Yacine Bal est aujourd'hui une mère de famille épanouie. Pourtant en 2015, elle a vécu une grossesse traumatisante.
Alors jeune mariée, sous implant contraceptif et maman d'une petite fille de 7 mois qu'elle allaitait encore, Yacine Bal attend un deuxième enfant mais n'en n'a pas conscience.
« Contrairement à la grossesse de ma fille ainée qui était très compliquée, où j'étais tout le temps malade, là j'étais en pleine forme. J'étais très active et en tant qu'ainée de la famille, j'étais l'organisatrice des cérémonies familiales », déclare Mme Yacine Bal encore effarée des années après.
Aucun indice ne laisse soupçonner une grossesse
Pas de fatigue, pas de nausée et des menstruations régulières, aucun indice ne permet à la jeune maman de soupçonner qu'elle porte à nouveau la vie.
C'est d'ailleurs lors d'une fête familiale, que sa mère, Maguette Guèye, remarque un changement : « elle trouvait que j'avais un petit ventre, tout dur. Ça se voyait à peine mais elle pensait que je souffrais de fibromes alors elle a insisté pour que j'aille voir le médecin. Je ne voulais pas, mais elle a fini par me convaincre.»
Quand son gynécologue lui annonce qu'elle est enceinte de 25 semaines, et qu'elle attend un petit garçon, Yacine Bal est sous le choc.
La jeune maman était persuadée que son implant sous-cutané et l'allaitement de sa fille la prémunissaient d'une grossesse.
Yacine Bal et son mari avait pris la décision d'attendre 4 ou 5 ans avant d'avoir un second enfant.
La jeune femme avait donc opté pour ce type de contraceptif qui lui assurait qu'il n'aurait aucun risque d'oubli. Pour la jeune femme une grossesse était inconcevable et son corps a suivi son subconscient.
Qu'est-ce que le déni de grossesse ?
Selon le Dr Sokhna Seck, psychiatre sénégalaise, le déni de grossesse est un mécanisme de défense du psychisme.
Elle explique que « le déni est le refus d'accepter une réalité traumatisante. Le déni de grossesse peut être analysé comme un refus par la femme d'être enceinte. Peut-être parce que la grossesse précédente s'est mal passée et que la femme n'a pas envie de revivre cela. »
Il existe plusieurs types de déni de grossesse : le déni de grossesse total quand il va jusqu'à l'accouchement. Le déni partiel lorsque la femme prend conscience de son statut de future mère avant le terme, parfois même très tard.
Le Dr Abdoulaye Diop, gynécologue basé à Dakar, tient à faire la part des choses entre une grossesse dissimulée où la femme a conscience de son état et le cache, et un déni de grossesse où le corps participe au « camouflage » de la grossesse. « Les femmes qui font un déni de grossesse ne perçoivent sincèrement aucun signe. Dans une grossesse classique, l'utérus se développe vers l'avant et vers le haut. Dans le cas d'un déni de grossesse, l'utérus va se développer vers l'arrière. Le fœtus va se caler contre la colonne vertébrale.»
En général, dès qu'elle apprend qu'elle est enceinte et que le déni est levé, le corps de la future mère change, parfois dans un délai très court.
Yacine Bal se souvient « lorsque je suis entrée dans le cabinet du gynécologue, j'avais un ventre plat et lorsque je suis sortie après l'annonce, mon ventre avait grossi brusquement. J'avais le ventre d'une femme enceinte de cinq mois. »
De la honte et de l'incompréhension
L'annonce de cette grossesse a chamboulé la vie de famille de Yacine Bal.
Le jeune couple n'a alors pas les moyens d'élever deux enfants.
Yacine Bal est submergée par une avalanche de questions : « comment faire financièrement ? C'est toute une organisation à revoir. J'avais 26 ans mais je faisais encore des études. Tout le monde sait que déjà élever un enfant ce n'est pas facile, mais deux … »
Le couple qui vit à l'époque à Dakar avec sa petite fille de 7 mois, se voit contraint de prendre la décision de poursuivre le reste de cette grossesse séparément.
Yacine Bal retourne s'installer chez sa mère à Thiès, une ville située à 68 km de Dakar.
Malgré les moqueries de certaines femmes dans son entourage, elle peut compter sur une famille soudée qui va l'épauler durant les quatre mois qu'ils restent avant l'accouchement.
A ce jour, il n'existe aucune étude sur le déni de grossesse au Sénégal et rien au niveau du continent africain.
Cependant, l'absence de données ne signifie pas forcément une faible prévalence. Le Dr Abdoulaye Diop dit avoir rencontré de nombreux cas dans sa carrière.
« Le déni de grossesse partiel est moins rare qu'on le croit. Je rencontre un à deux cas par mois dans mon cabinet. Le problème c'est que ces femmes ont honte de ne pas avoir compris ce qu'il se passait dans leur corps donc elles n'en parlent pas », explique-t-il.
Un risque pour la santé de la mère et de l'enfant
Pourtant, le déni de grossesse peut toucher toutes les femmes, jeunes ou moins jeunes, issues d'un milieu aisé ou défavorisé, et même celles qui ont déjà connu des grossesses dites " normales ".
Le retard dans le diagnostic de la grossesse, que cette pathologie implique, peut mettre en danger la santé de la mère et de son enfant.
Les femmes touchées ne peuvent accéder aux soins prénataux et ne sauront donc pas s'il y a des complications pour elles ou pour l'enfant.
Sans parler des changements de comportement qu'elles doivent effectuer pour une grossesse saine, comme éviter l'alcool ou arrêter certains médicaments.
Un fort sentiment de culpabilité peut être ressenti par ces femmes.
« Je m'en voulais de ne pas avoir pris des vitamines comme pour ma première grossesse, de ne pas avoir fait attention à mon alimentation. Je m'en voulais aussi par rapport à ma fille qui était encore un bébé », confie Yacine Bal.
Selon la psychiatre Dr Sokhna Seck, « c'est la féminité de ces femmes qui est interrogée. Elles sont jugées, elles subissent des moqueries alors qu'elles ont plus que jamais besoin d'être entourées. Il faut les aider à comprendre ce qui dans leur histoire les a menées à ce déni ».
Un suivi est nécessaire afin de les aider à dépasser cette culpabilité et pour créer un lien affectif avec leur bébé.
Aussi brutale que fut la nouvelle de sa grossesse, Yacine Bal a fini par l'accepter et a réussi à établir une relation solide avec son enfant.
Un garçon aujourd'hui âgé de 6 ans, en bonne santé, que sa mère décrit comme particulièrement têtu et qu'elle surnomme affectueusement « tombé du ciel ».