Cas d’école, acteurs et méthodes de ces agents qui par des tours de passe-passe réussissent à intégrer le fichier solde de la fonction publique.
« Le passé est un rétroviseur qui peut permettre d’avoir les yeux derrière la tête ». Un inspecteur d’État en service à la présidence de la République use de cette maxime peulh pour se remémorer un scandale. Celui qui, l’année dernière, avait éclaboussé l’Enam (Ecole nationale d’administration et de magistrature) de Yaoundé. «Des semaines d’enquête obstinée nous ont permis d’amener en pleine lumière les ressorts de cette ignoble affaire.
A terme, on s’effarait de découvrir qu’avant la publication officielle des résultats de chaque concours direct ou professionnel, deux réseaux manœuvrent en coulisses pour glisser des noms fictifs et toucher les salaires, selon la catégorie», relate notre interlocuteur, avant de révéler, en guise de preuve, une autre barbouzerie survenue courant 2016.
C’était avant la publication officielle des listes des candidats définitivement admis au concours lancé en 2015, pour le recrutement de 320 élèves sous-officiers de gendarmerie, 2140 élèves-gendarmes, 420 élèves sous-officiers des armées. «Il s’est passé des choses difficiles à décrire entre deux ministères: celui de la Fonction publique et celui des Finances».
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En grattant un peu, l’on ne peut garder vierges ses impressions quand s’affichent 13 noms de personnes inexistantes ou n’ayant jamais pris part audit concours. Très proche de cette affaire, un autre inspecteur d’Etat confie : «l’introduction des fonctionnaires fictifs dans le fichier solde de l’Etat commence au ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative (Minfopra) avant de s’achever au ministère des Finances (Minfi)».
«Monitoring »
Pour qui ne connaît pas les codes de convenance au Minfopra, ce mot reste abstrait, compliqué ou incompréhensible. Mais tout s’éclaire et devient limpide après contacts (informels) avec quelques personnels de la direction du développement des ressources humaines de l’Etat, notamment au service des concours directs et de bourse (4ème étage, portes 405 et 409). «C’est le suivi d’un dossier particulier», souffle un agent sous anonymat. La suite caricature tous les ingrédients d’un drame grotesque.
Dans le fond, c’est l’affaire de quelques acteurs organisés et tapis dans les unités informatiques de ce service. «Ici, les fonctionnaires en service s’assurent que les informations qu’ils ont introduites dans les logiciels sont prioritairement traitées», assure un inspecteur d’Etat.
L’explication qu’il en donne permet de comprendre pourquoi dans ces «cellules», les appareils informatiques utilisés par les décideurs opérationnels sont souvent sollicités en lieu place de ceux des décideurs stratégiques.
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Exemple : le nom d’un mort qui s’est retrouvé dans la liste des candidats définitivement admis à l’Enam: «Nous avons remonté le manège. Pour faire glisser son nom, il suffit à un agent, très proche d’un collaborateur d’un directeur au Minfopra d’entrer en possession des fichiers ayant une réelle portée opérationnelle et le tour a été joué», avance-t-il. De ce point de vue, notre interlocuteur (par ailleurs expert en génie informatique) souligne que l’astuce met en relation secrétaires, chefs de bureau, chefs de service… «Le tout avec l’implication plus ou moins avérée du directeur».
«Veille»
Par ce terme, des sources au Minfi désignent au moins deux choses: «la prise en solde définitive d’un fonctionnaire inexistant et l’incidence pécuniaire liée aux reclassements et aux avancements». En clair, au Minfi, c’est de connivence avec la «cellule de monitoring» du Minfopra que l’on travaille.
Les outils se résumant à mémoriser les données et à les soumettre aux calculs de la solde. «C’est pour cela que les dossiers des fonctionnaires fictifs sont toujours tenus à jour là-bas», souffle l’inspecteur d’Etat. Mettant son propos en relation avec le cas du «mort de l’Enam», cet inspecteur d’Etat insiste sur le travail de certains agents de la «cellule de veille» du Minfi.
«Leur participation à une telle pratique est libre de toute contrainte. Leur posture leur permet d’éviter qu’ils ne se retrouvent dans l’obligation de renseigner des informations coûte que coûte», dit notre interlocuteur. Il ajoute qu’au Minfi, «tout nom introduit dans le fichier solde vient du Minfopra; de fait le gros du travail s’articule sur ce qui est appelé là-bas entretien du nom sur la base des informations fournies par des agents du Minfopra». Pour venir à bout, il faut retracer les responsabilités.
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Car, «la maîtrise de la masse salariale n’est pas une tâche qui incombe prioritairement au ministre des Finances même s’il peut en être regardant. C’est la responsabilité première du ministre de la Fonction publique qui est le responsable des ressources humaines de l’Etat», selon l’ingénieur financier Babissakana.