Le document qui accuse. Un message confidentiel classé "TRÈS URGENT" de la Délégation régionale de la Sûreté nationale du Sud-Ouest, daté du 22 octobre 2025 et signé par le commissaire divisionnaire Loa-Hegba Agai, accuse formellement Issa Tchiroma Bakary d'avoir "personnellement contacté via numéro téléphone 699.650.334 des militaires en vue de leur demander de participer aux manifestations" prévues après la proclamation des résultats de la présidentielle du 12 octobre.
Les accusations détaillées. Selon ce document estampillé "CONFIDENTIAL" et adressé à tous les responsables et chefs d'unités de police de la région Sud-Ouest ainsi qu'à la Délégation générale de la Sûreté nationale à Yaoundé, le candidat de l'opposition aurait mis en place une "stratégie mise à feu et à sang du pays après proclamation des résultats". L'objectif présumé de Tchiroma, selon la police, serait de "bloquer les axes routiers Bafoussam-Douala et Yaoundé-Douala".
Les consignes sécuritaires. Le message-porte ordonne aux forces de police de "prendre chacun en ce qui le concerne, en collaboration avec les autorités administratives et autres forces de défense et sécurité, toutes dispositions idoines en vue d'empêcher dit suivisme". La Délégation régionale demande notamment de "sensibiliser les personnels sous vos ordres, renforcer le dispositif sécuritaire sur les axes routiers ainsi que les barrages mixtes aux entrées et sorties des agglomérations".
Le timing politique. Ce document intervient à un moment crucial : cinq jours avant la proclamation des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel, prévue le 27 octobre. Issa Tchiroma Bakary, qui revendique sa victoire et a appelé ses partisans à manifester pacifiquement, est depuis plusieurs jours dans le collimateur du ministre de l'Administration territoriale Paul Atanga Nji, qui l'a mis en garde à plusieurs reprises contre tout "appel à l'insurrection".
Une accusation contestable. L'accusation selon laquelle Tchiroma aurait contacté des militaires pour les inciter à participer aux manifestations soulève plusieurs questions. D'abord, le document ne fournit aucune preuve matérielle de ces contacts présumés, se contentant de mentionner un numéro de téléphone. Ensuite, l'opposant a constamment appelé à des manifestations "pacifiques" et "dans l'amour de la patrie", sans jamais évoquer publiquement de stratégie de blocage routier ou de collaboration avec des militaires.
La stratégie du pouvoir. Ce document pourrait s'inscrire dans une stratégie plus large visant à criminaliser la contestation post-électorale. En accusant Tchiroma d'avoir contacté des militaires et de vouloir "mettre le pays à feu et à sang", les autorités se donnent des arguments juridiques pour justifier une éventuelle arrestation. Le fait que Martin Mbarga Nguele, ministre de la Défense, soit explicitement cité dans le document ("MBARGA NGUELE XX FIN CITATION") suggère que la hiérarchie militaire a été officiellement alertée.
Les axes stratégiques visés. Le document mentionne spécifiquement les axes Bafoussam-Douala et Yaoundé-Douala, deux artères vitales pour l'économie camerounaise. Bafoussam, capitale de la région de l'Ouest, est un bastion traditionnellement contestataire, tandis que Douala est le poumon économique du pays. Le blocage de ces axes paralyserait effectivement une grande partie de l'activité économique du Cameroun.
Les zones d'ombre. Plusieurs éléments du document soulèvent des interrogations. Comment la police aurait-elle obtenu ces informations sur les contacts présumés de Tchiroma avec des militaires ? S'agit-il d'écoutes téléphoniques ? De dénonciations ? Le document ne le précise pas. De plus, l'urgence affichée ("TRÈS URGENT", "CONFIDENTIAL") contraste avec le caractère vague des accusations, qui ne mentionnent ni les noms des militaires prétendument contactés, ni les dates précises de ces contacts.
La montée des tensions. Ce document s'inscrit dans un contexte de tension croissante. Depuis le 12 octobre, huit régions sur dix ont connu des mouvements de contestation, l'accès à internet a été perturbé dans plusieurs villes, et des groupes de partisans protègent le domicile de Tchiroma à Garoua. Le ministre de l'Administration territoriale a déjà prévenu que toute contestation après la proclamation des résultats serait considérée comme "hors la loi".
Pourquoi c'est important. Ce document confidentiel révèle la nervosité des services de sécurité face à une mobilisation populaire qu'ils peinent à contrôler. En accusant Tchiroma de vouloir impliquer des militaires dans les manifestations, le pouvoir tente de discréditer la contestation et de la présenter comme une entreprise de déstabilisation violente plutôt que comme l'expression d'un désaccord politique légitime. La semaine du 27 octobre s'annonce décisive : soit ces accusations serviront de prétexte à l'arrestation de l'opposant, soit elles resteront lettre morte si le régime estime le risque trop élevé. Dans tous les cas, ce document témoigne d'un pouvoir sur la défensive, qui mobilise ses forces de sécurité pour faire face à une crise post-électorale sans précédent.