Le patron d’une entreprise a frauduleusement obtenu un virement sur la base de faux documents envoyés en ligne à la banque SGC avant de fondre dans la nature. Le TCS lui a infligé la peine de prison à vie.
Sous le coup d’un mandat d’arrêt, M. Fover Robert Tardzenyuy a sans doute frémi de frayeur lorsqu’il a eu connaissance de son nouveau statut : condamné à la prison à vie. Si on le débusque de sa cachette, il terminera le restant de ses jours derrière les barreaux. En fait, le Tribunal criminel spécial (TCS) l’a reconnu coupable du détournement de 50 millions de francs réalisé au préjudice de la Mission d’Aménagement et d’Entretien des terrains urbains et ruraux (Maetur) et de la banque Société générale Cameroun (SGC) le 22 février 2021. Il avait, selon l’accusation, obtenu les fonds querellés à l’aide de «faux documents de commerce», parmi lesquels un «ordre de virement électronique falsifié».
Absent pendant le jugement, le tribunal a considéré que la fuite de M. Fover Robert Tardzenyuy traduit «le défaut d’arguments à opposer à l’accusation» puis lui a infligé la peine d’emprisonnement à vie le 7 juin dernier. Outre cette peine, il est également condamné à restituer les fonds déclarés distraits au profit de la SGC augmentés de 5 millions de francs au titre des frais de procédure. Il doit enfin s’acquitter du paiement des frais de justice (dépens) fixés à 2,6 millions de francs suivi de la publication par ses soins de l’arrêt dans les colonnes du quotidien gouvernemental Cameroon Tribune.
Avant de rendre le verdict, le tribunal est revenu sur l’ensemble des faits au centre du procès. Dans cette affaire, la Maetur entretient quatre comptes bancaires dans les livres de la SGC. L’un d’eux dénommés «compte spécial Minduh» est exclusivement dédié aux dépenses de fonctionnement de cette entreprise publique. Le compte en question a deux signataires : le directeur des affaires juridiques (DAJ) et celui des affaires administratives et financières (DAF). Ici, «tous les ordres de virement émis se font par voie électronique à partir d’un dispositif spécial de la banque mis à la disposition de la Maetur» indique l’accusation, au contraire des autres comptes où toutes les opérations sont manuelles. C’est Mme Ndzala Tolo épouse Ebolo Mvondo Aimée qui occupait les fonctions de DAF à la Maetur au moment des faits.
Congé administratif
Le problème résulte de ce que les fonds querellés ont été décaissés à la suite d’un ordre de virement électronique émis dans l’un des trois comptes bancaires de la Maetur où, pourtant, tous les ordres de virements sont manuels.
Lors des enquêtes, le représentant de la SGC, M. Nguimbous Nguimbous Joseph, a expliqué que le 18 février 2022, Mme Eyebe Abega Adelaïde, chargée de clientèle à l’agence Yaoundé-Hippodrome, avait reçu un message électronique (e-mail) affichant le DAF déjà cité comme expéditeur depuis la France. Ce dernier souhaite recevoir, non seulement le relevé de l’un des comptes de la Maetur à partir duquel l’intéressé «entendait procéder au virement de 50 millions de francs, mais aussi un document à signer à cet effet». En réaction, l’employé de SGC fera comprendre à son interlocuteur que le numéro de compte donné était erroné. Le fameux expéditeur «a ensuite communiqué deux autres numéros de compte, aussi inexactes».
Poursuivant, le représentant de SGC ajoute : «en fin de compte, Mme Eyebe Abega a reçu de son correspondant un ordre de virement électronique, auquel il était annexé une instruction faxé éditée sur papier à entête Maetur portant les noms et signatures de Louis Roger Manga et de Mme Ndzala Tolo respectivement directeur général et DAF de la Maetur». C’est sur la base de ces documents que l’agent clientèle Mme Eyebe Abega a effectué le virement litigieux au profit de l’entreprise Eagle and Wings INC LTD dans un compte domicilié à la banque UBA le 22 février 2021. Compte appartenant au promoteur de ladite entreprise un certain Fover Robert Tardzenyuy. En l’espace de deux jours, les 23 et 24 février suivant, «le compte a été vidé» à la suite de «cinq retraits».
Domicilié à Idénau
Lorsque les opérations à problèmes se déroulaient, le DAF de la Maetur, Mme Ndzala Tolo a déclaré lors des enquêtes qu’elle «jouissait d’un congé administratif». Elle a découvert le forfait déploré lors de «la vérification des paiements effectués» pendant son absence. Ce qui a retenu son attention est que le paiement litigieux «était méconnu de ses collaborateurs, dont aucune copie était perceptible à la Maetur», dit-elle. En fait, les investigations menées auprès du «gestionnaire du compte à la SGC et les signataires légitimes des ordres de virement de la Maetur» ont permis de constater que l’accusé «avait fait usage de faux documents pour percevoir cet argent». Chose curieuse, «le compte spolié de la Maetur a été crédité d’égale montant le 25 février 2021 par la SGC», signale-t-elle. Sur la base de ces éclairages et des pièces accablantes le tribunal a infligé la perpétuité au faussaire.
Tout n’est pas perdu M. Fover Robert Tardzenyuy, «anciennement domicilié à Idénau dans le département du Fako». S’il décide de laver son honneur en faisant valoir ses arguments devant la justice, il disposera d’un délai de 48 heures lorsqu’on lui aura notifié l’arrêt pour introduire son pourvoi devant la Cour suprême. Dans ce cas, il faudra faire preuve de courage voire de témérité, car le tribunal a décerné contre lui «un mandat d’arrêt et un mandat d’incarcération à l’audience». Ces deux mesures sont d’exécution immédiate.
Quand le tribunal décrypte sa sentence
De manière inédite, après le prononcé du verdict, le tribunal s’est cru obligé d’interpréter deux pans de son jugement à l’attention des avocats de la Maetur et de la SGC. «Nous n’avons pas habitude de le faire, il faut quand même expliquer. D’une part, nous avons débouté la Maetur sur la demande du préjudice financier parce que nous estimons qu’il n’est pas fondé, car le préjudice financier c’est celui qui affecte le patrimoine. Or, le 18 février 2018 les 50 millions de francs détournés ont été replacés et ristournés, donc considérés comme n’ayant jamais quitté le compte de la Maetur. La Maetur aurait pu demander autre chose mais ne l’a pas fait. Bon ! D’autre part, s’agissant de la SGC, nous l’avons débouté sur la demande du préjudice économique parce que nous estimons qu’il n’a pas été justifié. Le préjudice économique consiste en la disparition d’une éventualité favorable, au manque à gagner. Il ne suffit pas de le dire, il faut l’établir. Il doit être justifié. Par exemple, si la SGC avait la chance de faire un crédit mais ne l’a pas fait faute de cet argent».