Thanatopraxie: indigné, un morguier camerounais brise le silence ...

Morgue Cameroun Ils sont indignés par les comportements vexants des infirmiers

Thu, 6 Sep 2018 Source: Essigan N°117

Considéré à tort ou à raison comme un sorcier, Al- phonse Mbega est morguier au Centre hospitalier universitaire (Chu) de Yaoundé depuis 14 ans.

Un vent glacial, une musique de deuil en fond, un calme inquiétant et une odeur de formol dans l’air. Voilà l’atmosphère qui accom- pagne chaque jour Alphonse Mbega (41ans) dans son cadre de travail de la morgue du Centre hospitalier universitaire de Yaoundé (Chu). Tous les matins dès 7h30, il se met à l’œuvre, afin d’offrir 24 heures sur 24, un service de qualité à des familles éplorées. Son travail consiste à entretenir les cadavres de la meilleure façon possible. Pour les levées de corps, le quadragénaire «morguier» (comme on les appelle au Cameroun), lave, habille, met les morts dans les cercueils et console les familles endeuillées. Un métier connu sous la dénomination scientifique de Thanatopraxie Il travaille à ce que tout se déroule dans de bonnes conditions.

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«J’évite des plaintes de personnes mécontentes à cause du mau- vais état de leur défunt». Avec ses gants et son cache- nez, ce père de cinq enfants est précautionneux. Il s’en- toure de toutes les mesures utiles pour se prémunir contre les maladies contagieuses. Le métier de thanatopraxologue «morguier», il l’exerce depuis 14 ans et en est fier. Alphonse Mbega ra- conte les circonstances qui l’ont contraint à embrasser la profession de thanatopraxo- logue. «Je n’étais pas morguier il y a quatorze ans. Je n’avais pas un métier fixe, j’alternais le commerce et le transport urbain, malheureu- sement pour moi, je ne parvenais pas à nourrir ma famille. En 2004, mon oncle paternel qui est médecin à l’Hôpital général de Yaoundé m’a murmuré à l’oreille qu’on recrute des morguiers au Chu. Puisque j’avais une famille à nourrir, j’ai donc décidé d’embrasser le métier de morguier. J’ai reçu ma formation sur le tas, à mon époque, il y avait pas une école qui formait des mor- guiers comme c’est le cas aujourd’hui. Je n’ai jamais envisagé devenir morguier. Ce n’est pas de gaiété de cœur que j’ai commencé à travailler», confie celui qui se considère comme vétéran dans le domaine.

Pour son cas, reconnaît-il, les premiers jours après sa prise de service ont été pénibles. Les images des corps lui revenaient tout le temps, surtout une fois chez lui. Mais, au bout de quelques temps, il a commencé à s’habituer et à ne plus avoir de visions. Bien qu’aujourd’hui, ce métier lui colle à la peau comme un gant, Alphonse Mbega ne cache pas sa déception quant aux regards in- terrogateurs que lui renvoie la société. Je suis traité comme un pestiféré par les médecins du Chu, «à 14 ans de service au Chu, aucun personnel médical ne m’a jamais salué avec la pomme de main. Ils évitent la rencontre physique avec moi», se dés- ole-t-il. Mais ça ne me dit plus rien, je considère mon métier comme tout autre métier.

Dans la rue on pense que le métier de morguier est ré- servé à des personnes surna- turelles. Dans les métiers apparentés, le regard n’est pas moins inquisiteur. Edwige Nguéné, infirmière au Chu le soutient d’ailleurs: «les mor- guiers sont des buveurs et consommateur des drogues, et la morgue est le lieu de pratiques nécrophiles, c’est la raison pour laquelle je ne fréquente pas les morguiers, à plus forte raison les sa- luer».

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Toujours parmi les infirmiers, l’on peut entendre:

«ce monsieur ressemble à son métier, il fait peur, rien qu’à le voir c’est un cadavre parmi nous, voire un esprit». Cependant, l’avis d’Erick Bell contraste d’avec celui de ses collègues. «Non non…Il ne me fait pas peur. Loin de là! Je respecte énormément son courage et son dévouement... En regardant son visage, je me demande ce que cet homme a pu endurer comme scène, sentir comme odeur, voir comme horreur directement ou indirecte- ment en exerçant son bou- lot».

Témoignages de Alphonse Mbega

En quoi consiste le travail d’un morguier?

Un morguier est un employé de morgue, l’endroit où on conserve les cadavres. Notre travail consiste donc à conserver les corps. Premièrement donc, lorsqu’un corps est amené à la morgue, je lui administre d’abord du formol dans des délais variables en fonction d’une part de la présence ou non des morguiers. On n’administre pas le formol au cadavre immédiate- ment après le décès, pour laisser la possibilité au mort de revenir à la vie. On sait d’ailleurs que la première dynamique psychique dans laquelle un endeuillé se trouve engagé consiste en une forme de refus de la perte, dont l’acceptation pro- gressive ne démarre pas immédiatement, du moins chez les proches d’un défunt.

Après la formolisation, les poignets sont attachés l’un à l’autre avec un lambeau de tissu blanc pour que les bras se figent dans une position facilitant le croisement des mains sur la poitrine qu’il faut obtenir en vue de l’ex- position du corps le jour de son retrait. Le nom du défunt est écrit au marqueur rouge sur le torse et/ou une cuisse, ainsi que, éventuellement, sur la plante des pieds. Le corps est ensuite entreposé dans un tiroir frigorifique ou dans la chambre froide de la morgue.

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Quel est le deuxième temps du traitement d’un corps avant la levée?

Après le séjour du cadavre dans les frigos de la morgue, le deuxième temps du traitement prend place le jour du retrait du corps par la famille. La veille de la mise en bière, des membres sont alors venus déposer les vê- tements les produits et, d’une manière générale, tout le nécessaire au traitement et à l’habillement du corps. La veille ou le jour même en fonction du temps mis, le mort est sorti du frigo où il reposait. On le laisse éventuellement décongeler un moment par terre ou sur une table de travail. Une ou deux heures avant l’heure convenue, on commence l’habillement.

Mais le mort est d’abord lavé sommairement à l’al- cool et au coton, puis emballé de coton et de popeline, un tissu blanc bon marché, sur toute l’étendue de son corps à l’exception des mains et du visage. Si le mort a des écoulements de sang par le nez pendant qu’on le manipule (lorsqu’on le retourne en particulier), on lui couvre momentanément la tête d’un sac en plastique, afin que le sang ne tache pas les vêtements qu’on va lui enfiler par la suite.

Si ses dents sont apparentes entre les lèvres, on les cou- vre d’un peu d’ouate glissée entre celles-ci et les gen- cives, parce qu’il n’est pas convenable qu’elles restent ainsi visibles : tout le travail de présentation du cadavre essaie de produire un mort paisible. Si le défunt présente des blessures sur une partie du corps ou si, plus rarement, une partie du corps est entrée en décom- position (par exemple suite à une panne des frigos), un sachet de plastique peut être appliqué sur la (ou les) partie(s) du corps concernée(s) avant la bande d’ouate.

Source: Essigan N°117