Le Président nomme aux emplois civils et militaires. A sa seule discrétion. Ce pouvoir dévolu au chef de l’Etat est connu de tous les citoyens. Paul Biya, élu au suffrage universel, peut donc décider de qui sera nommé à tel poste et quand, sans en référer à qui que ce soit. Il n’en reste pas moins que dans l’exercice de cette prérogative, le chef de l’Etat ne fait pas seulement appel à ses intérêts politiques, il convoque aussi d’autres critères pour fonder son choix, sa décision. Lesquels, entre autres, tiennent compte de l’intérêt politique, des objectifs et des diversités linguistique et ethnique.
Le secteur de la sécurité semble bien échapper à tout cela comme le montre encore si bien le réaménagement gouvernemental du 02 mars 2018. Désormais, l’appareil sécuritaire dans son ensemble a totalement basculé entre les mains des régions du Centre et du Sud, créant une atmosphère de suspicion
et de méfiance, et donnant l’impression d’une radicalisation du pouvoir. Avant le limogeage de Jean Baptiste Bokam de la gendarmerie nationale, cela était déjà plus ou moins le cas sur le champ de la symbolique - ce dernier est officiellement originaire de la région de l’Est -, mais sa présence élargissait tout de même le périmètre géographique des personnalités en charge de la sécurité.
Du coup, aujourd’hui, qu’avons-nous dans le vase qui renferme les mains en charge de la sécurité ? Joseph Beti Assomo, ministre délégué à la présidence de la République en charge de la Défense (Centre); Galax Yves Landry Etoga, secrétaire d’Etat en charge de la gendarmerie (Centre); Martin Mbarga Nguélé, patron de la police (Centre); Leopold Maxime Eko Eko, directeur général de la Direction générale de la Recherche extérieure (Centre); général de brigade Amougou Emmanuel, chef d’état-major particulier du président de la République (Centre); général de corps d’armée, René Claude Meka, chef d’état-major des armées (Sud); lieutenant-colonel Beko’o Abondo Raymond Jean Charles, commandant de la Garde présidentielle (Sud). Que reste-t-il ?
Le fameux Bataillon d’intervention rapide (BIR), la fierté du chef de l’Etat, sa plus belle réussite militaire ! Commandée par un général israélien, cette unité spéciale est placée sous l’autorité directe du chef de l’Etat, autrement dit, son interlocuteur au quotidien n’est autre que le secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh (Centre), lequel chapeaute déjà en pratique la police et les renseignements.
Cette concentration des leviers sécuritaires entre sertes les mains des ressortissants de l’ère géographique du chef de l’Etat n’est pas nouveau. Sous le règne de son prédécesseur, Ahmadou Ahidjo, les Nordistes avaient eux aussi confisqué l’appareil sécuritaire du pays. Mais jamais ce dernier n’avait-elle pas poussé le bouchon aussi loin en attribuant aux siens la totalité des postes stratégiques. Sous Ahmadou Ahidjo, le patron de la police, le chef des Renseignements, le chef d’étatmajor des armées n’ont par exemple, jamais été originaires du Nord…
La sécurité du pays, des hommes et des biens est-elle pour autant assurée ? Les spécialistes le confirment. Engagé sur plusieurs fronts, le Cameroun relève pourtant les défis à la surprise de plusieurs observateurs. Mais, le problème pour d’aucuns, ne se pose pas en terme d’efficacité mais de participation aux affaires du pays. «Cette façon abrupte de faire peut donner le sentiment aux autres de n’être que des supplétifs. On peut arriver aux mêmes résultats en y mettant de la forme, de l’élégance. Là c’est trop direct, trop brut», relève un ancien ministre de la Défense.