L’administration voulait faire échec devant la Cour suprême à la démarche judiciaire d’un entrepreneur l’accusant de rupture abusive des accords qui les liaient. Les juges de la haute juridiction sont restés de marbre face à ses allégations et ont confirmé la justesse du jugement controversé.
Célestin Mballa, patron des établissements Baticom, va enfin pouvoir jouir des fruits de son labeur après bien des épreuves. Il n’attendait que ça après plusieurs années de blocage. Le dénouement s’est effectué devant la Cour suprême, le 14 février 2018. Le litige opposait un entrepreneur au ministère de la Santé publique (Minsanté) depuis 2014. L’administration attaquait un jugement rendu le 7 juin 2016 au Tribunal administratif de Yaoundé.
La décision avait reconnu le caractère abusif de la résiliation d’un contrat liant les deux anciens partenaires et dont se plaignait le prestataire. Au cours de l’audience, les juges ont statué uniquement sur la forme du pourvoi en faisant constater que le Minsanté s’est émancipé de l’exigence de respect des délais légaux de saisine de la haute juridiction. La déclaration de pourvoi a été faite le 12 août 2016 au lieu du 11 août, date butoir. D’après Me Amougui Jean, conseil du Minsanté, le jugement rendu le 7 juin 2016 au Tribunal administratif a été notifié le 27 juillet 2016 au secrétariat général du Minsanté.
Les lenteurs administratives aidant, ce n’est qu’à deux jours de l’expiration du délai de 15 jours imparti pour introduire ses voies de recours que ce jugement est parvenu au cabinet du ministre Mama Fouda. Le conseil explique que la décision de justice aurait dû être notifiée directement au cabinet du ministre ou au cabinet d’avocat auprès duquel l’administration a élu domicile, le sien. Cet argumentaire va laisser les juges de marbre. La démarche est invalidée et le jugement attaqué, conforté. Le verdict du tribunal dans l’affaire qui opposait sa structure au ministère de la Santé publique (Minsanté) est tombé en sa faveur le 7 juin 2016, mais Célestin Mballa faisait grise mine ce jour-là. Il estimait qu’il n’avait pas suffisamment été entendu des juges du Tribunal administratif de Yaoundé.
Au sortir de l’audience ce jour-là, il ne pensait pas encore faire appel de cette décision, mais rien ne laissait non plus croire qu’il se satisferait du jugement rendu par l’instance. C’est finalement son adversaire qui va prendre l’initiative de saisir la Cour suprême. Entrepreneur et patron des établissements Baticom, Célestin Mballa avait traduit le Minsanté devant le juge administratif le 5 juin 2014, se plaignant de la rupture unilatérale, par l’administration, des accords qui liaient sa structure au Minsanté et revendiquait un payement de 177 millions de francs en guise de réparation.
L’homme d’affaires avait appris aux juges qu’il a été désigné bénéficiaire d’un marché public lancé par M. Mama Fouda André, le 7 décembre 2007. Ce contrat portait sur la construction et la réhabilitation du centre de diagnostic et de traitement de la tuberculose à l’hôpital de district de Biyem-Assi, à Yaoundé. Un avenant autorisé par le ministre viendra s’ajouter aux précédentes clauses. Il dit avoir totalement réalisé ce qui était attendu de lui. L’ouvrage entier est réceptionné le 8 novembre 2013.
Accord verbal
Alors qu’il attend ses payements, le prestataire de services dit qu’il va apprendre que le Minsanté a suspendu l’exécution de deux autres marchés publics qu’il était en train de réaliser dans la région du Sud. Il s’agit de la construction des centres de santé intégrés de Melanguen III et Atinzam. D’après la décision qui est rendue publique, l’entrepreneur est épinglé pour abandon de chantiers, non-respect des délais de livraison, mauvaise exécution des travaux, défaut de qualité… Pour le plaignant qui rejetait les supposés défauts attribués à ses ouvrages, l’administration a fait preuve d’excès de pouvoir.
Face aux juges le 7 juin 2016, M. Mballa et Me Metomo, son avocat, s’étaient employés à démontrer le caractère abusif des agissements du ministre. En ce qui concerne l’ouvrage de l’hôpital de district de Biyem-Assi, ils soutiennent que le marché initial portait sur la somme de 28,451 millions de francs. Au cours de sa réalisation, le directeur de la formation sanitaire va demander et obtenir de sa tutelle que l’entrepreneur aménage d’autres locaux dans l’établissement. Aux dires du plaignant, cet avenant, «qui risquait de faire déborder les quotas légalement autorisés», aurait été conclu «verbalement» entre M. Mama Fouda et lui-même.
Dès ce moment, l’enveloppe globale du marché est passée du simple au triple, soit 84 millions de francs. Mais une fois les ouvrages achevés, l’administration aurait tout d’abord refusé de les réceptionner en alléguant qu’ils étaient parsemés de défectuosités. «Un agent du Minsanté refusait de s’exécuter jusqu’à ce que je fasse recours à M. Yang Philémon, le Premier ministre. C’est grâce à ses autorisations que les bâtiments vont finalement être réceptionnés le 8 novembre 2013», indique-t-il. Le Minsanté va cependant s’opposer au payement de sa note de frais.
Spolier l’Etat
Le prestataire de services racontait qu’alors qu’il menait les travaux de construction à Melangue III et Atinzam, une lettre de M. Mama Fouda va ordonner l’arrêt de tous les ouvrages lancés dans la région du Sud pour réévaluations. «Tous les autres chantiers vont être autorisés à redémarrer leur activité, sauf celui de mon client. Il a débuté ces travaux sur fonds propres et ne demandait qu’à les achever. Le chantier de Melangue III était réalisé à 90% tandis que celui d’Atinzam frôlait les 30% », a relevé son avocat.
Me Amougui Jean, avocat du Minsanté, avait entrepris pour sa part de déconstruire cet argumentaire en dévoilant la «mauvaise foi» de l’entrepreneur qui, selon lui, ne saurait nier les graves défauts constatés par des correspondances et des procès-verbaux émanant des services régionaux des Travaux publics, du bureau d’études qui auditait les travaux et d’un architecte commis par le Minsanté. Certains de ces documents seront lus à l’attention du tribunal. En ce qui concerne le premier marché, l’avocat a réitéré qu’il n’a porté que sur 28,451 millions de francs. Il a battu en brèche la prétendue «entente verbale» scellée entre le ministre et l’entrepreneur, car «l’administration est écrite». D’après lui, les chiffres avancés ont enflé pour «influencer le tribunal et spolier l’Etat».
Pour ce qui est des chantiers restés en berne à Melangue III et Atinzam, l’avocat a affirmé que l’entrepreneur a multiplié des stratégies d’esquive pour se soustraire aux audits du bureau d’études. «Les malfaçons étaient excessives, certains murs ont été montés avec deux fers à béton au lieu de trois, il a abandonné le chantier. Un contrat doit être exécuté de bonne foi. Lorsque l’administration constate ces malfaçons, elle ne peut que résilier le contrat. Elle a cependant plusieurs fois incité l’entreprise à se conformer aux exigences», avait-il souligné.
Après délibération, le tribunal a jugé la plainte de Baticom partiellement fondée. Il a décidé que l’Etat lui reverse la somme de 28, 451 millions de francs et des dommages et intérêts chiffrés à 10 millions de francs.