacun lui a donné la définition qu'il voulait, oubliant qu'en essayant de marier la carpe et le lapin, on ne peut rien obtenir de bon. D'ailleurs quelle coalition efficace était-elle possible entre 11 candidats aux objectifs aus- si disparates ? Dans un pays en proie aux rivalités communautaires, j'ai toujours pensé que mon candidat, Maurice Kamto, devait s'allier à une personnalité ou des personnalités fortes dans le Grand Nord pour avoir de réelles chances de gagner. On peut pérorer à longueur de journée mais sans cet- te vaste zone, aucun destin présidentiel n'a de réelles chances de suc- cès. Hélas, Kamto a été sorti du jeu : qui- conque maîtrisant notre carte élec- torale, savait ou sait que le salut de ce pays ne pouvait venir que du Grand Nord. Le problème est que ce "salut" est incarné par deux personnalités que certains dans le Sud méprisent, alors que ce sont des icônes dans leur zone géographique : comme je le rappelle régulièrement, leurs héros ne sont pas les nôtres et nous n'avons aucune légitimité pour les juger. Il y a, malheureusement, un de trop. Il fallait par conséquent trouver quelques "go between" pour essayer de trouver un accord minimum entre les deux. De l'extérieur, j'ai constaté, comme beaucoup d'entre vous, qu'alors que Maurice Kamto essayait une inter- mediation, on a introduit un loup dans la bergerie qui a utilisé des méthodes quasi fascistes afin d'im- poser Tchiroma à Bello : ce n'est pas sérieux, quel que soit ce qu'on peut penser du président de l'Undp.
2- En toute chose, il faut être juste BENJAMIN ZEBAZE Lorsque Bello s'indigne, on lui tire dessus. Il faut que les choses soient claires : on n'arrivera à rien sans être juste ; sans tenir compte des aspira- tions de l'autre. Par exemple : Si j'étais Kamto, j'aurais décidé, exactement comme lui, d'ac- corder la liberté de vote à mes sup- porters : c'est le contexte qui veut ça. Nous devons cependant respec- ter ceux qui pensent le contraire. Si j'étais Bello, jamais je n'aurais accepté de me ranger, sans accord négocié, derrière Tchiroma parce qu'un plaisantin sorti de nulle part l'aurait suggéré. J'aurais expliqué que de tous les candidats, à l'exception de celui du Rdpc, personne ne pos- sède un "appareil" électoral plus puissant que le mien ; j'exigerais par conséquent un minimum de respect. À la place de Tchiroma, je refuserais de m'aligner, sans conditions, derrière Bello en arguant le fait que la dynamique étant de mon côté, tout le monde devrait se ranger derrière moi. Nous, supporters de Maurice Kamto, aurions-nous accepté qu'à deux mois de l'élection, un candidat originaire de l'Ouest qui vient de se mettre "sur le marché" nous deman- de de laisser tomber Maurice Kamto pour le rejoindre sous prétexte qu'à la surprise générale, il lève les foules ?
3- Le pouvoir jubile Or, que constatons nous ?
Une tentative d'humiliation d'un candidat qui pèse "lourdement" dans au moins quatre Régions du pays, n'en déplaise à certains. Dès le départ, j'ai indiqué que mon "mon bon diable" était Issa Tchiroma : là n'est pas le problème. Mais que ceux qui connaissent un peu la carte électorale m'explique comment, sans un minimum d'accord avec Bello Bouba, il pourra contrôler les votes sur tout le territoire. Je suis certain que ceux qui crient partout "je vote Bello" ou "je vote Tchiroma", sont incapables de me donner le nombre approximatif des bureaux de vote dans ce pays : combien de candidats le savent d'ailleurs ? Or, c'est là la clef du vote. Plutôt que d'essayer d'organiser une bataille entre partisans de Bello et ceux de Tchiroma, tous ceux qui ont une emprise sur les deux protagonistes doivent se battre pour qu'ils signent un "gentlemen agreement" et que "chacun pour soi, Dieu pour tous", après mutualisation des moyens nécessaires au contrôle des votes. Nous sommes en train de faire le jeu du Rdpc qui n'a même plus besoin de faire campagne tant nous la faisons pour lui avec cette façon de diviser ce qu'il faut unir afin d'envisager une victoire, qui risque de passer par un trou de souris. Cette façon aussi que nous avons de mépriser les candidats du Grand Nord en expliquant qu'ils n'ont jamais compatis à nos malheurs passés, est totalement contre productrice et incroyablement injuste. Ils peuvent aussi nous rétorquer que lorsqu'ils ont été massacrés en 1984, ils ne nous ont pas beaucoup vu ni entendu. Le passé est passé et nous devons nous intéresser au futur immédiat.
4- Les urgences
Nous sommes à deux semaines du scrutin : c'est court mais beaucoup de choses peuvent se passer dans un tel laps de temps : Bello et Tchiroma doivent cesser de perdre du temps pour essayer de rallier des partis bidons qui dès la fin du scrutin, vont défendre les thèses du pouvoir. Les électeurs les attendent sur le terrain ; sauf miracle, aucun ne se ralliera à l'autre quoiqu'en politique, rien n'est jamais définitif : mais nous en pre- nons acte. S'ils sont patriotes ; s'ils veulent laisser une trace dans notre histoire, qu'ils mettent en place une structure commune informelle qui pourra contrôler les votes car c'est là où se passent "les vrais choses". Si un accord sur l'après élection pou- vait être trouvé, ce serait la cerise sur le gâteau puisqu'il ne faut pas perdre de vue les décisives pro- chaines élections locales...
5- Mon petit rôle
Je suis dans l'impossibilité d'indiquer mon choix pour l'un ou l'autre pour ne pas ajouter le désordre au désordre. Je vais adopter une attitude originale en soutenant les deux candidats et j'invite les Camerounais à choisir l'un ou l'autre car ce sont les seuls qui peuvent réellement exister au cours de cette capitale élection. Croire qu'on peut exclure l'un et récupérer le vote de ses militants c'est faire preuve d'une incroyable "myopie" politique car de telles "forces" ne s'additionnent pas. L'ob- jection 1er, il ne faut pas s'y tromper, est d'assécher les voix du Rdpc dans le Grand Nord, à l'Est, à Yaoundé, à l'Ouest, dans le Littoral... C'est pos- sible si nous ne nous trompons pas d'adversaire. Je souhaite que l'un des deux gagnent, non pas parce que j'ai confiance en eux, mais parce qu'ils drainent le type de foules qui per- mettent des victoires électorales.
6- Le rôle capital des scrutateurs
Je suis obligé de revenir sur ce point parce que c'est facile de rester tran- quille chez soi et donner des leçons à ceux qui mouillent le maillot sur le terrain. Sur ce plan, deux choses me parais- sent capitales : Si un candidat n'a pas assez de scrutateurs, il lui est impos- sible de contrôler les votes. Pour le moment, la réalité est qu'après le Rdpc qui utilise toute la fonction publique, seule l'Undp peut rivaliser dans le Grand Nord et à l'Est. C'est pourquoi je répète que si d'aventure Tchiroma et Bello allaient jusqu'au bout de leur candidature, il faudrait qu'ils s'entendent pour mettre en place une force commune dédiée à cet objectif. On va voir qui acceptera de les aider en acceptant le poste bénévole de scrutateur, qui n'est pas uniquement réservé aux jeunes, pauvres, indigents ou gueux. On ne gagne pas une telle élection sans moyens financiers : j'invite donc les équipes des candidats à diffuser massivement les informations per- mettant à chacun d'apporter son "obole" à la cause. Si vous n'aidez pas en tant que scrutateurs ; si vous ne contribuez pas financièrement ; si vous êtes incapables d'apporter votre expertise aux candidats, ayez la décence de ne pas critiquer des candidats qui ont le courage d'af- fronter un "ogre" aux moyens quasi illimités.
7- Ai-je totalement confiance en Tchiroma et en Bello ?
Il faut être un crétin, un imbécile, un naïf ou un benêt pour croire aveugle- ment à un homme politique quel qu'il soit. Dans une élection comme celle qui approche, on procède par élimination. Mon candidat était Kamto à l'origine : ensuite Tchiroma ou Bello. S'il n'y avait pas ces deux-là, j'aurais choisi la veuve Njoya... Entre deux maux, il faut toujours choisir le moindre et comme me disait mon père, un homme sage : "si tu veux aller vite, à défaut du cheval, tu prends l'âne"