Le syndicaliste est accusé d’avoir facilité la spoliation du patrimoine de la Mission d’Aménagement des terrains urbains et ruraux au profit des tiers. L’Etat chiffre le préjudice à 933 millions de francs.
Le jugement est ouvert au Tribunal criminel spécial
Le syndicaliste Jean Marie Zambo Amougou va devoir plaider pour sa propre cause devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Le célèbre président de la Confédération syndicale des travailleurs du Cameroun (Cstc) doit s’expliquer sur le détournement présumé de biens publics d’une valeur 933 millions de francs. Le montant représente la valeur de 71 parcelles de terrain cédées à Yaoundé à des tiers, au détriment de la Mission d’aménagement et d’entretien des terrains urbains et ruraux (Maetur). Le syndicaliste a occupé les fonctions de directeur technique adjoint puis de directeur commercial à la Maetur.
Jean Marie Zambo Amougou est en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé-Kondengui depuis juillet 2017. Ses coaccusés, Jean Marie Tsoungui, instituteur, et Pierre Firmin Adda, notaire sont, quant à eux, libres. Curieusement, l’homme en robe est déclaré en fuite et sous le coup d’un mandat d’arrêt.
Les deux hommes répondent respectivement des faits de complicité de coaction du détournement décrié dans l’un des trois volets de la procédure. Le 9 mars 2018, la collégialité des juges chargée de l’examen public de l’affaire a procédé à l’identification, suivie de la présentation des charges aux accusés. MM. Zambo Amougou et Tsoungui ont plaidé non coupable. L’audience reprend le 19 avril pour l’échange des listes de témoins. D’après le rapport de l’enquête judiciaire, (ordonnance de renvoi) dont Kalara s’est procuré copie, les faits au centre de la procédure se regroupent en trois volets.
Rétrocession des terrains
Pour le premier volet, M. Zambo Amougou, M. Tsoungui et le notaire Adda sont accusés d’une complicité de coaction de détournement présumé d’un montant de 534,1 millions de francs. La genèse de cette charge est détaillée dans l’ordonnance de renvoi. Le 15 janvier 1985, l’Etat du Cameroun avait exproprié les populations d’une superficie de 34 hectares au quartier Ngousso à Yaoundé. Les terrains expropriés ont servi à la construction de l’hôpital général de Yaoundé, puis peu après de l’hôpital Gényco-Obstétrique de Yaoundé. Et l’Etat du Cameroun a obtenu, le 16 février 1999, la délivrance du titre foncier n°26909/Mfoundi.
Trois ans plus tard, le 17 octobre 2002, les terrains non touchés par les constructions ont été octroyés à la Maetur par mutation, occasionnant au profit de l’entreprise la délivrance du titre foncier n°30543/Mfoundi. C’est le début d’un bras de fer entre l’Etat du Cameroun et les populations autochtones, occupants initiaux du site où sont érigés les deux hôpitaux de référence. En effet, les populations autochtones de Ngousso vont exiger la rétrocession de leurs parcelles de terrain non exploitées après la construction des deux hôpitaux. Mais la Maetur, désormais propriétaire desdits terrains, a commencé à les vendre à des particuliers.
Parallèlement, feu François Belibi, le père de l’accusé Jean Marie Tsoungui, l’un des autochtones protestaires, s’est aussi mis à céder les mêmes lopins de terre à des tiers. Chaque partie percevait les fonds issus de ses ventes. Au centre des appétits, 35 lots de terre d’une valeur de 534 millions de francs. Face aux revendications, le directeur général (DG) de la Maetur, à l’époque des faits, va opter pour un règlement à l’amiable. La résolution du conflit se déroule sous le regard de l’autorité administrative. Selon le procès-verbal d’enquête, M. Zambo Amougou est désigné représentant de la Maetur dans les pourparlers.
PV de règlement de litige
Le 6 mai 2009, les négociations vont aboutir à la signature d’un procès-verbal (PV) de règlement du litige. Dans ce document, la Maetur est entièrement dépossédée des 35 parcelles de terre querellées au profit de François Belibi. Parmi les signataires du PV, on compte M. Zambo Amougou, feu Belibi et M. Tsoungui. Les trois signataires ont déposé le document dans l’étude Me Pierre Firmin Adda, qui a procédé aux morcellements du titre foncier de la Maetur au profit des clients de feu François Belibi.
Le problème.
La Maetur dit que la mission confiée à M. Zambo Amougou se limitait à faire un «état des lieux» et «un rapprochement éventuel des positions des parties». Au lieu de se conformer à l’objet de sa mission, il a plutôt dressé et signé, en lieu et place du DG de la Maetur, le fameux PV de règlement de litige. La Maetur dit se retrouver dans «la pénible contrainte de rembourser ses clients spoliés». L’autre grief fait à M. Zambo Amougou est la vente de 34 lots dans le lotissement de la Maetur au quartier Mfandena, à Yaoundé.
Lesdits lots ont été cédés à un prix inférieur à 30 mille francs, prix officiel fixé par le DG de la Maetur à travers une décision du 1er juin 2006. L’entreprise publique soutient que cette pratique lui a causé un préjudice de 385,1 millions de francs. Pour sa défense dans ce volet, le syndicaliste déclare que c’est lui-même qui a créé et aménagé les lots litigieux dans une zone impropre à l’habitation, puis les a commercialisés à minima.
La dernière récrimination contre le syndicaliste a trait à la vente de deux lots, d’une valeur passée de 40 millions de francs à 20,2 millions de francs, mais n’a reversé à la caisse de la Maetur que la somme de 6 millions de francs. Le reliquat de 14,2 millions de francs est considéré détourné par l’accusé. L’ouverture éventuelle des débats publics dans cette rocambolesque affaire promet.