Zouhaïra, institutrice de Garoua : comment une victime collatérale devient l'icône d'une contestation

Issa Et Zouhaira Image illustrative

Thu, 23 Oct 2025 Source: www.camerounweb.com

La trajectoire d'une enseignante de 34 ans transformée en symbole politique par l'opposition camerounaise

Elle n'était pas militante. Elle ne participait pas aux manifestations. Zouhaïra, institutrice de 34 ans à l'école primaire arabe de Poumpoumré à Garoua, rentrait simplement de son travail mardi 21 octobre lorsqu'une balle l'a tuée. Quarante-huit heures plus tard, son visage circule massivement sur les réseaux sociaux et son histoire devient l'emblème de la contestation post-électorale au Cameroun. Jeune Afrique retrace la transformation d'un drame personnel en symbole politique national.

Les détails de ses derniers instants, recueillis par Jeune Afrique auprès de témoins et de proches, dressent le portrait d'une tragédie ordinaire dans un contexte extraordinaire. Zouhaïra quittait son établissement scolaire comme chaque jour. Son trajet habituel l'a conduite à traverser une zone où des manifestants, partisans d'Issa Tchiroma Bakary, affrontaient les forces de l'ordre.

Selon les témoignages contradictoires analysés par Jeune Afrique, deux scénarios s'opposent : celui d'une « balle perdue » qui aurait touché l'enseignante au mauvais endroit au mauvais moment, et celui, défendu par son père dans une interview à Équinoxe TV, d'un tir « à bout portant » d'un individu armé, alors qu'elle était « à proximité du portail de leur domicile ». Cette seconde version, si elle était confirmée, transformerait un accident en exécution.

Ce qui frappe dans cette affaire, relève Jeune Afrique, c'est la vitesse à laquelle Zouhaïra est devenue un symbole. Institutrice discrète dans une école du quartier de Poumpoumré, elle incarnait la vie ordinaire des Camerounais pris malgré eux dans la tourmente politique. Son métier – enseignante, donc au service de l'avenir du pays – ajoute une dimension particulièrement poignante à son histoire.

L'opposition, menée par Issa Tchiroma Bakary, a immédiatement saisi la portée symbolique de ce drame. Pour les partisans de l'ancien ministre de la Communication, Zouhaïra représente désormais « la répression du régime de Paul Biya » contre le peuple. Son image, diffusée sur les réseaux sociaux, commence à être brandie dans les manifestations.

Jeune Afrique a pu constater que le cas de Zouhaïra soulève une question éthique délicate : peut-on transformer une victime civile en étendard politique sans son consentement ? Rien n'indique que l'institutrice ait eu des convictions politiques affirmées ou qu'elle soutenait activement l'opposition. Pourtant, son visage devient l'incarnation d'une lutte qu'elle n'a pas choisie.

Cette récupération symbolique n'est pas nouvelle dans l'histoire des mouvements contestataires africains. Mais elle intervient ici dans un contexte particulièrement tendu : à quelques jours de la proclamation des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel (le 27 octobre), le pouvoir et l'opposition s'affrontent sur le terrain de la légitimité électorale.

Un élément rarement mentionné mais crucial, que Jeune Afrique a pu vérifier : Zouhaïra enseignait dans une école primaire arabe, établissement qui scolarise principalement des enfants de la communauté musulmane, majoritaire dans la région du Nord. Garoua, capitale régionale, est un bastion historique de l'opposition et un fief d'Issa Tchiroma Bakary.

Cette dimension communautaire et régionale ajoute une couche de complexité à l'affaire. La mort d'une institutrice musulmane dans une région du Nord mobilisée derrière un candidat local pourrait cristalliser des tensions dépassant le simple cadre de la contestation électorale. Jeune Afrique a constaté que les réseaux sociaux camerounais commencent à relayer ces considérations identitaires.

Les équipes d'Issa Tchiroma Bakary ont appelé à poursuivre les mobilisations dans les principales villes : Garoua, Dschang, Bafoussam, Yaoundé et Douala. Selon les informations obtenues par Jeune Afrique, le visage de Zouhaïra devrait figurer sur des pancartes et des banderoles lors des prochains rassemblements.

Cette stratégie vise à humaniser la contestation en lui donnant un visage, celui d'une victime innocente. Pour l'opposition, Zouhaïra incarne la violence d'un système prêt à tout pour se maintenir au pouvoir. Pour le gouvernement, qui garde le silence sur cette affaire malgré les sollicitations de Jeune Afrique auprès du ministre Paul Atanga Nji, cette récupération politique est probablement perçue comme une manipulation.

Au-delà des enjeux de communication, le drame de Zouhaïra pose une question fondamentale : combien de victimes collatérales la crise post-électorale camerounaise va-t-elle générer ? Les sources locales contactées par Jeune Afrique évoquent au moins deux morts et plusieurs blessés lors des heurts du 21 octobre à Garoua. Combien d'autres noms viendront s'ajouter à celui de Zouhaïra d'ici la proclamation des résultats ?

En attendant, l'institutrice de 34 ans, qui voulait simplement rentrer chez elle après sa journée de travail, est devenue malgré elle le symbole d'un pays au bord du gouffre. Son histoire, révélée par Jeune Afrique, illustre la manière dont les drames individuels se transforment en catalyseurs politiques dans les moments de crise. Reste à savoir si sa mort servira à apaiser les tensions ou, au contraire, à les attiser davantage.

Source: www.camerounweb.com