Portia Crowe, pour BBC Afrique
Lorsque Fatou Sène a lancé sa ligne de vêtements, Naya, en septembre de l'année dernière, elle n'a pas pris la peine d'ouvrir un compte bancaire. L'entrepreneuse sénégalaise de 28 ans a préféré payer ses fournisseurs et artisans - et recevoir les paiements de ses clients - avec de l'argent mobile.
"A l’heure actuelle, l'utilisation de l'argent mobile est incontournable dans le business", dit-elle. "Surtout avec la vente en ligne les clients payent souvent par transfert d’argent, ce qui facilite la vente".
Sène, qui est basée entre Thiès et Dakar, n'a pas encore de point de vente physique. Elle fait surtout de la publicité et vend la plupart de ses produits en bogolan, en cire et en pagne tissé en ligne.
Lorsqu'elle apporte ses produits sur un marché, elle se sent plus en sécurité en sachant qu'elle n'a pas besoin de transporter de grosses sommes d'argent sur elle.
"Le mobile money nous permet d'éviter les agressions parce que même si tu pars au marché, ton argent est dans ton compte et tu pourras faire tes achats tranquillement avec ton mobile money", a-t-elle déclaré.
L'argent mobile - qui fonctionne comme un crédit en monnaie réelle, échangé via les téléphones portables - est souvent associé à l'Afrique de l'Est. Le premier grand service d'argent mobile du continent, M-Pesa de Safaricom, a été lancé au Kenya en 2007. Bien avant qu'Apple Pay ou d'autres applications de paiement numérique n'existent ailleurs, les Kényans payaient tout, de la course en taxi au loyer mensuel, avec leur téléphone.
Mais d’autres services du même type ont mis plus de temps à décoller en Afrique de l'Ouest francophone.
Orange Money, exploité par le groupe français de télécommunications Orange, a été lancé en Côte d'Ivoire en 2008, puis au Sénégal et au Mali en 2011. Free Money est présent sur le marché depuis 2014. Mais même en Côte d'Ivoire, qui a le taux de pénétration le plus élevé de tous les pays de la région, le niveau d'adoption de l'argent mobile n'est que de 31 %, contre 77 % au Kenya, selon Silvia Muzi, coordinatrice de programme à la Banque mondiale qui effectue des recherches sur l'argent mobile en Afrique.
Mais la tendance commence à progresser dans la région - et plus rapidement que partout ailleurs sur le continent.
Selon Max Cuvellier, responsable du développement du mobile à la GSM Association, une organisation professionnelle pour les opérateurs de réseaux mobiles, il y avait quelque 36 millions de comptes actifs d'argent mobile dans la région de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) à la fin de 2020, soit une hausse de 19 % par rapport à l'année précédente. (Le nombre de comptes enregistrés est beaucoup plus élevé).
Alors que la région représente environ 22 % du nombre total de comptes actifs en Afrique, "elle connaît une croissance plus rapide que toutes les autres régions", a déclaré M. Cuvellier.
"C'est de proposer aux Africains une solution qui est meilleure que le cash parce que tant qu'on ne proposera pas quelque chose qui est meilleur que le cash, ils n'abandonneront pas le cash", dit-elle. "Quand on veut inclure financièrement des gens que les banques traditionnelles n'arrivent pas à inclure, il ne faut pas qu'on soit plus cher et plus compliqué que la banque traditionnelle."
Wave est récemment devenue la première "licorne" d'Afrique francophone après que son tour de financement de série A l'ait valorisée à 1,7 milliard de dollars américains. Elle a levé 200 millions de dollars - la plus grande série A jamais réalisée en Afrique. (Une licorne est un terme de la Silicon Valley utilisé pour les startups évaluées à 1 milliard de dollars ou plus).
"Cela montre au monde entier que l'Afrique francophone dispose de la profondeur de marché et de la réserve de talents nécessaires pour créer des géants de la technologie", a déclaré Tidjane Dème, associé général de la société de capital-risque Partech, qui a été l'un des premiers investisseurs dans Wave.
Selon Sene, Wave était initialement 70 % moins cher que ses concurrents du secteur des télécommunications lorsqu'elle est arrivée sur le marché sénégalais. Elle offre un service gratuit pour le paiement des factures et l'encaissement d'argent, et maintient les frais de transfert à un niveau bas.
Wave a adopté une stratégie de nouvel entrant pour perturber le marché avec des frais plus bas, en assumant la perte de revenus sur son propre bilan espérant, à long terme, gagner plus de clients et d'affaires. En d'autres termes, pour l'heure, l'entreprise se concentre davantage sur la constitution de sa base de clients que sur la rentabilité ou la réalisation de bénéfices.
"Avant, Orange avait des tarifs excessivement chers", a déclaré Fatou Sène, l'entrepreneuse de mode. "Wave est venue avec des tarifs vraiment abordables, du coup la majorité a migré vers Wave".
En juin, Orange a été contraint de revoir ses tarifs à la baisse. L’entreprise a également empêché les utilisateurs de Wave d’acheter du crédit téléphonique Orange sur sa plateforme.
Les agents, qui achètent et vendent du crédit mobile money aux clients, ont également subi une baisse de leurs commissions. Orange Money affirme ignorer si le système actuel de frais réduits sera viable à long terme. Wave, pour sa part, affirme que les frais sont équitables et qu’ils sont restés faibles depuis le lancement en 2018. Quant aux agents, qui, selon Orange Money, gagnent moins aujourd'hui, Sene a déclaré que Wave crée des emplois sur le continent, emploie quelque 1 500 personnes en Afrique et travaille avec un réseau de 30 000 agents.
"Pour ne pas être évincé du marché, Orange, comme les autres opérateurs mobile money, a dû suivre le mouvement de réduction des tarifs, c'est-à-dire les diviser quasiment par quatre", a déclaré Cheikh Tidiane Sarr, directeur général d'Orange Finances Mobiles au Sénégal.
Selon Cuvellier, 42% des adultes au Sénégal possèdent deux comptes d'argent mobile ou plus.
Wave utilise un modèle technologique différent de celui de la plupart des sociétés de mobile money. Au lieu de demander aux clients de composer des codes USSD pour effectuer des transactions, les utilisateurs qui n’ont pas de smartphones et ne peuvent pas accéder à l'application mobile utilisent des codes QR en plastique. Ces derniers peuvent être scannés par un tiers afin d'effectuer des transactions. Le fait de ne pas utiliser de codes USSD permet à Wave d'opérer indépendamment de tout opérateur de télécommunications.
L'investisseur, M. Dème, a déclaré que ce n'était qu'une question de temps avant que le monde de l'argent mobile ne passe des télécoms à d'autres modèles, comme celui de Wave.
"Lorsqu’il y a beaucoup de barrières réglementaires, les télécoms jouent un rôle clé dans l'introduction de l'argent mobile", a-t-il déclaré. "Cependant, à mesure que l'accès aux smartphones et la connectivité se développent, que la réglementation devient plus ouverte, tout cet espace s’ouvre pour les startups."
(Orange, pour sa part, dit travailler à la mise à niveau de ses systèmes et à offrir une meilleure expérience utilisateur à ses clients, notamment en accélérant la numérisation).
"Ces dernières années, il y a de plus en plus d'activités d'innovation dans la région", a déclaré Diallo. "Je constate un désir de collaboration avec le Nigeria, avec le monde africain anglophone".
Selon elle, quelle que soit l'origine d'une technologie, la clé de toute innovation est sa disposition à être reproduite.
"L'innovation tente de résoudre un problème, n'est-ce pas ? Pour moi, c'est ce qui la rend utile", a-t-elle déclaré.
"Le but ultime, c'est d'être le principal moyen de paiement en Afrique", a déclaré Mme Sene.