Dans notre série de lettres d'écrivains africains, la romancière nigériane Adaobi Tricia Nwaubani met en avant une nouvelle initiative visant à récupérer les œuvres d'art pillées en Afrique par les puissances coloniales.
Et si les Africains parvenaient à accéder aux musées du monde occidental, à rassembler toutes les œuvres d'art pillées sur leur territoire pendant l'ère coloniale et à les ramener chez eux ?
C'est ce que tente de faire un jeune Nigérian. Mais plutôt que de s'introduire physiquement dans les musées et d'emporter les œuvres d'art, il veut les rapatrier numériquement.
"C'est le premier rapatriement numérique d'œuvres d'art volées", a déclaré Chidi, 34 ans, un créateur nigérian et fondateur de Looty, qui a refusé de donner son nom de famille car, dit-il, il veut que les gens se concentrent sur son projet et non sur sa personne.
"J'ai eu cette idée : pourquoi ne pas reprendre les œuvres d'art physiques dans le monde numérique ? ".
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L'idée de Looty lui est venue à la suite des conversations croissantes autour des non-fungible token ('jetons non fongibles' (NFT), un certificat d'authenticité de la propriété des fichiers numériques.
Bien que les droits légaux véhiculés par les NFTs puissent être incertains, ils deviennent de plus en plus populaires.
Le NFT du premier tweet du fondateur de Twitter, Jack Dorsey, s'est vendu 3 millions de dollars, et un autre NFT du mandat d'arrêt de Nelson Mandela, l'icône sud-africaine de la lutte contre l'apartheid, a rapporté 130 000 dollars lors d'une vente aux enchères.
Au moment même, on constate une agitation croissante pour le retour des œuvres d'art pillées à l'Afrique par les colonisateurs européens.
"Nous parlions de la provenance et de la propriété des pièces. Et si je pouvais les ramener et les transformer en NFT ?", a déclaré Chidi.
Le processus de rapatriement des œuvres d'art commence par la recherche d'œuvres potentielles pour Looty, puis la visite de musées pour les scanner à l'aide d'applications spéciales sur les téléphones portables.
Ensuite, les images sont téléchargées sur des ordinateurs portables et le processus compliqué de conversion en 3D commence, à l'aide d'applications et de technologies spéciales.
"Pour être franc, c'est presque comme si nous re-sculptons l'œuvre d'art à nouveau", a déclaré Chidi. "Une pièce peut prendre une semaine entière pour être terminée, peut-être plus".
Bronzes du Bénin créés numériquement
Le site Looty sera officiellement lancé le 13 mai, mais le travail a commencé en novembre 2021.
Si Chidi est le fondateur, il travaille avec deux autres Nigérians et un Somalien.
Chaque membre de l'équipe est spécialisé dans la conception 3D, la technologie NFT ou le montage, mais ils ont tous visité des musées au Royaume-Uni et en France pour capturer des images des œuvres d'art avec leurs téléphones portables.
Jusqu'à présent, ils ont réussi à créer environ 25 pièces différentes, dont certains des célèbres bronzes du Bénin qui décoraient autrefois le palais royal du royaume du Bénin, dans ce qui est aujourd'hui le Nigéria, et ils ont l'intention d'en créer beaucoup d'autres.
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Chidi dit qu'il est conscient que le mot "Looty" est lié au "pillage", qui est un acte de violence, mais il souligne que le nom qu'il a choisi pour le projet a une signification plus profonde.
En 1860, un militaire britannique, le capitaine John Hart Dunne, est revenu en Angleterre de Pékin avec un chien inhabituel qu'il a offert à la reine Victoria pour sa "collection royale de chiens".
Baptisé Looty en référence à ses origines, le célèbre chien, qui a parfois servi de modèle pour des peintures et des croquis d'artistes renommés, aurait été capturé après que les Britanniques eurent mis à sac un palais royal à Pékin.
Looty a été l'un des premiers au Royaume-Uni de ce que l'on a appelé les chiens pékinois, et a vécu au château de Windsor jusqu'à sa mort en 1872.
En 2018, des rumeurs ont couru dans les médias sur l'implication du gouvernement chinois dans une vague de casses d'objets d'art qui visaient l'art et les antiquités chinoises en Occident.
Le gouvernement chinois a démenti ces affirmations, même après qu'une des œuvres d'art volées soit réapparue exposée dans un aéroport de Shanghai.
"Avant que les Britanniques ne se livrent au pillage d'objets d'art en Afrique, ils avaient déjà fait fortune avec les objets qu'ils volaient en Chine. En choisissant le nom "Looty", je fais référence à cela, mais aussi au chien qui a été offert à la reine Victoria", a déclaré Chidi.
"Même si nous nous appelons Looty, nous le faisons de manière non violente et aussi de manière légale".
La vision de Chidi pour Looty est double. Le premier est le rapatriement, qui consiste à récupérer les œuvres d'art volées et à les mettre en relation avec des musées locaux en Afrique, des organisations artistiques et des Africains en général, qu'il décrit comme "les propriétaires originaux de ces pièces".
Le deuxième volet est la réparation, qui vise à aider les artistes de toute l'Afrique, qui, selon lui, se sont également vu voler leurs possibilités d'inspiration par les pilleurs britanniques.
"Si vous vivez au Bénin, par exemple, et que vous voulez être inspiré par les œuvres d'art de votre groupe ethnique, vous devez d'abord demander un visa, puis acheter le billet d'avion, vous rendre en Angleterre et réserver des hôtels. Vous allez ensuite voir les œuvres d'art. Il n'y a pas beaucoup de gens qui vont être capables de faire cela", a déclaré Chidi.
Construire un métavers
Chidi espère que le fait de voir les œuvres d'art sur Looty n'inspirera pas seulement les artistes africains dans leur pays, mais aussi que la vente de ces œuvres permettra aux artistes locaux de disposer de fonds pour faire progresser leur art.
Les NFT d'œuvres d'art sur le site web ne peuvent être achetés que par crypto-monnaie.
"Le jeton est essentiellement un contrat numérique. Lors de l'achat d'une œuvre d'art sur Looty, 20 % de cette somme seront versés au fonds Looty. À partir de ce fonds, nous allons commencer à donner des subventions aux artistes du continent. Nous donnerons de l'argent et des équipements aux artistes", a-t-il déclaré.
Si Chidi espère que tout cet activisme finira par aboutir au retour de chaque œuvre d'art pillée en Afrique par les colonialistes, il continue à rêver d'une alternative.
"Je veux construire notre propre métavers où ces pièces vivront et pourront vivre", a-t-il déclaré.
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