Elles sont nombreuses à vivre dans l’incertitude du lendemain, les mères, épouses et familles qui ont un fils, un mari, un parent ou une connaissance dans les zones perturbées par les violences. Témoignage de la mère d’un soldat.
Jamais Elisabeth-Marie n’a vécu dans le stress et l’angoisse comme depuis que son fils est en mission, dans l’une des deux régions anglophones camerounaises en crise avec le pouvoir. Au front, pour emprunter au langage militaire. Chrétienne catholique engagée, elle milite depuis quelques années dans une association à spiritualité au Christ du Sanctuaire du Sacré-Cœur de Jésus de Mokolo. « Cette plongée dans la spiritualité m’a permis de retrouver l’équilibre dont j’avais besoin », confie-t-elle souvent à ceux qui l’approchent. Et c’est pourquoi elle consacre beaucoup de temps aux activités liées à sa dévotion. Très pieuse, elle ne manque que très rarement la messe de 6 heures tous les matins.
A la sortie de l’office de ce matin du mois de mars, elle est particulièrement ombrageuse. Et pour cause, elle est sans nouvelles de son fils depuis bientôt deux semaines. Les jours passent, ajoutant à son anxiété, sentiment irrépressible d’une mère qui ne sait si son unique fils, soldat, reviendra de la guerre que les rebelles séparatistes ont imposé à la Nation. Dans la cour de l’église, elle raconte à quelques proches : « lorsque mon téléphone a sonné à cinq heures ce matin, mon sang n’a fait qu’un tour. C’est toute tremblante et le cœur battant que j’ai pris mon téléphone… En une fraction de seconde, de nombreuses images ont défilé dans ma tête. Je n’ai pas de mots pour traduire ce que j’ai ressenti avant de comprendre le message de mon interlocuteur, une sœur réveillée très tôt, qui avait besoin d’une information. J’ai poussé un ouf de soulagement, mais je suis encore sous le choc. »
Il y a quelques semaines, elle a pu voir quelques images choquantes de victimes de soldats tués au front diffusés par les réseaux sociaux. Comme celle de cette jeune fille gendarme ou encore celle de ce jeune soldat du Bataillon d’Intervention Rapide au cou largement ouvert sur le côté, porté par son camarade d’armes. Ces souvenirs, encore frais dans sa mémoire, lui rappellent que son fils n’est pas en voyage d’agrément là où il se trouve. Surtout que, lui dit-on « les gars-là (les rebelles séparatistes : ndlr) ne jouent pas ». En effet, lors des assauts contre les représentants des forces de sécurité qu’ils harcèlent dans les zones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les rebelles ne s’imposent aucune limite. Leur cruauté n’aurait d’égale, selon les observateurs, que leur détermination à faire triompher leurs idées.
Mais, qu’y peut-elle ? Rien ! Sinon, prier pour que la miséricorde divine accompagne son fils et pour toutes les autres victimes de cette guerre imposée au pays, ce qu’elle fait tous les matins et tous les soirs lorsqu’elle formule des intentions de prières. Elle sait aussi qu’elle n’est pas la seule à vivre cette angoisse et c’est pourquoi elle voudrait unir ses prières à celles de toutes les mères, épouses et familles qui ont un fils, un mari, un parent ou une connaissance au front ou dans les zones perturbées par les violences.
A quelques encablures de là, un coin du quartier Tsinga à Yaoundé porte encore le deuil d’un de ses fils prénommé Jean, âgé de vingt-huit ans, dernier-né d’une fratrie de quatre enfants et gendarme depuis deux ans environ, assassiné à l’arme blanche par des rebelles séparatistes dans la région du Nord-Ouest où il était en mission. Le benjamin de la familleNjaméa a été poignardé dans le dos avant que son thorax ne soit ouvert par un autre objet tranchant. Elisabeth Marie qui l’a appris prie davantage pour son fils. Elle sait aussi que la famille Njaméa a perdu un de ses membres, mais pour le Cameroun, un fils nous a été arraché.