Succession de Paul Biya : les douleurs de l’enfantement de l’alternance

Paul Biya

Sat, 11 Jun 2022 Source: www.camerounweb.com

Ces derniers temps, les documents les plus confidentiels foisonnent sur la place publique réseautique, mettant à nu toutes les dissensions qui traversent les hautes sphères de l’Etat. Positionnements pour une alternance ?

La côte d’alerte a été atteinte la semaine dernière lorsque dans une correspondance estampillée « confidentiel » adressée par le ministre d’Etat, ministre de la Justice, garde des sceaux (Minjustice) au ministre d’Etat, secrétaire générale de la présidence de la République (Sgpr), tout le malaise qui traverse l’appareillage étatique est à son comble. L’objet de la correspondance porte sur l’affaire Mp et Amougou Belinga Jean Pierre contre Mvogo Emilienne et autres. Le Minjustice Laurent Esso, suite aux hautes instructions reçues par voie téléphonique ce 3 juin 2022, répond au Sgpr que « sa demande de mise en liberté de l’intéressée ne peut être réexaminée que par la Chambre de contrôle de l’instruction de la cour d’appel à son audience du lundi 6 juin 2022 ». Le problème n’est pas la lettre en elle-même qui se retrouve le même jour sur la place publique, mais surtout la surprise que le très discret et secret Minjustice réponde à un coup de fil par une lettre.

Il y a problème, pour peu qu’on s’y intéresse au moins à deux niveaux. La première au niveau de l’état de confiance entre les différents titulaires du pouvoir à un niveau si élevé de l’Etat. En écrivant, on comprend que le Minjustice a voulu lever l’équivoque quant à la réponse par téléphone qu’il a donnée à la haute instruction présidentielle. Dans sa lettre il indique sans le dire que même si c’est le président de la République qui demande de libérer un détenu, il y a l’obligation de respecter les lois qui encadrent cette procédure. Pour le cas d’espèce, il met en exergue les obstacles légaux qui lui enlè- vent toute capacité d’obéir sur le champ à la demande présidentielle via le Sgpr. D’abord, l’ordonnance du tribunal rejetant la demande de mise en liberté est en ins- tance d’appel et empêche de ce fait quelque initiative de libération.

La pagaille au sein de la justice ? <\b>

Ensuite, parce qu’il est récusé, le même juge qui a rendu l’ordonnance ne peut poser aucun autre acte d’instruction jusqu’à l’issue de la fin de la procédure de récusation. Le deuxième problème est qu’en répondant au Sgpr par écrit, Laurent Esso tient à évacuer toute interprétation qui pourrait être rendue ou perçue quant à sa réponse à la demande présidentielle. D’aucuns plus cyniques et pernicieux iraient même jusqu’à évoquer l’idée de doute ou de véracité quant à la demande de Paul Biya. Qu’importe, l’essentiel est que pour une affaire de mise en liberté de la responsable du Centre des impôts de la région du Centre, accusée de concussion, abus de pouvoir, corruption et autres, les hautes sphères de l’Etat s’enrhument. Toutes les précautions prises traduisent, qu’on le veuille ou pas, le manque de confiance et d’entente entre les acteurs majeurs de l’Etat camerounais.

L’autre lettre à controverse qui étale le malaise au sommet de l’Etat vient du procureur général de la cour d’appel de Douala adressée au Commandant du groupement de la gendarmerie territoriale du Wouri portant sur l’exécution du jugement rendu le 5 août 2021, par le tribunal de première instance de Douala-Bonanjo et le mandant de justice subséquent. L’ampliation de cette lettre adressée tour à tour au Sgpr, au Ministre délégué à la présidence de la République en charge de la Défense (Mindef), au Secrétaire d’Etat à le Défense chargé de la gendarmerie et autres, en dit long sur la portée de cette correspondance au sommet de l’Etat. « Vous voudrez bien, au risque d’engager votre responsabilité pénale individuelle au sens des disposi- tions des articles 74, 89,129 (inexécution de réquisition), 131, 148 (refus de service dû) et 157 (rébellion) du Code pénal, exé- cuter la mandat de justice dont ci-joint copie , décerné par le tribunal de premiè- re instance de Douala- Bonanjo contre le nommé Ngo’o Cyrus (directeur du Port autonome de Douala) », lit-on dans la correspondance signée le 2 juin 2022.

Batailles au sommet de l’Etat

En réalité, le procureur est en train de dire au commandant de la gendarmerie que s’il n’arrête pas Cyrus Ngo’o, sa responsabilité pénale sera engagée. Pendant que le procureur met la pression pour qu’on arrête le directeur du port autonome de Douala (Pad), le juge Mfompa Abada Apollinaire, qui a condamné ce dernier, a écrit au président de la République, prési- dent du Conseil supérieur de la magistrature, pour lui dire que le jugement de condamnation qu'il a prononcé contre le Pad lui a été « dicté et imposé » par sa hiérarchie. La décision était contre son avis. En son âme et conscience, il voulait déclarer le directeur général du Pad non coupable au regard des faits et du droit. Comme on le voit, il y a une vraie pagaille au sein de la justice dans cette affaire où le juge condamne sa hiérarchie d’avoir fait des pressions sur lui pour tordre le droit.

Il en va de même visiblement des enjeux dans l’affaire Mp et Amougou Belinga Jean Pierre contre Mvogo Emilienne et autres, que dans celle Mp et Société Cana Bois contre Ngo’o Cyrus. Le verdict des deux cas montre de toute évidence l’apprêté des batailles au sommet de l’Etat. La neutralité qui caractérise l’Etat impersonnel, sans émotion, est en train de se liquéfier dans le feu des croisements de réseaux dans l’optique du contrôle des pans du pouvoir d’Etat. Les batailles, à l’allure où vont les choses, attendent dans l’urgence l’arbitrage du chef de l’Etat.

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