Militant dès l’adolescence, Mot’a Bato, comme l’appelaient certains, a connu les prisons de Douala, Yaoundé, Yokadouma, Edéa. Bâtisseur de coalitions, le fondateur du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem) a consacré sa vie à défendre une vision exigeante de la démocratie.
Né le 17 avril 1951 à Douala, Georges Anicet Ekane a grandi dans un contexte politique marqué par les luttes nationalistes et les tensions postindépendance. Son père, redouté et redoutable, portait le nom impressionnant d’Ekan’a Mbongo n’a Ndongo. Ancien chef comptable de la Compagnie Soudanaise, il avait bâti son empire personnel : un domaine à Bonadibong-Akwa (Douala), un autre près du pont sur le Mungo, et un dernier à Bomono. Très tôt, Georges Anicet Ekane développe une conscience politique profonde et s’intéresse aux mouvements étudiants contestataires.
Dans les années 1970, il rejoint l’Union nationale des étudiants du Kamerun (Unek), l’un des principaux foyers intellectuels d’opposition au régime en place. Cette adhésion marque le début de son parcours militant. En janvier 1971, alors qu’il n’a que 19 ans, il est témoin de l’exécution d’Ernest Ouandié, dernière grande figure de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) encore active dans la clandestinité. Il a d’ailleurs gardé toute sa vie l’empreinte de cet événement fondateur. Après le lycée Joss et le collège Alfred-Saker, Georges Anicet Ekane poursuit ses études au collège Saint-Pierre à Lille. Il intègre ensuite l’université Lille-I et l’Escae, où il se spécialise en économie et administration, deux domaines qui nourriront sa vision politique.
Après des études en France, il s’engage pleinement dans le combat démocratique camerounais, d’abord aux côtés de figures comme Yondo Black. Déjà en 1973, il adhère à l'Union des populations du Cameroun (UPC) qu'il quitte en 1995 pour créer son parti, le Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem). Ce parti incarne son idéologie : nationalisme africain, refus de la dépendance politique et économique, justice sociale, souveraineté des peuples, démocratie authentique. À travers le Manidem, il devient une figure incontournable de la gauche nationaliste au Cameroun. Il en assure la présidence et structure une ligne politique originale, différente des grands partis traditionnels.
« Anicet Ekane est un pionnier de la lutte de libération du Cameroun et aussi du retour au multipartisme dans notre pays. Il est issu d'une formation politique qui a contribué largement dans la « décolonisation du Cameroun », indique le politologue et chercheur Aristide Mono.
Activiste infatigable
Depuis les années 90 et l’affaire Yondo, Ekane Anicet, activiste infatigable, a tout subi : rafles, détentions arbitraires, bastonnades… et humiliations. En février 1990, il a été arrêté aux côtés d’autres figures du groupe Yondo Black, accusé d’activités subversives alors qu’ils réclamaient l’ouverture au multipartisme. Il est condamné par le tribunal militaire à quatre ans de prison, assorti d'une amende de 20 millions de francs CFA avec la déchéance de ses droits civiques. Il ne sera gracié que quelques mois plus tard. Cette arrestation renforce son image de combattant de la démocratie. Elle inspire de nombreux militants qui voient en lui un homme prêt à sacrifier sa liberté pour ses convictions.
La petite histoire veut que lors d’une répression célèbre, il reçoit 200 coups de fouet à la gendarmerie du Port de Douala. Samuel Eboua, lui, en prit 250. Le bourreau confiait : « L’astuce est de frapper jusqu’à l’apparition des premières ampoules sur la peau des fesses ». Les victimes attendaient en silence la fin de leur supplice, à la merci des « techniciens » de la douleur. Une autre fois, après une manifestation, deux hommes viennent le chercher à son domicile, sans mandat. « Je suis ceinture noire 2e dan d’Aïkido », leur dit-il. « Je peux vous faire valser jusqu’au rez-de-chaussée ». Mais un gradé parvient à le calmer.
Il est emmené à la BMM, jeté dans une cellule infestée de cafards. Au 4e jour, il est conduit à l’interrogatoire. Un officier entre. Le policier l’accueille : « Voici le fameux Ekane de l’affaire Yondo. Tu sais comment on salue un enchaîné ? ». D’un quart de tour, l’officier lui inflige une gifle monumentale. Propre et nette. Ekane Anicet, alias Mot’a Bato, c’est plus de 40 ans de militantisme, et autant de répression.
Engagement
La carrière du président de Manidem est caractérisée par un engagement contre le tribalisme, la corruption, les abus du pouvoir. Il était un défenseur des droits des étudiants et des populations marginalisées. Pour M. Mono, l'opposant a été vraiment connu pour sa constance dans le champ de la lutte politique au Cameroun depuis 1990 jusqu'à ce jour. « Il est resté très attaché aux idéaux des nationalistes et aux idéaux de la démocratie », souligne-t-il. Anicet Ekane a manifesté son soutien à l'opposant Maurice Kamto dans le cadre de la présidentielle du 12 octobre 2025, en faisant de lui le candidat de son parti Manidem.
Lorsque la candidature de ce dernier a été rejetée par Elecam, M. Ekane s'est rapidement rallié à Issa Tchiroma Bakary en créant, avec d'autres partis d'opposition, l'Union pour le changement 2025 pour faire face à Paul Biya. Aristide Mono souligne qu'Ekane « est un prototype même de l'altruisme politique et de l'entêtement face à la répression brutale du régime de Yaoundé qui a été jusqu'ici réfractaire à la démocratie ». M. Ekane a soutenu Issa Tchiroma Bakary dans la crise post-électorale jusqu'à son arrestation, sa détention et sa mort sur laquelle s'interrogent ses proches.
« Anicet Ekane, malgré les déboires de ces derniers temps, malgré la négligence en termes de traitement là où ils étaient détenus, est resté catégorique, pas de négociation sur ce qu'il a toujours considéré comme la victoire d'Issa Tchiroma sur Paul Biya. Donc c'est, ma foi, l'image d'un homme qui a été dans l'entêtement, dans sa façon de résister politiquement. Et je crois que des individus ou alors des ressources pareilles, on n'en compte pas beaucoup dans le champ politique », fait savoir le politologue.