Vente des africains en Libye: Jean-Emmanuel Pondi se prononce

Emmanuel Pondi2 Jean-Emmanuel Pondi

Fri, 24 Nov 2017 Source: camer.be

La planète toute entière vient d’être scandalisée par la vente aux enchères de migrants en Libye. A votre avis, qu’est-ce qui peut expliquer ce phénomène ?

En réalité, il s’agit de la résultante d’un chaos structurel qui est en train de s’installer dans ce pays, résultante d’une déliquescence qui a commencé en 2011 avec l’assassinat du guide Mouammar Al-Kadhafi sous des prétextes aujourd’hui manifestement fallacieux. La Résolution 1973 qui était supposée protéger la société civile libyenne a réellement servi à assassiner un chef d’Etat en exercice dans son pays et à l’intérieur de son propre territoire.

C’est une grande première malheureuse et aujourd’hui, on se rend compte que les conséquences tragiques dépassent la violation juridique pour aller dans la désorganisation totale, complète, socio-économique, politique et maintenant culturelle de ce pays. En deuxième lieu, on peut également dire qu’il faut remonter à l’histoire des relations entre le nord de l’Afrique et la partie sub-saharienne, pour le relever et le déplorer naturellement, que la traite des esclaves transsahariens a duré douze siècles.

Alors que le commerce transatlantique, toujours des mêmes esclaves, a, lui, duré trois siècles. Il ne faut se réjouir ni de l’un, ni de l’autre des deux commerces sus-évoqués. Mais, il est resté quand même des habitudes et des comportements vis-à-vis des Noirs subsahariens qui ressortent aujourd’hui dans cette situation de chaos total. Il est à déplorer qu’on en arrive à ce point où l’Humanité des êtres est totalement bafouée quand on vend des êtres humains à 200, 400 euros, c’est le comble de l’abomination

A vous entendre, ce drame ne serait pas arrivé si l’OTAN n’avait pas bombardé la Libye et fait tuer Muammar Kadhafi ?

Le leader Kadhafi n’était pas un saint et personne ne saurait le nier. Il a commis des erreurs et des fautes assez graves en demandant le bombardement jusqu’à deux avions de ligne transportant des civils. Ceci est vrai. Mais la question qui reste aujourd’hui à poser est celle de savoir qu’est-ce qui était mieux ? La Libye qui était la première puissance économique d’Afrique ou la Libye qui est totalement chaotique, ingouvernable et à travers laquelle passent toutes sortes de trafics, y compris maintenant, hélas, les trafics humains? Il me semble que, en toute bonne conscience, la réponse est que la Libye d’avant 2011 ne peut en rien être comparée à ce qui se passe aujourd’hui. On nous avait promis développement, démocratie et progrès de la Libye dans un hypothétique Conseil national de transition (CNT), soit disant. On nous avait parlé des amis de la Libye de l’époque. On nous a montré et fait miroiter des changements supposément démocratiques de la Libye.

Où nous trouvons-nous aujourd’hui? Voilà la seule question que nous devons nous poser. Les Libyens comme les Africains ont été dupés et il faut au moins avoir le courage de reconnaitre ces erreurs au lieu de se réfugier dans une arrogance qui est insultante aux victimes. Je pense que c’est aussi ça la grandeur des nations. La grandeur des civilisations c’est aussi de reconnaitre quand on a erré.

Mais, nous sommes toujours face à des gens qui ont toujours un discours assez arrogant et condescendant alors qu’ils ont crée un chaos total et indescriptible en Libye. Ceux qui sont responsables de ces forfaits doivent répondre de cela devant la justice internationale. Il est vraiment impératif de ne pas avoir deux systèmes judiciaires, l’un pour les pays supposément pauvres et l’autre pour les pays prétendument riches. Voilà ce à quoi nous sommes en train d’assister aujourd’hui et c’est vraiment déplorable.

Quelle peut être la part de responsabilité des Africains dans cette tragédie ?

Le fait pour les Africains d’avoir une obsession du départ est une fatale erreur. Il n’y a pas d’eldorado hors d’Afrique. Puisque l’Afrique contient des richesses qui sont loin d’être explorées. Il faut que nous nous réorganisions, mais que nous croyions en nous-mêmes. Ce qui est le plus grand déficit dont nous devons reconnaitre l’existence. Les Africains ne croient pas en eux, ne pensent pas que l’Afrique peut s’organiser. La plupart des Africains sont extravertis. Ils pensent que le bonheur d’Afrique vient hors d’Afrique. Je suis au regret de dire que ce sont des illusions fatales et suicidaires.

Il n’y a pas de continent qui se soit développé simplement en comptant sur les autres. Il n’y a pas d’exemple de continent qui ait prospéré en ne comptant que sur l’aide internationale. Je suis résolument pour la coopération internationale, mais à condition que celle-ci vienne en sus de nos propres efforts.

Nous devons être au centre de notre processus de changement et de progrès. Les autres de la communauté internationale peuvent venir en appendice, mais pas comme le moteur de ce développement comme nous semblons le croire dans notre manière de réfléchir. Pour ma part, j’en appelle à un changement de paradigme, de comportement et de rapports vis-à-vis de nous-mêmes. Nous ne pouvons pas nous développer en espérant que c’est l’immigration qui va nous développer.

Ça ne s’est vu nulle part et un continent comme l’Afrique est un continent où se trouve logée la plupart des richesses du monde. Les jeunes Africains quittent cette terre où se trouvent ces richesses pour se rendre à leurs risques et périls là où on les transforme. Voilà le grand paradoxe. Je suis pour une coopération internationale où nous sélectionnons les termes de cette coopération et les domaines qui nous semblent probants pour notre propre devenir. Ce qui se passe en Libye est vraiment la négation de l’Humanité africaine .

Source: camer.be