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‘Il me jette sur le lit et utilise sa force’ : des preuves accablent Hervé Guy Ngoyo Ngon dans l’affaire de viol

Le journaliste français Romain Molina publie les résultats de son investigation

Thu, 8 Dec 2022 Source: www.camerounweb.com

Nous l’avions annoncé il y a quelques semaines. Hervé Guy Ngoyo Ngon, le président de la fédération camerounaise des sports pour déficients physiques (FECASDEP) est au cœur d’une accusation de viol. Le témoignage glaçant d'une athlète a inondé les réseaux sociaux. Dans son témoignage, elle accuse Ngoyo Ngon Guy Hervé, président de ladite fédération de viol dans un hôtel à Yaoundé.

Elle n'est pas la seule à bombarder la toile de ses témoignages glaçants. Plusieurs athlètes handisports révèlent également le harcèlement et attouchement sexuel dont elles sont victimes. En tête de leur bourreau, le patron de la fédération qui aurait instauré ce qu'elles appellent "le droit du cuissage".

Un article du journaliste français Romain Molina vient enfoncer le clou. Après avoir mené des enquêtes approfondies sur le sujet, Romain Molina apportes quelques éléments supplémentaires dans son article dont voici le contenu.



Accusé de viol et de racket, selon plusieurs témoignages, le président de la fédération camerounaise des sports pour déficients physiques ferait régner depuis plus d’une décennie la terreur sur ses athlètes. Face à l’inertie des instances nationales malgré les alertes répétées, de nombreux sportifs camerounais sont contraints à un dilemme et un choix radical : soit mettre un terme à leur carrière, soit choisir l’exil, pour vivre leur passion, assumer leur vie et dénoncer un système corrompu et avilissant. Nos révélations.

« Il me jette sur le lit. J’essaye de m’en sortir mais il utilise sa force jusqu’à ce qu’il me pénètre. J’ai les larmes dans mes yeux. Personne n’est là pour venir me sauver. Quand il a fini de faire ses bêtises, tout ce que j’ai fait c’est me redresser et espérer que je ne serai pas malade lorsque je ferai le test. Tout ce que je souhaitais, mon Dieu, c’était de ne pas être malade après... »

Diffusé sur Facebook par l’activiste en exil Nzui Manto, ce témoignage audio glaçant d’une ancienne athlète de l’équipe paralympique du Cameroun a suscité l’effroi le 29 octobre dernier. Surtout que l’homme directement mis en cause, Hervé Guy Ngoyo Ngon, n’est autre que le président de la fédération camerounaise des sports pour déficients physiques (FECASDEP). « C’est terrible, mais c’est une réalité qu’on subit depuis une dizaine d’années, souffle Mimozette Nghamsi, athlète de powerlifting (un sport de force). Beaucoup de mes camarades ont subi ces attouchements. Si vous refusez, comme moi, vous êtes écarté des compétitions internationales. »

Élu à la tête de la FECASDEP en 2011, Hervé Guy Ngoyo Ngon bénéficiait originellement du soutien de plusieurs cadres de l’équipe nationale, comme Julien Sodjiné Motto, sélectionné à plusieurs reprises pour des compétitions de powerlifting ou de basket-fauteuil. « J’étais derrière lui, c’est ce qui m’énerve encore plus, peste l’athlète. Son discours était très convaincant. On pensait qu’il allait apporter un nouveau souffle, mais on s’est bien trompé. »

Vivotant grâce à des subventions du ministère des Sports et des donations d’ONG ou du Comité international paralympique (IPC), le Comité national paralympique du Cameroun (CNPC) est divisé en quatre fédérations. « Il y a la fédération pour les malvoyants, pour les sourds, pour les déficients intellectuels et les déficients physiques comme nous, détaille Mimozette Nghamsi. Chaque président de ces fédérations a aussi des fonctions au comité national. Ils accompagnent et dirigent par exemple les délégations lors des compétitions internationales. »

Hervé Guy Ngoyo Ngon, président de la fédération camerounaise du sport pour handicapés physiques.

Image FECASDEP

Auréolé de cette position, selon plusieurs témoignages, Hervé Guy Ngoyo Ngon aurait immédiatement imposé ses méthodes : « Il a fait changer les statuts pour les tourner à son avantage, révèle Julien Sodjiné Motto. Il a instauré un système de racket : nous devions lui donner 10 % de nos primes. C’était une obligation pour être sélectionné à l’été 2014 pour les Jeux du Commonwealth en Écosse ».

Les trois athlètes handisports camerounais de powerlifting (Julien Sodjiné Motto, Mimozette Nghamsi et Francis Biwolé Nkodo) ont tous confirmé à Blast le chantage des 10 %. « On a refusé, donc il s’est vengé sur nous l’année suivante aux Jeux africains organisés à Brazzaville, corrobore Francis Biwolé Nkodo. Sur les deux disciplines qu’il pouvait inscrire, il a choisi d’envoyer uniquement l’athlétisme, un domaine qu’il contrôlait davantage. On a dû passer par le Comité international paralympique et une pression du ministère des Sports pour qu’ils obligent ce monsieur à envoyer aussi les athlètes du powerlifting. C’était une vengeance. »

L’athlète camerounais Francis Biwolé Nkodo.

Confirmée par quatre autres athlètes camerounais, cette pratique sévirait sans discontinuer aussi bien chez les hommes que les femmes avec la complicité de certains entraîneurs, rompus à ce système. « Lorsque je suis arrivé dans ce milieu en 2008, j’ai constaté que les sportifs étaient rackettés, abonde Mimozette Nghamsi. Cela a évidemment continué avec le président actuel qui se servait de ces coachs [...] Une semaine après une compétition internationale, un de mes coéquipiers m’a demandé :’Mimo, tu peux me prêter 100 francs CFA pour que je puisse faire mon trajet avec la moto ?’ Comment tu peux ne plus avoir d’argent juste après une compétition internationale où tu reçois une prime ? La raison était simple : il avait dû donner une grande partie au président et il s’était retrouvé dans une situation extrême, à cause de ça... »

Il nous dit de coucher avec lui

Si les athlètes masculins soutiennent avoir été spoliés de leurs droits, les féminines seraient en plus soumises à ce qu’elles décrivent comme « un droit de cuissage » institutionnalisé par le président de la FESCADEP. « Est-ce que vous savez que Ngoyo m’a violé ? », questionne brutalement une athlète, suite au témoignage publié par l’activiste Nzui Manto. « Beaucoup de femmes ont dû arrêter la pratique sportive à cause de ce système d’abus, s’énerve Francis Biwolé Nkodo. Cela s’est passé principalement dans l’athlétisme, car les anciens de l’équipe nationale comme moi étions surtout dans le powerlifting. On protégeait nos sœurs. »

Dans une lettre adressée le 28 juin 2021 au ministre des Sports et de l’éducation physique Narcisse Mouelle Kombi – qui n’a pas répondu aux sollicitations de Blast -, le collectif des para athlètes et des personnes handicapées du Cameroun et de la diaspora exige la dissolution du bureau exécutif du comité paralympique camerounais, en mentionnant, entre autres, ce « droit de cuissage » qui, selon le contenu de ce courrier, sévirait depuis une décennie. « Le président de la FESCADEP utilise les compétitions internationales pour son chantage, détaille une athlète désireuse de garder l’anonymat. Il nous dit de coucher avec lui si on veut participer aux compétitions. Si on refuse, on sera écarté. Il profite aussi des sportives les plus précaires en leur faisant miroiter des avantages ou du matériel. Il utilise tous les moyens possibles pour nous mettre dans son lit. »

Extrait du courrier au ministre des Sports du Cameroun du 28 juin 2021, également adressé en copie au président de la République et au Premier ministre.

Document Blast

Alerté de ces accusations contre Hervé Guy Ngoyo Ngon par plusieurs courriers, le ministère des Sports et le Comité paralympique camerounais n’ont jamais réagi. « Notre voix est inaudible pour ces gens, peste Mimozette Nghamsi. Je vis en France, désormais. J’ai été quatre fois championne de France mais je suis traitée comme une rebelle dans ma fédération, car je refuse ce système. »

La championne Mimozette Nghamsia a fait le choix de l’exil, pour continuer sa carrière sportive.

Image Mimozette Nghamsia

Considérée comme une des meilleurs athlètes du continent dans ses disciplines, avec pour point d’orgue une 7ème place aux championnats du monde 2019 au bench (dans la catégorie – 45 kilos), Mimozette Nghamsi est l’une des rares femmes à avoir poursuivi sa carrière. « Nous ne sommes plus nombreuses, c’est vrai, concède-t-elle. C’est terrible car nous formions une belle équipe. »

Un dégoût partagé par une autre ex-membre de la sélection paralympique camerounaise, qui a accepté de nous raconter son histoire sous couvert elle aussi d’anonymat. « Ils ont ruiné nos carrières, nos vies. J’ai tout abandonné car je ne pouvais pas accepter cela. Le président Ngoyo bénéficie aussi de l’aide de certains coachs qu’il choisit. Il n’est pas tout seul dans ce système. »

Dans les récits de la dizaine d’athlètes s’étant confié à Blast, un autre nom ressort : celui de Benjamin Mveng. « Il cherche à coucher avec nous et récupère une partie de nos primes, poursuit notre témoin. C’est le genre de propositions auxquelles on doit faire face si nous souhaitons représenter le Cameroun à l’international. »

Plaintes en attente…

Sur une subvention annuelle de 300 millions de francs CFA (environ 458 000 euros) allouée par le ministère des Sports au Comité national paralympique camerounais, 5 millions de francs CFA (autour de 7 600 euros) sont attribués à la FECASDEP pour son fonctionnement. « On ne sait pas où passe l’argent, il n’y a aucune transparence, lance Julien Sodjiné Motto. Nous n’avons même plus de locaux ou de fédération, les réunions se tiennent dans des buvettes ou des bars ! »

Dans un autre courrier adressé le 29 décembre 2021 à Hervé Guy Ngoyo Ngon, intitulé « redistribution de la subvention » et que Blast s’est également procuré, les para athlètes de la diaspora interpellent sèchement le président de la FECASDEP. « Nous les para athlètes de la diaspora et du Cameroun avons appris il y a quelques jours (…) avec preuve à l'appui que vous avez perçu les cinq millions de subventions allouées par le comité aux fédérations (…) contrairement à ce que vous avez toujours prétendu ce ne serait pas la première fois. Aussi nous vous prions de bien vouloir procéder à la redistribution équitable de cette subvention aux différentes ligues régionales qui en ont cruellement besoin. ».

Une mise en demeure conclue sur des soupçons de trucage des élections à la tête de la fédération et des accusations particulièrement lourdes : « Si jamais vous déposez cette liste au ministère de tutelle nous nous réservons le droit de poser une plainte contre vous et contre toute personne présente sur cette liste pour faut (sic) et usage de faux. Nous nous réservons également le droit de déposer une plainte contre vous pour rackettage (re-sic), usage du droit de cuissage détournement des frais de compétition, harcèlement sexuel sur la personne des athlètes filles etc ». Ambiance...

Les fauteuils de Johan Cruyff

Sans réelle compétition nationale depuis 2011 et l’élection d’Hervé Guy Ngoyo Ngon, les athlètes ont aussi été privés des donations de matériel faites par un ancien champion handisport camerounais, Christian Gobé. Elles ont été... vendues dans le milieu universitaire. Un schéma similaire lorsque la fondation Johan Cruyff, qui aide particulièrement les enfants et les personnes handicapées à travers le sport, avait envoyé des fauteuils roulants pour l’équipe handisport de tennis. « On nous prive des donations, des primes, de notre sport, qu’est-ce qui nous reste ?, interroge Julien Sodjiné Motto. On m’appelle « le rebelle » car j’ose parler de ces sujets. On me menace, m’intimide, mais je n’arrêterai pas. »

Deux autres membres de l’équipe nationale paralympique ont confié à Blast avoir reçu du président de la FECASDEP des menaces explicites - et même de mort. Contacté, le dirigeant conteste ces accusations, évoquant « beaucoup de désinformations », sans plus de précision. Conseiller municipal à Yaoundé, Hervé Guy Ngoyo Ngon préfère couper court malgré la gravité du sujet, expliquant être pris « par la correction des documents à déposer au ministère des Sports pour le début du processus électoral ». Relancé une seconde fois, ce kinésithérapeute de formation n’a plus répondu à Blast, pas plus que le Comité paralympique camerounais, l’entraîneur Benjamin Mveng ou le ministère des Sports.

La technique de l’autruche

Également sollicité pour les besoins de notre enquête, le Comité international paralympique (IPC) a réagi par le biais d’un de ses porte-parole : « La protection de tous les para athlètes est quelque chose que l’IPC prend extrêmement au sérieux. Nous sommes en contact avec notre organisation membre au Cameroun regardant ce problème et les allégations concernant un individu impliqué dans l’une de leurs fédérations. Jusqu’à ce que de plus amples détails sur cette affaire puissent être obtenus, il serait inapproprié pour l’IPC de commenter davantage. » Pour aller plus loin, Blast a pourtant offert à l’IPC la possibilité d’un contact direct avec des athlètes victimes de ces pratiques, volontaires pour expliquer leur cas au Comité international. L’IPC n’a pas donné suite.

L’enquête échouera probablement

« Comment ces gens peuvent écouter le Comité camerounais qui nous abuse depuis toutes ces années ? », souffle Mimozette Nghamsi, dépitée. Une position à laquelle souscrit pleinement Kat Craig. Cette avocate britannique reconnue internationalement a travaillé avec des centaines d’athlètes confrontés à des abus sexuels. « S’il y a une leçon que le monde du sport aurait dû retenir à ce jour, théorise Kat Craig, c’est qu’il est très dangereux pour les athlètes de parler au sein de ces dynamiques de pouvoir. Nous voyons fréquemment des cas d’athlètes désélectionnés, leurs familles menacées et même des athlètes ou des lanceurs d’alerte aux prises avec de sérieuses représailles physiques ».

L’avocate britannique Kat Craig, célèbre pour s’être occupée de l’évacuation d’athlètes afghanes lors de la chute de Kaboul, dans une campagne citoyenne soutenue par un équipementier.

Image Nike

Pour la juriste, rien ne changera sans que la table ne soit renversée : « C’est très simple, reprend-elle, le processus doit être – et être perçu comme tel – totalement indépendant. Cela veut dire que si les allégations sont portées contre un haut dirigeant au sein d’une organisation nationale, l’enquête échouera probablement, à moins qu’elle ne soit reprise par la fédération internationale. »

A l’évidence, préférant la politique de l’autruche, le Comité international paralympique ne souhaite pas faire face à ce constat, aussi légitime soit-il. « Beaucoup ont peur que cela n’ouvre la boîte de Pandore, décrypte une source interne. Si les langues se délient, d’autres fédérations seront impliquées. Croyez-moi, le Cameroun n’est pas seul concerné. »

Et la liste pourrait rapidement s’allonger, à en croire plusieurs interlocuteurs œuvrant dans le milieu paralympique.

Source: www.camerounweb.com