L'assassinat du premier dont le second est accusé, avec d'autres, est au cœur d'un procès qui s'est ouvert ce lundi à Ouagadougou. Les lignes qui suivent ne parleront pas de la fin tragique du révolutionnaire et tonitruant Capitaine Sankara, modèle des jeunes africains, encore moins des péripéties ayant abouti au procès, mais elles retracent l'histoire de ses liens avec Blaise Compaoré, son successeur à la tête du Burkina Faso.
Leurs deux noms marqueront à jamais l'histoire du Burkina Faso.
Inséparables frères d'armes à la fin des années 1970, Thomas Sankara et Blaise Compaoré ont ensemble mis un terme à la présidence de Jean-Baptiste Ouédraogo avec Henri Zongo et Jean-Baptiste Boukary Lingani avec le coup d'Etat de 1983.
Auparavant, Sankara, alors Premier ministre, avait été arrêté, avec Lingani. Un soulèvement populaire le libérera.
Ensuite, ils ont tous deux dirigé leur pays mais connaissent des fins de règne différents.
Mais si la présidence de Thomas Sankara, qui a remplacé Ouédraogo en 1983, a pris fin avec sa mort le 15 octobre 1987 dans des circonstances non encore élucidées, Blaise Compaoré a été chassé par un soulèvement populaire le 31 octobre 2014, après 27 ans au pouvoir.
L'ancien président burkinabé, aujourd'hui âgé de 70 ans, vit en exil en Côte d'Ivoire, un pays dont il détient la nationalité depuis 2015.
Un voyage dans le temps permet de comprendre les liens qui les unissaient.
Le journaliste malgache Sennen Andriamirado, fournit des détails plus précis dans son livre Sankara le rebelle (1987), une biographie consacrée au leader révolutionnaire burkinabè, quelques mois avant sa mort tragique.
Le journaliste avait rencontré les têtes de file de la révolution burkinabè à l'époque.
"De-là date notre amitié, précise Blaise. On ne se quittait pas. C'est à cette époque que nous avons pris l'habitude de manger ensemble tous les jours", écrit le journaliste citant Blaise Compaoré.
Plus loin dans le livre, le journaliste malgache, décédé en 1997, raconte que Thomas et Blaise ne se séparent plus après leur première rencontre au Royaume chérifien.
"Seuls instructeurs voltaïques, on les retrouve à partir de juin 1978 au Centre national d'entrainement des commandos ( CNEC) à Pô, à 147 kilomètres au sud de Ouagadougou. Sankara en est le commandant depuis 1976, Compaoré devient son adjoint" écrit-il.
Serge Théophile Balima, ancien conseiller en communication de Capitaine Thomas Sankara, confirme à BBC Afrique que les deux étaient extrêmement proches avant et durant les deux premières années de la révolution.
"Ils avaient deux tempéraments qui se complétaient de façon formidable : Sankara était exubérant, assez volubile alors que Compaoré était beaucoup plus discret, beaucoup plus réservé dans l'expression", révèle l'ancien collaborateur de Thomas Sankara à BBC Afrique.
"La consigne est de ne pas parler aux médias en ce moment", dit une sœur du défunt capitaine à la BBC.
Dans le film du journaliste sénégalais Barka Ba commémorant le 28ème anniversaire du décès de Thomas Sankara, Odile Sankara, sœur de Thomas, raconte: "Blaise était le fils adoptif de mes parents".
Paulette Sankara, autre sœur de l'ancien président, déclare dans la même production : "dans cette cour, Thomas, aîné des garçons, ne prenait pas les décisions mais c'était Blaise qui prenait les décisions ici. C'était un membre à part entière de la famille ".
Dans son livre le journaliste malgache, ancien rédacteur en chef de Jeune Afrique, confirme aussi que Blaise Compaoré "en plus d'être l'ami intime de Thomas était bien l'enfant d'adoption de la famille Sankara".
"Chaque 15 octobre quand la presse venait, Papa disait "j'avais deux fils, l'un n'est plus (Sankara) et l'autre est là (Blaise), je veux qu'il traverse cette porte et me dise ce qui s'est passé", raconte Odile Sankara, petite sœur du défunt Capitaine. Elle ajoute : "Papa a attendu des explications venant de Blaise jusqu'à sa mort en vain".
Pour sa part, Mariam Sankara révèle à BBC Infos que Blaise Compaoré ne lui jamais présenté de condoléances ou exprimé des regrets.
Blaise Compaoré a abordé une seule fois publiquement les détails entourant la mort de Thomas Sankara dans un entretien paru dans Jeune Afrique le 4 novembre 1987, moins d'un mois après les faits.
Il se défend d'être le commanditaire de l'assassinat.
Dans le même entretien, il raconte sa réaction à la découverte de la scène de crime.
"Lorsque je suis arrivé au Conseil de l'entente après la fusillade et que j'ai vu le corps de Thomas à terre. J'ai failli avoir une réaction violente contre ses auteurs. Cela aurait sans doute été un carnage dont je ne serais pas sorti vivant. Mais quand les soldats m'ont fourni les détails de l'affaire, j'ai été découragé, dégouté . Ils avaient des preuves qu'un complot contre mes camarades et moi-même se préparait pour 20 heures. Je suis resté prostré pendant 24h".
Quatorze personnes, dont Compaoré, sont actuellement jugées à Ouagadougou pour complicité ou implication présumée dans le meurtre de Sankara, il y a 24 ans.
Issiaka Kindo, représentant du parti de Blaise Compaoré à Abidjan, contacté par la BBC, préfère ne pas aborder la question des relations entre les deux hommes.
Comme lui, plusieurs responsables politiques burkinabè proche de Blaise Compaoré, contactés par BBC Afrique sur cette question ont décliné.
Blaise Compaoré a abordé la question des divergences avec Thomas Sankara dans son entretien du 4 novembre 1987 avec Jeune Afrique.
"Nous avons essayé de l'épauler au maximum mais son entourage l'a beaucoup influencé. Nous aurions pu concilier nos positions sur l'avenir du pays mais c'est le débat qui a manqué : ou plutôt le refus du débat a conduit au dénouement dramatique que nous avons connu. Thomas a incarné, à un moment de sa vie, l'espoir de notre peuple. Par manque de modestie il n'a pas su combler cet espoir », déclarait M. Compaoré quelques semaines après le décès de son ami et frère d'arme.
Les politiques de gauche radicale de Sankara ont été critiquées par les organisations de défense des droits de l'homme qui les ont qualifiées de draconiennes, nous rapporte Lalla Sy de la BBC qui est à Ouagadougou pour les besoins du procès.
Son style de leadership a même été remis en question par certains membres de son propre gouvernement.
"Je crois qu'on peut lui reprocher justement de n'avoir pas épousé assez vite le pluralisme démocratique. Et il a voulu confier le pouvoir au peuple en réalité et il a confié effectivement le pouvoir à des gens qui venaient vraiment du lumpen prolétariat, qui géraient ce qu'on appelait les comités de défense de la révolution et dans les faits, certains se sont retrouvés en train de commettre des exactions dans les quartiers, dans les villages et tout ça aussi a contribué à discréditer son pouvoir", explique Serge Théophile Balima.
Pourtant, l'influence de Thomas Sankara sur le continent était considérable. Il était perçu comme un champion du panafricanisme et s'opposait à la dépendance à l'aide étrangère.