Dans des localités reculées de cette région, les populations vivent dans une psychose permanente. C’est au bout de moult tractations que Maxime, comme nous décidons de l’appeler pour préserver son identité et sa vie, consent à se lâcher. Raison ? « Si je parle et qu’ils savent que c’est moi, ils vont me tuer. Ces gens sont sans pitié, sans état d’âme », marmotte-t-il.
Contrairement à lui, plusieurs autres personnes rencontrées dans la capitale économique, et parties de la région du Sud-Ouest, refusent de souffler le moindre détail, même sous le couvert de l’anonymat.
Une crainte qui peut se justifier par le fait que les « Ambazoniens » ont presque troublé les consciences en semant la peur. « La situation dans le Sud-Ouest est très grave, surtout à partir de Muea jusqu’à Mabondji. C’est très dangereux. Il y a des contrôles des insurgés appelés Red Dragon. Ces gens interpellent tout véhicule qui passe et demandent les cartes d’identité et cartes de vote », témoigne notre source. D’après ce dernier les éléments de « Red Dragon » commencent d’abord par demander, une fois le véhicule immobilisé, s’il y a des ressortissants du Sud-Ouest dans le bus. « S’il y en a, ils les font descendre et les égorgent. Ils en font de même pour les hommes en tenue. C’est après ça qu’ils demandent aux passagers de présenter, chacun, sa carte nationale d’identité (Cni) et sa carte de vote », renseigne-t-elle.
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Les passagers sont ensuite prévenus de ce qu’en cas de fouille, tout détenteur de Cni ou de carte d’électeur sera exécuté. Puis, une à une, les cartes devant servir au vote sont taillées en deux à l’aide d’un ciseau. Quant à la Cni, la partie portant le vert-rouge-jaune est également coupée.
Conséquence, plusieurs personnes à Kumba n’ont pas de carte d’électeur et ne savent pas si elles vont voter le 07 octobre prochain.
Pourtant, dans les différentes antennes d’Elections Cameroon (Elecam) de ce département, les responsables rassurent. « Je suis allé à Elecam, ils ont dit que ce jour- là, ils vont présenter une liste et que nous pourrons voter avec nos Cni. Mais, cela va-t-il vraiment se faire ? Comment vont-ils assurer la sécurité le jour de l’élection ? Je crains qu’après le vote qu’on tue tous ceux qui sont allés aux urnes », redoute une autre source, que nous avons rencontrée au cours d’une récente descente dans le Sud-Ouest.
Ultimatum
Approchés, des francophones résidant dans cette partie du pays disent avoir reçu des menaces des « Ambazoniens » leur ordonnant de quitter la ville avant la rentrée scolaire. « Chaque fois qu’ils nous voient, ils nous demandent en anglais si nous sommes encore là. Ils disent que dès septembre, ils vont nous recenser maison par maison et nous agresser, parce que nous ne les soutenons pas », rapporte une source.
Sur le terrain, soutiennent des ressortissants du Sud-Ouest, les anglophones perdent plus leur vie dans cette guerre. Selon des habitants de la région, 90% des personnes tuées par les « Ambazoniens » sont des anglophones qui ne sont pas d’accord avec la sécession. « Les anglophones dans leur immense majorité ne veulent pas la sécession. Ils préfèrent le fédéralisme. C’est pourquoi les sécessionnistes s’en sont pris au chef supérieur d’Ekondo Titi dimanche dernier », explique Maxime, d’après qui, ces « terroristes » agissent en toute quiétude.
Au quotidien, explique notre informateur, les attentats et agressions ses font en pleine journée et à visage découvert, généralement entre vers 10-11h. Les « Ambazoniens » se déplacent sur des motos, en dépit de la série d’interdictions prises par le ministre de l’Administration territoriale. Ils préviennent leurs victimes, parfois une semaine à l’avance et, le jour dit, ils viennent en découdre avec leurs victimes.
« Les noms et les domiciles de certains de ces criminels sont connus. Dans mon quartier, il y a un certain Epié, un gars Bakossi qui est connu jusqu’au niveau des autorités, et qui agit en toute impunité », explique-t-on. Pour se débarrasser des hommes en tenue, les « Ambazoniens » travaillent avec des jeunes filles qui séduisent les soldats, les font sortir de la zone de sécurité pour être livrés aux milices.
Effort de guerre
La crainte des habitants est d’autant plus grande qu’ils ne peuvent se confier à personnes, même pas aux autorités. Tout le monde a fini par avoir peur de tout le monde. Chacun a ses raisons : « Je suis allé plusieurs fois me plaindre auprès des autorités de la ville et faire ces dénonciations, et je suis surpris lorsque les autorités me disent qu’elles sont déjà au courant sans qu’on ne sache quand elles comptent passer à l’action. La première agression que j’ai eue à Bombé, les « Ambazoniens » opéraient à 500m du contrôle mixte (policiers, gendarmes, Bir). Ils font descendre les passagers et exigent que chacun donne au moins 10 000 Fcfa. Ils disent que c’est l’effort de guerre. Certains chauffeurs menacent les passagers de ne pas révéler ces actes au contrôle mixte.
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Mais, au niveau de ce contrôle, lorsque je murmure aux forces de défense la position des Ambazoniens, ces éléments me répondent : nous sommes au courant. Sans plus », déplore ce témoin.
La plupart des attaques survenues dans l’arrondissement de Mémé, apprend-on, sont menées par des sécessionnistes contre les positions de l’armée républicaine. Après s’être renseignés sur les positions des forces de défense, ils foncent vers elles et ouvrent le feu. C’est ce qui justifie, relève un habitant de la région du Sud-Ouest, l’efficacité des villes mortes, surtout dans les zones reculées. Parce que, lorsqu’un commerçant ouvre un lundi par exemple, journée déclarée ville morte, les « Ambazoniens » reviennent le lendemain et l’abattent.
« Tout le monde voit. Personne ne fait rien. Des conducteurs de moto les poursuivent souvent, mais, lorsque les Ambazoniens soulèvent leurs chemises et qu’ils voient estampillés sur des tee-shirts « Ambazonia Defense Forces », ils prennent peur, s’arrêtent brusquement et font demi-tour.
Les hommes de Dieu viennent à l’aide. « Le message a complètement changé et ils condamnent énergiquement les massacres », reconnaissent quelques habitants. Prêtres et pasteurs dénoncent de plus en plus la gravité des attaques, ils transmettent plus qu’avant des messages d’apaisement. Ce qui n’était pas le cas avant, reconnaissent des riverains, qui se plient à la prière pour que cessent les atrocités, et que la paix sociale règne à nouveau.