La loi qui organise le Tribunal criminel spécial (Tcs) n’est rien d’autre qu’une grosse supercherie. Voici pourquoi.
L’expression «Dés pipés», selon l’internaute, est synonyme de tromperie. Certains tricheurs alourdissent en effet la face d’un dé afin d’obtenir le résultat souhaité. Pour ceux qui comparaissent devant le Tcs de Yaoundé, les dés sont pipés. Non pas par les juges, mais par la loi N°2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un Tribunal criminel spécial. Les accusés et leurs conseils, devant le Tcs, ne doivent jamais baisser la garde. Ils ne doivent jamais oublier que la loi qui organise le Tcs est une supercherie. Une entorse à la démocratie que veut léguer le président de la République au Cameroun. Cette loi ne permet pas au justiciable de bénéficier du double degré de juridiction. Et la fenêtre pour se pourvoir en cassation est très étroite.
En effet, sur neuf cas d’ouverture en cassation prévus par l’article 485 du Code de procédure pénale, la loi qui organise le Tribunal criminel spécial ne retient qu’un seul : la violation de la loi pour l’accusé. Sur ce point, cette loi crée un déséquilibre entre l’accusation et la défense, violant sans scrupule les principes élémentaires des droits de la défense. Comment expliquer que devant le juge l’accusation et la défense soient au même pied d’égalité et que cette vilaine loi vienne à briser cet équilibre en empêchant l’accusé de se pourvoir sur les faits, donnant l’avantage au ministère public qui seul peut se pourvoir en fait et en droit après la décision du Tribunal.
S’il y a déséquilibre entre l’accusation et la défense, il n’y a plus de justice. Alors questions : que peut Mebe Ngo’o dans ce match avec un dé pipé ? Prier pour que l’arbitre, c’est-à-dire le juge, ne renie pas le serment qu’il a prononcé devant Dieu et devant les hommes. Que le juge soit une espèce indifférente à l’intimidation et au souci de la promotion. Dans cette quête, il doit se rappeler que le juge est un arbitre qui ne juge pas selon les connaissances personnelles qu’il aurait de l’affaire, mais selon les pièces et les moyens de fait et de droit qui lui sont présentés.
Nous avons été chagrinés par l’ordonnance qui le renvoie devant le Tcs dont on a pris connaissance sur les réseaux sociaux. Comme si la loi créant le Tribunal criminel spécial n’était déjà pas en soi une négation de la démocratie et même une perfidie, l’ordonnance du juge d’instruction, n’a pas jugé utile de préciser la date exacte de l’acquisition de chaque bien appartenant à chaque accusé. Or ce n’est que cette précision qui pouvait donner une base légale à son ordonnance sur la saisie des biens en permettant de savoir si les articles 35 et 184 du Code pénal du Cameroun peuvent leur être applicables.
En effet, l’article 184 du Code pénal, sous l’incrimination duquel sont poursuivis ceux qui sont accusés de détournement, oblige le magistrat à ordonner la confiscation des biens prévue à l’article 35 du Code pénal. Cet article 35 auquel renvoie l’article 184 dispose : « en cas de condamnation pour crime ou délit le tribunal ou la cour peut ordonner la confiscation de tous les biens meubles ou immeubles appartenant au condamné et saisis, lorsque ceux-ci ont servi d’instrument pour commettre l’infraction ou qu’ils en sont le produit ».
BASE LÉGALE
Dans l’affaire des Consorts Mebe Ngoo, l’ordonnance qui les revoie devant la juridiction de jugement étale leur fortune sur plus d’une vingtaine de pages. Pour justifier la saisie de cette fortune, le juge se détermine ainsi; «dit charges suffisantes contre Mebe Ngoo… d’avoir,…dans les mêmes circonstances, de temps que ci-dessus, blanchi intentionnellement plusieurs milliards de Francs Cfa à travers d’une part l’acquisition de 53 immeubles tant à l’intérieur du territoire national qu’à l’étranger, et d’autre part la détention et l’utilisation de nombreux biens mobiliers de valeurs parmi lesquels plusieurs dizaines de véhicules et engins lourds dont le montant avoisine 20 000 000 000 Fcfa, produit des infractions de détournement et de corruption.»
Dans les motifs pourtant, cette ordonnance ne précise pas la date d’acquisition de chacun des biens appartenant à chaque accusé. Pourtant, ce n’est que cette précision se rapportant à la date d’acquisition de chacun des biens qui peut relier éventuellement ledit bien au crime et par conséquent justifier légalement saisie. Le juge d’instruction s’est donc trompé en décidant que tous les biens saisis des Consorts Mebe Ngoo ont servi au blanchiment alors qu’il n’a pas précisé la date d’acquisition des biens indiqués.
En droit, on dirait que l’ordonnance du juge d’instruction manque de base légale. Le juge peut se tromper. Mebe Ngoo est maintenant devant la juridiction de jugement. Nous avons appris, par la presse, qu’il est en train d’être interrogé et qu’il se comporte vaillamment devant le Tribunal. Nous lui rappelons, à lui et ses semblables, compagnons d’infortune, que le juge, selon le Code de procédure pénale, est un arbitre. Si vous ne lui posez pas clairement votre problème, il ne le résoudra pas. Il ne va pas le poser à votre place. Nous ne savons pas à quelle étape de la procédure se trouvent ces accusés mais ont-ils demandé au Tribunal de distraire leurs biens qui ont été acquis avant 2011, afin de permettre de vérifier les dates d’acquisition. Une telle demande est indifférente à leur culpabilité, mais permet au juge saisi de rendre une décision juste.
En effet, le détournement qui est reproché aux consorts Mebe Ngoo court à partir de 2011. Tous leurs biens qui ont été acquis avant 2011 ne doivent donc pas rentrer dans le cadre des confiscations. Ce serait une violation des articles 35 et 184 du Code pénal. Un bien qui a été acquis avant 2011 ne peut pas être le fruit d’un crime commis en 2011. Nous ne comprenons pas pourquoi, alors que l’ordonnance de renvoi des consorts Mebe Ngoo détaille, avec dates, l’état des comptes bancaires saisis au jour de la saisie, elle ne le fait pas avec la même minutie pour déterminer les dates d’acquisition de chaque bien par chacun des accusés. Et même sur les comptes bancaires, il faudrait préciser quel était l’état du compte avant 2011 pour éventuellement distraire les sommes qui s’y trouvaient avant cette date.
C’est la loi. Compte tenu de l’immense fortune des accusés, c’est beaucoup de travail, mais il faut le faire pour rendre une justice saine. Ce qui est dit pour les consorts Mebe Ngo'o intéresse tout justiciable devant le Tcs de Yaoundé, aujourd’hui comme demain. Demandez au juge, par jugement avant dire droit, de distraire vos biens qui ont été acquis en dehors de faits qui vous sont reprochés. Aidez le juge à rendre justice.