Le cinéaste camerounais Jean-Pierre Bekolo s’oppose à la création de plateformes qui font la promotion exclusivement de certaines ethnies. Il donne ses raisons dans ce texte.
Je suis opposé au concept de la BAMILEKE CONVENTION, tout comme je suis contre la EKANG CONVENTION, la BASSA CONVENTION, la PEULH CONVENTION, la SAWA CONVENTION, et toutes autres conventions tribales. S'il doit y avoir une convention, ce devrait être une convention camerounaise. Je fais partie de ceux qui croient encore, peut-être naïvement, au Cameroun en tant que nation, plutôt qu'en des identités tribales. Je m'oppose à tout mouvement qui exclut d'autres Camerounais sur la base de leur appartenance tribale. Pour moi, toute convention qui divise les Camerounais est inacceptable.
La question que je pose est la suivante : comment détermine-t-on l'identité tribale dans ces cas ? Comment prouve-t-on que quelqu'un appartient ou non à une tribu ? Et que se passe-t-il si une personne ne fait pas partie de cette tribu ? Cette idée de tri est effrayante, surtout quand on connaît les aspects sombres de l'histoire humaine, car même au sein de ces grandes entités tribales, il est encore possible d'effectuer des discriminations internes.
Je suis attiré par la pensée marxiste qui divise l'humanité en deux catégories : la bourgeoisie et le prolétariat, ou leur équivalent. Je suis également séduit par le rêve panafricain de Nkrumah et Marcus Garvey, qui prônaient l'unité des Africains plutôt que leur division. Je refuse de croire que l'Afrique dont je rêve appartient au passé, et que le seul projet que nous ayons à offrir est le repli identitaire tribal. Je veux croire que l'homme noir a quelque chose de significatif à apporter à l'humanité entière, que nous pouvons inventer une nouvelle façon de coexister avec les autres peuples.
Je veux croire que nous ne sommes pas de simples parasites, là pour profiter des autres sans rien leur apporter en retour. Je comprends que c'est en l'absence d'un projet d'avenir qu'on se tourne vers le passé, mais je refuse de croire qu'il nous soit si difficile d'inventer quelque chose de nouveau, au point que, par paresse, nous nous contentions de ce que d'autres ont laissé derrière eux.
Nos défaites lors des luttes coloniales ne devraient pas nous pousser à une auto-glorification sans fondement ni victoires réelles, simplement pour apaiser des égos qui souffrent chaque jour en comparaison des autres peuples qui, malgré les mêmes conditions initiales, réussissent à se frayer un chemin vers un véritable destin.
De quoi avons-nous l’air avec ces rassemblements folkloriques, sinon des marionnettes, surtout quand les tribus que nous célébrons restent une invention des colonisateurs qui ont regroupé certaines personnes arbitrairement ? Ayons le courage de nous réinventer, d'œuvrer pour un projet unificateur qui nous rassemble, et de rejeter tout ce qui nous divise.
Mon idéal serait que tout ce qui relève de la tribu soit interdit au sein de la République et relégué au patrimoine, au tourisme et à l'éducation, pour que ces éléments soient préservés et que tous puissent étudier et s'approprier toutes les cultures du Cameroun. Ces conventions tribales, qui ne cessent de se multiplier, ne sont que des démonstrations de force, des guerres d'intimidation pour le pouvoir, opposant les uns contre les autres.
Étant donné que chaque tribu a ses pratiques ésotériques, il est évident que nous sommes déjà engagés dans une guerre tribale, paradoxalement, pour s'accaparer un pouvoir créé par les colonisateurs, qui ont ignoré les tribus pour construire un État moderne non tribal.
Il est temps de tourner le dos aux pratiques obsolètes, comme la sorcellerie, qui n'ont pour but que de nuire à son propre frère. Si les tribus sont si puissantes, pourquoi ne créent-elles pas leur propre État ? Pourquoi ne quittent-elles pas la République pour laisser les autres en paix ? La République n'est pas obligatoire.
Après tout, le Cameroun reste une invention des colonisateurs. Si la tribu est ce qui nous importe le plus, nous risquons de détruire ce que nous cherchons à obtenir : la domination d'une tribu sur les autres au sein de la République. C'est une perspective dangereuse car elle porte en elle les germes de la guerre tribale. Chacun espère secrètement dominer les autres. Avec une telle mentalité, l'implosion d'un pays déjà fragmenté sur des bases tribales est inévitable, suivant la logique du "chacun chez soi".
Le "Bami Power", le "Bassa Power", le "Ekang Power", le "Peulh Power", le "Sawa Power" et tous les autres "powers" tribaux ne sont rien d'autre que des agitations villageoises régressives, issues de peuples dépassés par la modernité. Sous le prétexte de la promotion culturelle, ils restent prisonniers du passé, incapables de s'organiser avec les autres, de se réinventer, et de contribuer sérieusement à l'humanité entière. Il faut bannir tout cela avant qu'il ne soit trop tard !