Aysha Moarri, 45 ans, sanglote en caressant un sac mortuaire blanc matelassé à l'arrière d'un camion.
"Comment peux-tu me laisser derrière toi ? Tu étais la seule raison pour laquelle je suis restée en vie... Comment puis-je respirer maintenant ?"
Sa fille est à l'intérieur. À côté d'elle se trouvent les corps de cinq autres membres de sa famille.
C'est un autre après-midi froid et lumineux au poste-frontière de Bab al-Hawa, tenu par l'opposition, entre le sud de la Turquie et le nord-ouest de la Syrie.
Des familles de réfugiés syriens qui ont perdu des êtres chers dans le tremblement de terre qui a frappé le sud de la Turquie la semaine dernière sont rassemblées pour aider à rapatrier les corps.
Autour de nous, l'odeur lourde de la mort flotte dans l'air.
Aysha, son mari Nouman et leur petite-fille Elma, âgée de quatre ans, sont les seuls survivants de l'effondrement de l'immeuble de six étages dans lequel ils vivaient.
Ils ont perdu deux filles, un fils et deux petites-filles, et sont toujours à la recherche de leur gendre.
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Le nom de chaque victime syrienne amenée à Bab al-Hawa est écrit au stylo bleu sur les sacs, afin de s'assurer qu'ils puissent être identifiés une fois de retour chez eux.
"Prenez bien soin les uns des autres. Ma chère Shirin, prends soin de ton frère, de ta sœur et de mes petits-enfants adorés..." Aysha sanglote, embrassant le corps de sa fille à travers le tissu blanc.
Alors qu'elle commence à s'éloigner, les doigts d'Aysha s'attardent sur le camion, ne voulant visiblement pas le lâcher.
"Cette nuit-là, nous nous envoyions encore des textos sur WhatsApp jusqu'à tard. Nous n'arrivions pas à dormir", raconte-t-il.
Vers 4 heures du matin, il a reçu un SMS de Viam : "Tu t'es réveillé ? J'ai fait un cauchemar bizarre", écrit-elle.
Ils étaient en plein appel vidéo lorsque la terre s'est mise à trembler.
"Je venais de lui dire qu'elle ne devait pas penser à ce mauvais rêve. Et puis nous nous sommes dit que nous nous aimions. Elle était assise sur son lit et riait tranquillement", se souvient Ali, qui s'efforce de ne pas fondre en larmes.
"Je l'ai vue essayer de courir, mais son téléphone était branché, ce qui ralentissait son mouvement. Puis l'image s'est figée. L'écran est devenu noir."
Préparateur physique ayant une expérience d'entraînement au combat avec l'opposition armée en Syrie, Ali a pu se protéger en rampant sous la table de sa chambre.
"Quand le tremblement de terre s'est terminé, je suis sorti en courant. Tout notre quartier était dévasté. Je ne me souviens plus comment j'ai marché jusqu'à la rue où elle (Viam) vivait. Cela m'a pris deux fois plus de temps, car toutes les routes étaient bloquées", raconte Ali.
Les Syriens doivent aider les Syriens, ajoute-t-il.
Au cours des dix premiers jours qui ont suivi le tremblement de terre, plus de 2 306 corps ont franchi la frontière syrienne, selon les autorités turques.
La police des frontières turque, qui ne peut s'exprimer que sous le couvert de l'anonymat, nous dit que cette opération a été massive et difficile à coordonner. Parfois, les secouristes sont prêts à envoyer les corps mais on n'est pas prêt à les recevoir de l'autre côté de la frontière - et inversement.
Alors que nous nous préparons à partir, nous voyons un homme câlinant le corps de son bébé de 25 jours enveloppé dans une petite couverture, demandant de l'aide pour ramener son corps chez lui, dans une partie de la province d'Idlib tenue par l'opposition.
La famille Moarri a finalement retrouvé la dernière personne qu'elle cherchait - le corps de son gendre - dix jours après le tremblement de terre.
J'ai demandé à Ali pourquoi les réfugiés syriens envoient les corps de leur famille en Syrie.
"C'est notre maison. C'est là où nous espérons et croyons encore qu'un jour nous retournerons. Nous voulons que nos proches nous y attendent".