Secrets du pouvoir: Paul Biya et la 9è leçon de Machiavel

Paul Biya New 2018 Manu 1 Crainte, division, corruption, trois préceptes notoires pour un règne à la longévité quarantenaire.

Sun, 10 Jun 2018 Source: Franck Nguetsop Melaga

Parmi les dirigeants africains ayant incontestablement le mieux suivi (et appliqué) les leçons de Machiavel, on trouve le président camerounais Paul Biya (Popol pour les intimes), qui conserve amoureusement son cher et tendre pouvoir depuis bientôt trente-trois ans.

Avec la même habileté dont il a fait preuve depuis son accession au sommet de l’État, ce Prince aguerri semble tout à fait parti pour fêter ses noces d’Émeraude avec Madame Démocrature, qui a su lui rester fidèle. Mais quels sont donc les secrets et les mécanismes de sa conservation ? Y a-t-il d’?autres acteurs, plus discrets, qui profitent de celle-ci ?

À son arrivée au pouvoir, le 6 novembre 1982, Paul Biya paraît être un président faible, effacé et discret. Mais il s’?avère que le « roi-lion » est plus rusé qu’il en a l’?air, et parvient ingénieusement à appliquer la neuvième leçon de Machiavel. En bref, il constitue d’?abord autour de lui une « coquille ethnique », composée de Betis (son ethnie, parmi environ 250 différentes). Dès 1984, il place ses membres à tous les postes stratégiques du pays.

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Ensuite, et même si le Cameroun est officiellement une « démocratie », Popol ne voit absolument aucun problème à maintenir un parti unique et ériger un régime autoritaire emprisonnant des individus pour leurs idées politiques, (comme en décembre 1985, les 14 dirigeants de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), qui avaient eu le malheur de retirer leur soutien lors de son accession à la présidence).

Par l’?appropriation d’une administration, d’une police et d’une armée entièrement à sa solde, et par le musèlement de l’opposition, le dirigeant africain réalise une prouesse machiavélique : être craint par son peuple et aimé par ceux qui l’oppressent. Tel est le premier secret de sa longévité.

Autour du « roi-fainéant » se constitue peu à peu un vaste réseau mafieux. De hauts responsables de l’?administration détournent des fonds publics, et organisent des activités criminelles (comme l’exploitation illégale de bois) en toute impunité. C’est ainsi qu’en 2005, le Cameroun est classé en tête des pays les plus corrompus du monde. Apparue dès l’époque coloniale, la corruption entretient le pouvoir en se plaçant à deux échelles.

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À l’échelle du pouvoir tout d’?abord, elle permet aux dirigeants politiques et militaires de protéger leurs intérêts, tandis qu’?à l’échelle économique, de manière plus subtile, l’économie criminelle et la mauvaise gouvernance ont un impact décisif sur les performances du pays. La Commission nationale anti-corruption (peut-être elle-même corrompue) estime qu’environ 2,8 milliards d’euros de recettes publiques ont été détournés entre 1998 et 2004. Ce gigantesque manque à gagner traduit l’effroyable corruption généralisée régnant dans le pays.

Elle y est devenue un véritable moyen de survie pour les populations et même une norme comportementale, à tel point que certains n’hésitent pas à entreprendre un recours en justice lorsqu’un contrat de corruption n’?a pas été respecté. L’individualisme et la cupidité qui animent les braves dirigeants camerounais ont contaminé l’ensemble de la société civile dans laquelle se mène une guerre de chacun contre chacun, avec pour seul objectif de vivre décemment. Le Prince camerounais a encore une fois bien appliqué la leçon : « Divise et règne ».

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La troisième et dernière leçon est plus spécifique aux « anciennes » colonies. La France a de nombreux intérêts économiques au Cameroun, cela va sans dire. Ce dernier constitue un marché très lucratif, abritant 200 entreprises et filiales de ressortissants français (dans les secteurs de l’énergie, du BTP, de la banque, des télécommunications, du bois…), en situation de monopole ou d’oligopole. Dans cette situation, la France mène une politique schizophrène.

Tout en dénonçant la mauvaise gouvernance camerounaise et son incapacité à atteindre les objectifs fixés par le Fonds Monétaire International (FMI) (par exemple, la réduction de la corruption), elle laisse sa sphère privée trouver au Cameroun son terrain de jeu favori, car les Camerounais sont facilement exploitables ; une aubaine. La société civile, peu développée et structurée, ne peut qu’exercer un faible « contre-pouvoir » à l’égard des sociétés françaises. En 2009, un diplomate français admet même que les entreprises ont mis en place « un jeu pour préserver leurs intérêts », au mépris des règles de la concurrence.

À titre d’illustration, Cimencam (filiale de Lafargue spécialisée dans la production de ciment), aurait d’?ailleurs fait échouer l’implantation d’une société coréenne, qui aurait mécaniquement fait baisser le prix, très élevé, du ciment. Le pouvoir décisionnaire en économie n’?appartient donc pas au gouvernement, mais aux sociétés elles-mêmes. Et, tant qu’elles livrent des pots-de-vin, la Nomenklatura s’en satisfait.

Ainsi, Biya, en laissant la mainmise sur l’économie à la France et à d’?autres puissances, a su aller encore plus loin que la leçon machiavélienne. En s’?assurant le soutien des ennemis du peuple, il conserve in fine son pouvoir. Le problème, avec le peuple, c’est que le fidéliser demande de la volonté et des compétences gouvernementales. Lorsque vous n’?avez ni l’un ni l’?autre, il est plus simple d’?aider des gens puissants dont les intérêts convergent avec les vôtres.

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De ce fait, la longévité de la présidence de Biya repose sur la conservation d’une élite politico-économique, d’une société volontairement maintenue dans la précarité (40 % des ménages vivant sous le seuil de pauvreté) et de deux chiens de garde, l’un policier, l’?autre militaire. Face à cette inertie, le véritable espoir de changement repose sur la jeunesse camerounaise. Une jeunesse révoltée, meurtrie, défiante et perdant progressivement espoir.

Cependant porteuse de renouveau et de changement, elle est la seule à pouvoir renverser l’ordre actuel. Cela dit, soyons réalistes. À la mort de Biya, une bataille du pouvoir se jouera sûrement entre les barons du partis, et seul le plus machiavélique sortira gagnant et fera perdurer la situation actuelle. La lutte entre Anciens et Modernes est, pour le moment, en faveur des premiers. Ils savent conserver les intérêts des plus forts.

Auteur: Franck Nguetsop Melaga