Elle est sans équivoque, la définition du pouvoir donnée par le président de la République au cours de l’interview accordée à Eric Chinje de la Crtv en 1987, expliquant à demi-mots le limogeage sans ménagement de William Eteki Mboumoua de ses fonctions de Ministre des Affaires étrangères, pour « faute lourde », parce que, avaient estimé les observateurs avertis, celui-ci avait signé avec le vice-ministre des Affaires étrangères de la Hongrie un communiqué annonçant la volonté de leurs deux pays d’établir des relations diplomatiques. Paul Biya avait dit au journaliste : « il suffit d’un coup de tête pour que vous ne soyez plus le rédacteur en chef ». Ce qui a laissé planer et installé la peur et la méfiance parmi ses collaborateurs.
Michel Roger Emvana explique dans son excellent livre, intitulé Paul Biya - Les secrets du pouvoir, que « En 1987, Paul Biya veut prouver qu’il ne se contente plus de régner sans gouverner. Il règne et gouverne. Il est le maître de ses décisions. Il impose son rythme et sa cadence. Biya veut montrer qu’il est le patron. » La leçon semble avoir été bien retenue et sans doute avec trop de zèle ou de prudence. Dans cette interview devenue célèbre, d’ailleurs l’une des rarissimes accordées par Paul Biya à un média camerounais, le Président de la République avait tenu à préciser : « J’ai certes demandé aux ministres de prendre des responsabilités. Mais, attention, il y a des limites ». Depuis lors, tous ses collaborateurs ont une peur bleue de ses « coups de tête ». Personne n’ose lui porter la moindre contradiction au risque d’être au mieux limogé, au pire embastillé. Même si ces derniers temps, on peut se demander si toutes les responsabilités, toutes les décisions, prises par certains sont valides.
Au doigt et à l’œil
On comprend pourquoi chaque fois qu’elles prennent la parole, les personnalités politiques camerounaises jonchent leurs déclarations de « sur très hautes instructions du président de la République » et de « selon les hautes orientations du chef de l’Etat ». Déclinant ainsi toute responsabilité. S’agissant du serment prêté par les membres des structures dédiées aux élections, les mauvaises langues prétendent qu’il n’est rien d’autre qu’un miroir aux alouettes.Ainsi, nommés par le président de la République, les membres d’Elections Cameroon (Elecam) et du Conseil constitutionnel ne peuvent que lui faire allégeance et non servir l’intérêt général et supérieur du pays. Pour emprunter au vocabulaire de l’un de ses inconditionnels, tous sont « ses fabrications », donc ses obligés.
Dès lors, oser aller à l’encontre de ses intérêts serait considéré comme un « parricide ». C’est le président de la République qui fait le casting et nomme « ses hommes ». Certes pour le Conseil constitutionnel, il n’en désigne que trois sur onze, dont le président du Conseil, mais les huit autres sont proposés par l’Assemblée nationale (trois), le Sénat (trois) et le Conseil supérieur de la Magistrature (deux), toutes des structures dont les présidents sont nommés par le chef de l’Etat, donc qui, en l’occurrence, agissent «sur très hautes instructions» de celui-ci. Régime présidentiel – ou présidentialiste oblige –, le président de la République concentre tous les pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. Il est le maître du jeu politique, en fixe les règles et choisit les acteurs. Ce ne sont pas ceux qu’il désigne pour légitimer son action qui peuvent oser le mettre en difficulté. Ils lui doivent tout.
Pourtant ces membres d’Elecam et du Conseil constitutionnel sont censés garantir la transparence, l’impartialité et la neutralité des opérations de vote. Notamment de l’élection présidentielle dont ils veillent sur la régularité. Ils prêtent ainsi serment d’impartialité, de neutralité et de réserve dans l’examen des affaires qui sont portées à leur connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. Ils bénéficient pour ce faire de commodités et autres avantages enviables, et leurs institutions d’outils nécessaires à l’accomplissement plus ou moins efficace de leurs misions.
Alimentaires
Malheureusement, ce sont ces avantages et outils qui les poussent ou obligent à rester fidèles à un homme, le président de la République, considéré ainsi comme le bienfaiteur qui les a sortis de la misère. Jouissant désormais d’une aisance matérielle faite de grosses cylindrées, avec macaron, immatriculation spéciale et dotation en carburant subséquente, bénéficiant d’une prise en charge sanitaire, et disposant d’une garde rapprochée, de domestiques et d’un hôtel particulier équipé à la hauteur de leur statut, il leur est difficile de s’aliéner une telle zone de confort au nom de l’impartialité et de la neutralité. Ils font désormais partie des VIP, des personnalités de marque, jusqu’à la mort, ou jusqu’à l’extinction «de leur flamme astrale », pour citer Michel Roger Amvana. Le mandat est tout de même de six ans, éventuellement renouvelable. Et comme au Cameroun, «éventuellement » devient souvent « éternellement », ceci devient « J’y suis, j’y reste ». Les Bulu demandent souvent : «Qui n’aime pas le bonheur ? » (Za’a a vini mvaye ?).
Maurice Kamto, qui avait déclaré devant le Conseil constitutionnel, «Si je pouvais passer un concours pour devenir Bulu, je le ferais », peut toujours attendre… Le verdict rendu par le Conseil constitutionnel au lendemain du scrutin présidentiel du 7 octobre 2018 était sans appel : tous les dix-huit recours introduits dans le cadre du contentieux postélectoral ont été rejetés, soit pour vice de forme, soit pour forclusion fixés, soit pour faute de preuves. Bien évidemment, l’opposition a crié au scandale, estimant que le recours introduit pour récuser le Conseil constitutionnel ayant été rejeté, le reste des verdicts ne pouvait que lui être défavorable. Le Conseil étant pour eux juge et partie, car acquis à la cause du candidat du parti au pouvoir.
A noter tout de même que lors du double scrutin législatives/municipales du 9 février 2020, le Conseil constitutionnel s’est montré impartial pendant le contentieux postélectoral qui s’en est suivi. Il avait alors décidé de la reprise des législatives dans onze circonscriptions dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest où le scrutin avait été perturbé en raison de l’insécurité causée par les activités des insurgés sécessionnistes, donnant à Elecam un délai de vingt à quarante jours pour organiser de nouvelles élections. Ce qui avait fait dire à certains observateurs que le Conseil constitutionnel avait ainsi affirmé son indépendance.
La tendance est trop grande de le croire, mais pas assez pour convaincre les sceptiques, qui pensent que pour les élections régionales, Elecam et le Conseil constitutionnel peuvent se montrer impartiaux, mais pour l’élection majeure, la présidentielle, ces deux institutions sont aux ordres…de l’Exécutif.