La défaite des Lions Indomptables au Cap-Vert (0-1) révèle les dysfonctionnements profonds qui minent l'équipe nationale. Du refus catégorique des joueurs de voyager avec Camair-Co aux soupçons de rétrocommissions sur le transport alternatif, l'analyse d'une crise qui dépasse le cadre sportif.
Lions Indomptables : quand l’avion devient plus dangereux que l’adversaire
À présent que les Lions Indomptables sont rentrés bredouilles de leur déplacement à Praia, au Cap-Vert, il est difficile de ne pas voir dans ce revers l’aboutissement logique d’un enchaînement de dysfonctionnements. Tout semblait en effet réuni pour que cette mission tourne à l’échec, tant sur le plan sportif que logistique.
Tout commence quelques jours avant le match capital contre le Cap-Vert.
Les cadres du ministère des Sports, désormais responsables de la gestion de l’équipe nationale, convoquent Vincent Aboubakar, capitaine des Lions, pour lui exposer le plan de déplacement. À sa grande surprise, il apprend que l’équipe devra voyager à bord d’un avion de la compagnie nationale Camair-Co.
Immédiatement, Aboubakar informe ses coéquipiers réunis au Hilton Hôtel de Yaoundé. La réaction est immédiate et unanime : aucun joueur ne veut embarquer avec Camair-Co. Certains, excédés, vont jusqu'à prévenir leurs familles qu’ils préfèrent rentrer chez eux plutôt que de monter dans cet avion. Le refus est catégorique.
Au départ, les responsables du ministère croient à une plaisanterie. Mais ils réalisent rapidement que les joueurs sont sérieux. Pire encore, lorsqu’ils tentent de diviser le groupe, c’est un échec cuisant. Cyrille Tollo, conseiller technique numéro 2 au ministère, essaie maladroitement de convaincre les plus jeunes, mais ces derniers affichent la même détermination que les cadres. Pour faire pression, les joueurs menacent même de boycotter les entraînements tant qu’une solution acceptable ne sera pas trouvée.
Face à cette levée de boucliers, le ministre des Sports, Narcisse Mouelle Kombi, se résout à chercher une alternative. Il contacte plusieurs compagnies aériennes, mais la plupart refusent les conditions imposées par le ministre des sports. Finalement, seule Air Ivoire accepte de transporter l’équipe, pour 400 millions de francs CFA et surtout reverser les retro commissions. Une opération une fois de plus, qui a profité à certains hauts cadres du ministère, à en croire les confidences d’un proche de Cyrille Tollo, qui aurait même remercié les joueurs pour leur "rébellion", source d’une lucrative opportunité.
Mais pourquoi une telle hostilité des Lions envers Camair-Co ?
La réponse se trouve dans un traumatisme encore récent. Lors de leur dernier voyage en Afrique du Sud, les joueurs ont vécu une véritable épreuve. Parti du Cameroun avec un retard conséquent, leur vol a été ponctué de multiples escales non prévues, notamment au Congo, pour faire le plein de kérosène. Le trajet fut long, éprouvant, et ponctué de frayeurs en plein vol. À leur arrivée à Johannesburg, ils étaient déjà en retard, et l'aéroport de leur destination finale, Nelspruit, avait fermé. Résultat : une nuit d’incertitude et de fatigue pour les joueurs, à la veille d’un match important.
Dans ces conditions, leur refus de voyager à nouveau avec Camair-Co semble moins une insubordination qu’un acte de préservation, une réaction de professionnels soucieux de leur sécurité et de leurs performances.
Mais une question demeure : qui va enfin siffler la fin de la récréation ?
Cette nouvelle crise met une fois de plus en lumière la mauvaise gouvernance et les intérêts personnels qui gangrènent la gestion de l’équipe nationale. Depuis que le ministère des Sports a repris le contrôle direct des Lions, les tensions ne cessent de croître. Entre décisions controversées, dépenses jugées excessives, et manque total de transparence, la situation semble avoir atteint un point de non-retour.
Aujourd’hui, le football camerounais se trouve à la croisée des chemins. Qui aura le courage – ou le pouvoir – de mettre fin à ce désordre ? Qui pourra redonner à cette équipe, cinq fois championne d’Afrique, une direction stable, respectueuse des joueurs et centrée sur la performance sportive plutôt que sur les profits occultes ?
Le public, les anciens joueurs, les observateurs et même certains responsables commencent à se poser la question avec insistance : l’équipe nationale appartient-elle encore au peuple camerounais ou est-elle devenue la chasse gardée de quelques privilégiés ?