Il n’y a pas eu de «vol de bébé» à l’Hôpital Laquintinie de Douala. En conférence de presse jeudi dernier dans la capitale économique, Esther Aurélie Bell a avoué qu’elle a été victime d’un «avortement tardif». Devant les journalistes et le ministre de la Santé publique, la maman de l’enfant prétendument disparu a, ellemême, démêlé les fils d’un écheveau extrêmement dense, fait à la fois d’éléments factuels et fantasmatiques. On peut l’écouter au casque, en boucle : «Je voudrais dire que je sors d’ici avec toutes les réponses; parce que j’avais beaucoup de questions après ce qui s’est passé. Alors, je sors ayant fait mon deuil parce que je sais ce qu’est devenu le fœtus en question. Je ne peux que rendre gloire à Dieu et m’arrêter là», a déclaré Esther Aurélie Bell, moyennant un mélo larmoyant et une faculté triomphante d’adaptation.
Dans son discours dont on ignore les coulisses, elle a validé un scénario plus en conformité avec la réalité. Dès lors, le mensonge et la construction imaginaire, préalablement servis à l’opinion publique par Esther Aurélie Bell, sont désormais considérés comme des tentatives inconscientes de dénoncer faussement le vol de son bébé à l’Hôpital Laquintinie. Quant à la complicité du personnel de cette formation sanitaire, le public est contraint de rendre une ordonnance de non-lieu. Avec du recul, on s’aperçoit que le tableau et l’histoire de Esther Aurélie Bell présentent quelques similitudes avec celui de Stéphanie Djomo Yepmo. Le 3 novembre 2020 à Douala, cette dernière, jurant ses grands dieux devant les caméras d’Équinoxe Télévision, s’était montrée vertigineusement habile à décrire les horreurs vécues par deux de ses enfants dans les forêts régentées par des bandes criminelles dans la région du Sud-Ouest. Le 19 novembre 2020, l’on répète Stéphanie Djomo Yepmo et l’on entend sa voix persuasive circuler sur les ondes de la CRTV.
Devant les caméras du média d’État, elle apparait envahie par le remords. Elle reconnait avoir menti. Dans sa forme comme dans son fond, le mea culpa est beau, apaisant: «J’ai rejoint un groupe qui pleure les enfants du NOSO (Nord-Ouest et Sud-Ouest) et nous avons fait des sorties où on a pleuré dans plusieurs carrefours, jusqu’au jour où on nous annonce qu’on doit se retrouver à Équinoxe. C’est ainsi que je me retrouve sur le plateau d’Équinoxe et je partage cette histoire qui n’est pas vraie». Pour mieux restituer le cas Esther Aurélie Bell sur le fond d’une comparaison avec celui que nous venons de rappeler, l’on en vient à remarquer que la jeune dame est devenue, en l’espace de quelques jours seulement, une tête d’affiche sur les néons clignotants d’une opinion publique friande de scandales.
Le tableau ainsi dressé conduit à désavouer le culot et l’opportunisme de certains compatriotes qui, galvanisés plus ou moins par un désir d’assomption médiatique, prennent souvent appui sur des vérités construites de toutes pièces. Fin janvier dernier, on s’en souvient, avec un accent de sincérité choquant, une tête couronnée de la presse locale avait utilisé ce schéma pour fabriquer une indignation collective après l’assassinat (présumé) d’un animateur radio. Par la soudaineté de ses révélations, ce gros bonnet médiatique avait bien frappé les esprits, avant de se rebiffer publiquement à l’aide d’une version simplifiée et lisible de sa démarche. On dirait alors que nos compatriotes sont de plus en plus enclins à une avidité morbide, perverse, vouée à exciter les émotions du public, en le détournant et l’excentrant de l’essentiel. «Pour faire le buzz», diton parfois. Mais là, il s’agit d’un buzz crapoteux.