Yaoundé : l'histoire oubliée du lac municipal, du rêve grec au projet inachevé

C'est l'histoire d'une promesse d'amour devenue symbole du déclin d'une époque. Comme le révèle une enquête de Jeune Afrique, le lac municipal de Yaoundé, aujourd'hui à l'abandon, est né d'un geste romantique dans le Cameroun des années 1950.

"Tout part, parfois, d'une dispute de couple", rapporte le magazine panafricain. En 1951, Georges Kyriakidès, un commerçant grec installé à Yaoundé, décide de faire un cadeau extravagant à son épouse qui s'ennuie loin de sa Grèce natale : un lac artificiel de 800 mètres de long sur 300 de large, creusé avec l'autorisation des autorités coloniales françaises.

Le plan d'eau devient rapidement le lieu de rendez-vous de l'élite de la capitale. "C'était devenu une sorte de yacht-club où les Camerounais noirs étaient très peu nombreux", confie à Jeune Afrique un Yaoundéen qui a connu cette époque. Un restaurant est ouvert près de l'embarcadère, où la bonne société se retrouve le week-end après "avoir pris un café au bistrot corse Le Cintra, aux Galeries ou à la Saladière".

Parmi les habitués figure un certain Paul Biya, alors jeune haut fonctionnaire, qui réside avec sa première épouse Jeanne-Irène dans une demeure surplombant le lac. Cette résidence jouera d'ailleurs un rôle dans le déclin du site. Selon Jeune Afrique, "tout s'est quasi arrêté à partir de 1983", lorsque l'ancien président Ahmadou Ahidjo s'y installe après sa démission et son remplacement par Biya.

"Les familles n'y emmenaient plus leurs enfants", confie une source au magazine, évoquant également la mauvaise réputation qui commence à entacher les lieux. Le déclin coïncide avec la "déliquescence de ces fameux 'Champs-Élysées' de Yaoundé", l'avenue Kennedy voisine, autrefois prisée des expatriés.

Quarante ans plus tard, le lac municipal fait l'objet d'un énième projet de réhabilitation. La ministre de l'Habitat, Célestine Ketcha Courtès, a supervisé en mars 2024 des travaux d'assainissement. Mais comme le révèle Jeune Afrique, le chantier est actuellement à l'arrêt, "notamment en raison de conflits entre certains investisseurs étrangers et la partie camerounaise du projet".

Les ambitions sont pourtant grandes : la maquette de 2021 prévoit un hôtel 5 étoiles, des restaurants, un aquarium et même une plage de sable. Mais comme le résume amèrement un riverain cité par le magazine : "Entre ce qui a été annoncé il y a des années et la réalité aujourd'hui, il y a un monde."

Cette histoire du lac municipal illustre parfaitement les mutations de Yaoundé : de l'époque coloniale où un commerçant grec pouvait offrir un lac à son épouse, aux années fastes post-indépendance, jusqu'au déclin actuel symbolisé par ce plan d'eau à l'abandon sous les fenêtres de l'Hôtel des députés. Un miroir des transformations et des ambitions contrariées de la capitale camerounaise.