Thomas Sankara: qui a tué le "Che Guevara africain"?

Sankara

Mon, 11 Oct 2021 Source: www.bbc.com

Trente-quatre ans, presque jour pour jour, après l'assassinat choquant de Thomas Sankara, alors président du Burkina Faso, quatorze hommes vont être jugés, accusés de complicité dans le meurtre de celui que l'on surnomme le "Che Guevara de l'Afrique".

Le charismatique panafricaniste a été abattu à l'âge de 37 ans par des soldats lors d'un coup d'État le 15 octobre 1987, qui a vu son ami proche, Blaise Compaoré, accéder au pouvoir.

Quatre ans auparavant, les deux hommes avaient organisé la prise de pouvoir qui a permis à Sankara de devenir président.

M. Compaoré figure parmi les 14 accusés, mais il est actuellement en exil en Côte d'Ivoire voisine, où il a fui après avoir été contraint de démissionner lors de manifestations de masse en 2014.

Il a nié à plusieurs reprises toute implication dans la mort de Sankara et boycotte le procès.

Malgré le temps qui passe, Sankara reste une sorte d'icône à travers l'Afrique - des autocollants arborant son visage ornent les taxis d'Afrique de l'Ouest, tandis qu'à l'autre bout du continent, en Afrique du Sud, le leader de l'opposition radicale Julius Malema le cite comme l'une de ses inspirations.

Pourquoi Sankara est-il considéré comme un héros ?

"Pour nous, Sankara était un patriote. Il aimait son peuple. Il aimait son pays. Il aimait l'Afrique. Il a donné sa vie pour nous", déclare Luc Damiba, secrétaire général du Comité du mémorial Thomas Sankara.

C'est sous son règne que le pays a été rebaptisé - de la Haute-Volta au Burkina Faso, ce qui signifie "pays des hommes intègres".

Sankara lui-même menait un style de vie austère. Il a réduit son propre salaire, ainsi que celui de tous les fonctionnaires.

Il a également interdit l'utilisation à des fins personnelles de chauffeurs du gouvernement et de billets d'avion de première classe.

L'éducation était une priorité essentielle - pendant qu'il était au pouvoir, le taux d'alphabétisation est passé de 13 % en 1983 à 73 % en 1987, et il a également supervisé une campagne de vaccination nationale massive.

Il a également redistribué les terres des propriétaires féodaux pour les donner directement aux agriculteurs pauvres, ce qui a entraîné une augmentation considérable de la production de blé.

Sankara appelait à une Afrique unie pour s'opposer à ce qu'il a appelé le "néocolonialisme" d'institutions telles que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.

Il aurait dit un jour : "Celui qui te nourrit, te contrôle".

Il a adopté une politique étrangère anti-impérialiste qui remettait en cause la domination de la France, qui conservait une énorme influence dans nombre de ses anciennes colonies en Afrique, comme le Burkina Faso.

Sa veuve Mariam a accusé la France d'avoir orchestré son assassinat.

"Il reste mon président. Ce qu'il a fait pour la population nous encourage, nous les jeunes, à faire comme lui", dit à la BBC un étudiant de l'université Thomas Sankara de Ouagadougou.

Une imposante statue en bronze de six mètres de haut au parc commémoratif Thomas Sankara dans la capitale, Ouagadougou, a été dévoilée en 2019, puis retravaillée l'année dernière suite à des plaintes concernant la première version.

M. Damiba indique que des plans sont en cours pour agrandir le parc, notamment une tour de 87 mètres de haut surplombant Ouagadougou.

Il y aura également un mausolée pour Sankara, une salle de cinéma et une médiathèque portant son nom. Ces installations devraient permettre de transmettre les idées révolutionnaires de Sankara aux générations futures.

Que disent ses détracteurs?

Les politiques de gauche radicale de Sankara ont été critiquées par les organisations de défense des droits de l'homme, qui les ont qualifiées de draconiennes.

Un rapport publié en 1986 par Amnesty International a révélé que des opposants politiques présumés étaient détenus sans procès et gravement torturés.

"Je pense qu'il était trop lent à accepter l'idée de la démocratie pluraliste et que ceux qui s'opposaient à lui ne pouvaient pas lui parler et être entendus", a déclaré Serge Theophile Balima, qui a été ministre de l'information dans le gouvernement de Sankara.

Le professeur Balima ajoute :"il voulait donner le pouvoir au peuple, il a donc délégué le pouvoir aux prolétaires qui dirigeaient les Comités de défense de la révolution (CDR), recrutés pour moraliser la vie publique et privée. En fait, ils se sont retrouvés à commettre des abus qui ont discrédité son pouvoir."

Dans une interview accordée au site Africa Report en 2020, l'ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo, évincé par Sankara, le décrit comme ayant "une part de cynisme et de machiavélisme politique".

Pourquoi le procès a-t-il pris autant de temps?

Son frère, Paul Sankara, a déclaré : "Nous avons attendu longtemps, tout au long des 27 années du régime de Blaise Compaoré. Sous son règne, nous ne pouvions même pas rêver de la possibilité d'un procès."

Sa veuve a déposé une plainte pénale en 1997 pour le meurtre de son mari, mais il a fallu 15 ans pour que la Cour suprême décide que l'enquête pouvait se poursuivre.

Cependant, peu de progrès ont été réalisés jusqu'au renversement de M. Compaoré en 2014.

L'année suivante, des restes présumés être les siens ont été exhumés, mais les analyses ADN n'ont pas permis de confirmer qu'il s'agissait bien des siens.

En 2016, les autorités burkinabè ont officiellement demandé au gouvernement français de rendre publics les documents militaires relatifs à l'assassinat de Sankara.

Ces archives ont été déclassifiées et transmises au Burkina Faso en trois étapes - la dernière en avril 2021.

Qui d'autre est jugé ?

L'ancien chef d'état-major de M. Compaoré, le général Gilbert Diendéré, et 11 autres personnes devraient comparaître devant le tribunal militaire.

Ils sont accusés d'"atteinte à la sûreté de l'État", de "complicité d'assassinat" et de "dissimulation de cadavres".

Diendéré est déjà en prison, après avoir été condamné à 20 ans pour son rôle dans un coup d'État manqué en 2015.

Parmi les accusés figure Diébré Jean Christophe, le médecin qui a signé le certificat de décès, déclarant que l'ancien président est mort de causes naturelles.

L'autre homme accusé par contumace est Hyacinthe Kafando, l'ancien chef de la sécurité de M. Compaoré, contre lequel un mandat d'arrêt international a été lancé.

Il est accusé d'avoir dirigé le groupe qui a tué Sankara et 12 autres personnes.

Quel sera l'impact du procès ?

On craint que le procès ne déstabilise davantage le Burkina Faso, qui est déjà aux prises avec de fréquentes attaques de groupes djihadistes liés à Al-Qaïda et au groupe État islamique.

M. Compaoré conserve une influence considérable dans le pays et certains analystes ont mis en garde les militaires qui lui sont restés fidèles contre la possibilité de créer des troubles.

Mais il y a peu de signes de cela.

Au contraire, le président Roch Marc Kaboré espère que le procès apaisera les tensions et favorisera la réconciliation nationale.

"Je ne crois pas qu'un tel procès puisse favoriser l'instabilité", a déclaré Mathieu Pellerin, analyste du Sahel à l'International Crisis Group (ICG), au magazine français Jeune Afrique en avril 2020.

"La réconciliation est rarement atteinte sans justice", a-t-il ajouté.

Source: www.bbc.com