Malgré un système de sécurisation, certains étudiants, enseignants et personnels administratifs se livrent à un jeu qui fausse les résultats.
Laurence, étudiante en première année à la faculté des arts, lettres et sciences humaines (Falsh) à l’Université de Yaoundé I (UyI), rencontrée devant le babillard un mercredi matin, est tout sourire.
La jeune fille vient pourtant d’être admise à la prochaine session de rattrapage. Sur sa fiche, une succession de mauvaises notes sur plus de la moitié des unités d’enseignement (Ue) soumises à l’examen. Si elle est si sereine, c’est qu’avec ses camarades, elles ont entre les mains la solution qui pourra, comme par magie, résoudre le problème.
Les jeunes dames connaissent un circuit de vente des notes à la cellule informatique, lieu où sont numérisées toutes les fiches de report de notes de chaque département. Elles passeront par un jeune homme dont elles préfèrent taire le nom. « Je ne stresse pas trop pour ces mauvaises notes. Tout problème a une solution. Et même ici à l’université, tout est possible », avoue-t-elle avec une satisfaction à peine voilée. Le monsieur en question, un certain « Antoine », ne travaille pas à l’université. Mais selon elles, il aurait des entrées à la cellule informatique de l’Université de Yaoundé I.
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Les jeunes filles ne sont pas les seules à afficher un tel calme, puisqu’ici, comme dans plusieurs universités d’Etat, les notes se marchandent, selon les habitués de la manoeuvre, contre une somme d’argent ou dans certains cas, un échange de services en nature. Ce que les étudiants appellent ici « des notes sexuellement transmissibles ». Claire, aujourd’hui étudiante dans un institut privé d’enseignement supérieur, se souvient de sa mésaventure à l’Université de Yaoundé I dans la filière ‘’sociologie’’, niveau II. « Il y a un enseignant qui me faisait la cour depuis des semaines. Et au moment des contrôles continus, il m’a demandé d’accepter sa proposition, sinon il me ferait échouer. J’ai cru au départ qu’il blaguait, jusqu’à ce que je découvre plus tard la note de 0,5/20 », raconte-t-elle.
Au-delà des amphis de Ngoa-Ekelle, d’autres temples du savoir connaissent les mêmes pratiques du marchandage des notes. « Nous avions un enseignant qui, une fois arrivé, commençait par une sorte de contrôle continu surprise. Le temps imparti pour cet exercice était généralement court. Les notes étaient bien évidemment catastrophiques et c’était toujours le même scénario : les étudiants allaient dans son bureau à tour de rôle. La note vous était donnée selon la somme d’argent versée », se souvient Germaine, étudiante en master I à l’Université de Yaoundé II-Soa.
Stratagème
Selon plusieurs étudiants, ce sont majoritairement les filles qui se livrent à cette pratique entretenue par une poignée d’enseignants. Puisque la note obéit à un processus de souveraineté qui « est encadré tant moralement que professionnellement par l’enseignant », soutient Junior Ngweth, chargé de cours à l’UyI. Où et comment se déroulent les transactions, puisque la cellule informatique est interdite d’accès aux étudiants ? En mars dernier, en effet, lorsque nous débutons notre enquête, une note signée du chef de la cellule placardée à la façade avant de cet édifice de l’Université de Yaoundé I éconduit d’ailleurs tout curieux.
Une source explique que tout se passerait à l’abri des regards, hors de l’université. « Le rendez-vous se prend par téléphone. Ensuite, l’étudiant donne simplement son matricule, son département, la ou les matière (s), éventuellement le nom du professeur et de l’argent afin d’obtenir la note souhaitée », avoue notre interlocuteur anonyme. Un marchandage qui expliquerait, selon certains étudiants, le fait que les notes d’une même unité d’enseignement soient affichées plusieurs fois. « Les listes concernant une même unité d’enseignement peuvent être affichées plus de cinq fois.
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C’est la preuve des tripatouillages. Si vous prêtez bien attention, vous vous rendrez compte que ceux qui avaient de mauvaises notes au départ se retrouvent finalement avec de très bonnes notes comme par miracle », affirme Bachirou, étudiant à l’Université de Ngaoundéré, joint au téléphone. Dans les administrations de ces universités d’Etat, on parle pourtant d’un système de gestion des notes hautement sécurisé. C’est le cas à l’Université de Yaoundé I où le report définitif des notes des étudiants est informatisé. « La cellule informatique ne fait aucun calcul, c’est une application qui s’occupe de tout. D’autant plus que les fiches de reports transmises à la cellule n’ont aucune information sur l’étudiant. Ce sont juste des numéros que vous insérez dans une machine, puis vous avez le total sur 100 », déclare Gabriel King Kelle, chef de la cellule informatique à l’Uy I.
« Le coeur des notes est à deux niveaux. Le département est central. De sorte qu’à l’hypothèse qu’ici à la scolarité ou au niveau de la cellule informatique on modifierait la note d’un étudiant parce qu’il aurait donné de l’argent, cette note ne vaudrait rien si dans les départements, nous n’avons pas des archives qui attestent de cette note de l’étudiant.
C'est-à-dire qu’il n’y a pas une note qui puisse exister à la cellule informatique qui ne parte du département. La souche, la vraie et la définitive est là-bas », ajoute Armand Leka Essomba, chef service de la scolarité. Même s’il admet qu’il peut effectivement exister des cas de corruption, il précise que chaque étudiant a le droit de contester sa note et d’exiger une seconde correction par le biais des requêtes, notamment 72h après la publication des résultats. L’aboutissement des requêtes, un autre combat qui laisse plusieurs étudiants sur le carreau.