Transferts illicites de capitaux : la révélation sur Louis Paul Motaze qui fait froid au dos

Louis Paul Motaze Minfi Signature Transferts illicites

Tue, 4 Feb 2025 Source: La nouvelle n°796 du 3 février 2025

Dans cette édition, nous allons tenter de décrypter la kyrielle de curiosités observées en parcourant cette sulfureuse affaire de transferts illicites des capitaux. Ceci, en pénétrant au cœur du Triangle des Bermudes, fortement constitué autour de certaines banques et du ministère des Finances. Des curiosités qui font frémir, d’autant que les transactions illicites se font à la barbe et au nez des autorités camerounaises depuis plusieurs années. En toute impunité.

Les premières curiosités avec Alamine Ousmane Mey. « Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark » disait Marcellus dans Hamlet. Sans doute y a-t-il aussi quelque chose de pourri au ministère des Finances, dans le cadre de la gestion de cette affaire des transferts illicites de capitaux à l’étranger depuis de nombreuses années. Sauf que, à la différence de la pièce de Shakespeare, ce qui se trame dans les recoins de ce ministère, depuis Alamine Ousmane Mey jusqu’à Louis Paul Motaze aujourd’hui, ne relève pas de la fiction, mais d’une réalité qui fait froid dans le dos.

En effet, c’est l’Agence nationale d’investigation financière (Anif) qui lève le lièvre : « (…) les commerçants d’origine chinoise se livrent à des pratiques constitutives à la fois de fraude fiscale et de concurrence déloyale ». Puis elle dénonce en donnant aussitôt l’alerte : « Eu égard aux conséquences néfastes desdites pratiques sur les finances publiques, sur l’économie camerounaise dans son ensemble et éventuellement sur la sécurité nationale, il a semblé impératif de les porter à votre haute attention ».

Voilà l’alerte que donne l’Anif à l’adresse du ministre des Finances de l’époque, Alamine Ousmane Mey, dans un volumineux rapport qui met en lumière tous les flux financiers qui partent du Cameroun vers la Chine. Une fois informé, le Directeur général des douanes diligente aussitôt une mission de contrôle auprès de toutes les banques du Cameroun. Cette mission a à sa tête l’inspecteur principal des douanes, Mbarga Bekono.

À mi-parcours de leur enquête, ladite mission découvre que 4000 milliards de Fcfa ont déjà été transférés illicitement dans des paradis fiscaux sous le fallacieux prétexte des importations de marchandises à l’étranger. Plus grave : la mission de contrôle découvre que les Chinois ne sont pas les seuls à opérer ces transactions frauduleuses. Qu’en dehors de ceux-ci, les importateurs camerounais animent activement des réseaux tentaculaires bien huilés dans plusieurs banques camerounaises. Alors, que fait le ministre des Finances, Alamine Ousmane Mey ? Il se précipite plutôt à créer par note de service N°004349/Minfi/Cab du 21 juin 2017, un curieux comité adhoc chargé d’examiner le contentieux opposant l’administration des douanes à l’Association professionnelle des établissements de crédit du Cameroun (Apeccam).

Une démarche frappée du sceau de l’illégalité. Car pour les experts, en créant ce comité ad-hoc, le ministre des Finances viole la loi de Finances N°2007/ du 26 décembre 2007, adoptée à l’Assemblée nationale et promulguée par le président de la République. Plus grave, Alamine Ousmane Mey nomme, à travers une autre note de service référenciée N°004460/Minfi/Cab du 10 août 2017, les membres dudit comité ad-hoc. À travers certains membres dudit comité, l’on décèle très vite la main manœuvrière de certaines banques comme Afriland First Bank et autres City Bank.

Des banques qui sont justement accusées par la douane camerounaise, d’avoir illicitement transféré des centaines de milliards de Fcfa dans les paradis fiscaux en se servant des déclarations d’’importation du ministère du Commerce. En outre, Nana Djibrila, inspecteur général des services des régies financières au Minfi, président du comité adhoc, est soupçonné d’être le pion de l’Apeccam. De même que Mme Fotso Tchangoum Laure, directeur des opérations à City Bank, mais présentée, pour les besoins de la cause dans la note de nomination d’Alamine Ousmane Mey, comme directeur des opérations d’Apeccam.

Ainsi, comme pris au piège d’un étrange vertige collectif, face à toutes ces curiosités, les observateurs n’hésitent pas à faire le parallèle avec le passé d’Alamane Ousmane Mey comme ancien Dg d’Afriland First Bank de Paul Fokam Kammogne. Et il y a là en ce moment, de quoi commencer à échafauder les scénarios les plus délirants… De quoi aussi conclure par une autre citation de Shakespeare, tirée de « La Mégère apprivoisée » : « Il y a peu à choisir entre des pommes pourries ».

Les autres curiosités avec Louis Paul Motaze

Quand Louis Paul Motaze arrive à la tête du ministère des Finances, le 2 mars 2018 tous ceux qui suivent ce sulfureux dossier à la direction générale des douanes, n’ont d’yeux que pour ce « fils » de Paul Biya à qui rien ne semblait pouvoir résister. Ceux qui le connaissent ainsi depuis des lustres, n’ont dans leur mémoire que les souvenirs fastes de ce brillant technocrate qui prêche jusqu’alors par son exemplarité et sa probité partout où il passe. L’hypothèse d’une certaine connivence avec les importateurs et les banquiers véreux, eût semblé, en ce moment, improbable. Connu comme un homme d’action et de poigne, et doté d’une personnalité indéboulonnable, il va plutôt briller par un attentisme suspect quand il trouve ce dossier sur sa table. Les premières excuses sont très vite trouvées. Apparemment, pour ne pas gêner son prédécesseur, il aurait délibérément choisi de s’astreindre, dans un premier temps, au silence. Pour se donner, dirait-on, le temps de mieux voir clair. Pourtant, les premiers couacs apparaissent quand il est interpellé sur cette affaire des transferts illicites des capitaux par le président de la République à travers une correspondance que le ministre Directeur du Cabinet civil de la présidence de la République, Samuel Mvondo Ayolo, lui adresse au débotté, le 15 mai 2019.

Voici ce que le président de la République demande à Louis Paul Motaze : « de relancer le contrôle engagé par la direction générale des douanes auprès des banques commerciales concernées en veillant au maintien de la même équipe de contrôle dont le chef de mission Monsieur Mbarga Bekono, inspecteur principal des Douanes à la retraite, serait d’un concours opportun et indéniable ; de vider tous les dossiers contentieux y relatifs en instances à la Dgd. L’équipe devra engager la phase 2 de cette opération visant les opérateurs économiques, ainsi que les institutions bancaires impliquées dans les actes de fraude les assignant au remboursement des sommes querellées ; de renforcer le comité d’appel, instance arbitrale prévue respectivement par le code des Douanes, le règlement Cemac et la loi des Finances 2008 en mettant à sa disposition des moyens conséquents et susceptibles d’optimiser son rendement, notamment les dispositifs sécuritaires, financiers, logistiques pour ses membres. Il reste attendu que la création de toute autre forme de comité est à proscrire. » À souligner à grands traits cette haute instruction du président de la République : « Il reste attendu que la création de toute autre forme de comité est à proscrire ». Et quelle sera la réaction de Louis Paul Motaze après cette haute instruction du président de la République ? Question ouverte…

Plus grave : le président Paul Biya, himself, demande ceci à son « fils » Louis Paul Motaze qu’il vient de nommer au ministère des Finances (assurément pour réparer toutes les erreurs du sieur Alamine Ousmane Mey, car il est l’homme le plus informé de la République) : « de mettre en place en liaison avec la banque centrale et les banques commerciales impliquées, un mécanisme de rapatriement systématique des recettes d’exportations constatées par la mission de contrôle ; d’infliger des sanctions à tous les acteurs reconnus coupables des actes de fraude conformément à la réglementation en vigueur ». Et que fait Motaze après cette haute instruction présidentielle ? Question ouverte… Le président de la République va jusqu’au moindre détail, lui expliquer comment ces sanctions seront infligées en ces termes : « À ce titre, la pénalité de principe accordée de manière exceptionnelle ne saurait être inférieure à la moitié de la pénalité prévue par le règlement N°02/00/Cemac/Umac/Cm du 29/04/2000 portant harmonisation de la réglementation des charges dans les États membres de la Cemac ; de sanctionner et de traduire devant les juridictions compétentes, tous les intervenants (Minifi, Mincomerce, Banques) ayant participé de près ou de loin à la naissance, l’évolution et l’implication de ce phénomène de fraude, d’évasion fiscales ».

Voilà les hautes instructions du président de la République. Curieusement, Louis Paul Motaze, ce « fils » bien aimé par son « père » pour son intelligence et son érudition, et qui passe pour un fidèle serviteur de son « père », les a-t-il exécutées à la lettre comme elles ont été énoncées ? Sinon, pourquoi ? Comment ne donnerait-on pas foi à tous les clichés que lui portraiturent ses nombreux détracteurs dont la plupart se recrutent dans le Dja et Lobo, son département d’origine, et qui lui trouvent à la fois un visage d’ange et surtout les traits dissimulés d’un Judas ventru, en costume-trois-pièces ? Toujours dans la même foulée, le président de la République lui demande avec une insistance résolue pour qu’une attention particulière soit portée sur les cas de blanchiment d’argent à travers la technique des comptes non-résidents et de détournements des derniers publics à travers la non-liquidation de la taxe d’inspection à recouvrer. Voici le propos du président Paul Biya à l’occasion : Il lui demande « de recouvrer les droits, taxes et amendes inhérents au contrôle des sorties des marchandises au Port autonome de Douala ; de relancer les services du Premier ministre (Spm) en vue de procéder à la relecture du décret N°2017/6523/Pm du 7 juin 2017 fixant les modalités d’application de la loi N° 2016/004 du 18 avril 2016 régissant le commerce extérieur du Cameroun ». Et que fait Louis Paul Motaze ? Question ouverte…

Mais, parce que le président de la République qui vient de nommer Louis Paul Motaze au ministère des Finances pour corriger certaines erreurs de son prédécesseur, sait aussi que l’attentisme complaisant dont commence à faire preuve le nouveau Minfi aura pour sûr, à court, à moyen et à long terme, des conséquences désastreuses sur notre économie, il lui donne un délai de deux mois pour s’exécuter. Suffisant pour mettre la pression sur Louis Paul Motaze dont l’attentisme commence à inquiéter en haut lieu. Pour ce faire, on lui demande de faire très vite le point des diligences entreprises, avec le ministre Dcc, Samuel Mvondo Ayolo, « pour compte-rendu circonstancié au chef de l’État ». Curiosité des curiosités : Louis Paul Motaze ne bouge pas. Même pas d’un pouce. Tout cela, on le voit, est loin d’être simple. Et l’est d’autant moins que cette sulfureuse affaire est un héritage de Alamine Ousmane Mey qui le remplace au Minepat où sa gestion de la ligne 94 est au centre de la controverse publique et administrative depuis quelques années. Passons !

Louis Paul Motaze semble réagir après coup. Mais un an plus tard. C’est-à-dire le 30 novembre 2020, quand il crée un groupe de travail par décision N° 20/351/Cf/D/Minfi/Sg /Dag, portant création et fonctionnement du groupe de travail ministériel chargé d’identifier les agissements frauduleux constatés au cours de la mission de contrôle auprès des banques et du Port autonome de Douala (Pad), et de proposer toutes les mesures correctives nécessaires. Curiosité : ici, les instructions du président de la République transmises par le biais de la correspondance que lui adresse le 15 mai 2019 le ministre Dcc, sont tout de go balayées d’un revers de la main. À titre de rappel, voici ce que le président lui dit dans cette correspondance : « Il reste attendu que la création de toute autre forme de comité est à proscrire. » Mais comme on l’observe, en créant le groupe de travail ministériel, il n’en a cure. D’ailleurs, pour servir une cause qui n’est pas celle motivée par les hautes instructions du président, Louis Paul Motaze place à la tête de son groupe de travail, Placide Benoit Mevoua, chef de la division des affaires juridiques du Minfi. Celui-ci est assisté du conseiller technique N°2, en charge du trésor au Minfi, du Conseiller technique N°4 en charge des douanes et de plusieurs responsables des douanes et du trésor au Minfi. Toute une coterie pour noyer le poisson dans l’eau…

Curiosité : au lieu de se mettre aussitôt au travail, ce groupe de travail se contente de quelques rares réunions de concertation. Entre temps, au niveau de la Beac, il y a déjà un assèchement drastique en devises dans notre compte d’opérations, à la suite des importants et pernicieux transferts illicites de fonds à l’étranger qui continuent imperturbablement à se faire à travers certaines banques.

La première et véritable réunion de travail de ce groupe de travail crée par Louis Paul Motaze, se tient au mois de décembre 2021. C’est-à-dire, un an pratiquement après la création dudit groupe de travail. Autre curiosité, et pas des moindres ; lors de ces assises de décembre 2021, tous les membres du groupe de travail crée par Motaze, décident (à l’unanimité) de sanctionner les banques fautives. Jusqu’à ce jour, (en attendant que le ministre réponde à notre questionnaire), aucune banque n’a réellement été sanctionnée.

Le comble, c’est qu’une des banques fautives, en l’occurrence Afriland First Bank, va le saisir par une correspondance datée du 23 décembre 2021 pour un arrangement à l’amiable. Ceci, comble d’ironie, en passant pratiquement aux aveux. Mais là encore, Louis Paul Motaze va très vite réagir en organisant plutôt une curieuse et étrange réunion entre tous les directeurs d’Afriland First Bank, le Dg des Douanes et l’équipe de la mission de contrôle. Au terme de ladite réunion, il va curieusement encore, notifier aux dirigeants d’Afriland First Bank de payer une simple pénalité de 35 milliards de Fcfa. Au lieu des 600 milliards de Fcfa initialement infligés par la mission de contrôle de la douane. Ce qui est aux antipodes des hautes instructions du président de la République Paul Biya, son « père », qui attend toujours jusqu’à ce jour le compte-rendu des assises de décembre 2021.

En ce début d’année 2024, posez la question aux quidams que vous rencontrerez au hasard d’une rue, à Yaoundé, Douala, Bafoussam ou Garoua, sur ce qui les révulse le plus dans la nouvelle loi des finances qui vient d’être adoptée par les parlementaires, et vous obtiendrez quasi invariablement la même réponse : les nouvelles taxes imposées aux Camerounais, dans un contexte de crise inflationniste, de précarisation des conditions de vie, de sous-emploi généralisé et d’incapacité de l’État à amortir efficacement les chocs dus au ralentissement de la croissance. Pourtant voilà près de 4000 milliards que, de manière délibérée et obstinée, Louis Paul Motaze se refuse de faire entrer dans les caisses de l’État. Pourquoi ? Question ouverte.

Source: La nouvelle n°796 du 3 février 2025