Analysons des résultats de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025 au Cameroun, et voyons ensemble.
Le 6 novembre 2025, Paul Biya a prêté serment après que le Conseil constitutionnel l’a déclaré vainqueur de l’élection présidentielle avec 53,66 % des suffrages. Cependant, cette annonce a provoqué des manifestations, parfois violentes, à travers le pays et suscité des doutes massifs sur la légitimité du scrutin. Issa Tchiroma, crédité de la deuxième place selon les chiffres officiels (35 %), conteste toujours la proclamation de la victoire de Paul Biya.
Pour éclairer les résultats du scrutin, nous nous sommes concentrés sur les performances de Paul Biya et d’Issa Tchiroma. Nous avons analysé plusieurs documents : la décision n°54/CC/SRCER du 27 octobre 2025 du Conseil constitutionnel proclamant les résultats de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025, les publications d’Elecam sur son site Internet (portail.elecam.cm), le rapport général sur le déroulement de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018, ainsi que des procès-verbaux des commissions départementales de recensement des votes diffusés via des sources ouvertes. Quels constats en ressortent ?
Participation : une hausse ambiguë
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 octobre 2025, annonce 8 082 692 inscrits et 4 668 446 votants, soit un taux de participation de 57,76 %. Par comparaison, la présidentielle de 2018 avait enregistré 3 590 681 votants pour 6 667 754 inscrits, soit un taux de participation de 53,9 %. La participation augmente donc de 3,86 points, et le nombre d’inscrits progresse sensiblement par rapport à 2018. Toutefois, pour l’élection de 2025, Elecam publie le chiffre de 7 845 622 inscrits, soit un écart de 237 070 électeurs avec la décision du Conseil constitutionnel. Cette différence remet en question la fiabilité des chiffres officiels.
Qui gagne où ?
* Dans les 20 départements comptant le plus grand nombre d’inscrits (5 513 984 inscrits, 2 980 406 votants), qui représentent 68 % de l’électorat et 63 % des votants, Issa Tchiroma l’emporte dans 12 départements. Il y recueille 998 435 voix, soit 33 % des suffrages valablement exprimés (SVE), contre 719 689 voix (24 %) pour Paul Biya.
* Dans les 38 autres départements, ainsi que la diaspora (2 568 708 inscrits, 1 688 040 votants), Paul Biya totalise 1 249 708 SVE (74 %), contre 281 836 SVE (17 %) pour Issa Tchiroma.
* Dans les départements remportés par Paul Biya, sa part moyenne des SVE atteint 70,61 %, contre seulement 18,63 % pour Tchiroma.
* Dans ceux remportés par Tchiroma, il obtient en moyenne 56,52 % des SVE, contre 28,94 % pour Biya.
* Issa Tchiroma remporte plus de 50% des suffrages dans 7 départements et dans la diaspora : Wouri (74,4%), Vina (58,8 %) Mifi (79%), Mayo Louti (54,4%), Bamboutos (57 %), Djerem (50,8 %), Haut Nkam (71%) et Diaspora (58%). Issa Tchiroma réalise des scores au-dessus des 70% dans les départements du Wouri (74 %), de la Mifi (79 %) et du Haut-Nkam (72 %).
* Paul Biya comptabilise 47 % de l’ensemble de ses voix (1 175 145 sur un total de 2 474 188 SVE) dans les régions du Centre, du Sud et de l’Est, tandis qu’Issa Tchiroma n’y enregistre que 291 571 SVE (18,36 %).
Scores extrêmes et concentration des voix pour Paul Biya
* Plusieurs départements affichent des pourcentages de SVE exceptionnellement élevés en faveur de Paul Biya : Ndian (99 %), Dja-et-Lobo (98 %), Nyong-et-Mfoumou (97 %), Ngo-Ketunjia (93 %), Manyu (93 %), Mezam (92 %), Mvila (92 %), Lékié (91 %). Dans ces neuf départements, le taux de participation moyen atteint 83 % : sur 705 405 votants, Paul Biya recueille 655 647 voix (93 %), contre seulement 25 500 voix (4 %) pour Issa Tchiroma.
* Dans 24 départements remportés par Paul Biya, le taux de participation dépasse 70 % (77 % en moyenne) : sur 1 472 236 votants, Paul Biya obtient 87,08 % des SVE (1 282 074 voix), contre 7,59 % pour Tchiroma (111 795 voix).
* Les performances de Paul Biya dans les régions anglophones, pourtant marquées par des violences et des revendications sécessionnistes, sont saisissantes : il y engrange 327 792 voix contre 19 400 pour Issa Tchiroma, avec des scores extrêmes comme dans le Ndian (99 %), la Mezam (91,7 %), la Manyu (91,3 %), le Ngo-Ketunjia (93,5 %).
En comparaison, lors de l’élection présidentielle de 2018, le taux d’abstention dans ces régions oscillait entre 85 % et 99 %. Toutes choses étant égales par ailleurs, on peut légitimement s’interroger sur les facteurs expliquant un tel changement. Ces résultats, combinés à des taux de participation anormalement élevés, paraissent statistiquement improbables sans irrégularités.
Anomalies et signes de manipulation
Plusieurs éléments issus de sources ouvertes remettent en cause la sincérité du scrutin :
* Écart de 237 070 inscrits entre les chiffres d’Elecam et ceux du Conseil constitutionnel.
* Cas flagrant dans le département du Nyong-et-Kellé : un procès-verbal diffusé en ligne fait état de 34 524 SVE et de 16 058 voix pour Paul Biya (46,51 % des SVE), tandis que la décision du Conseil constitutionnel lui attribue, dans le même département, 38 559 voix (67 % des SVE), soit un ajout de 22 501 voix. Lors de l’élection présidentielle de 2018, ce département avait été remporté par Cabral Libii avec plus de 61 % des suffrages.
* Dans le Mfoundi, le Conseil constitutionnel indique 771 503 inscrits et 393 708 votants, tandis que les procès-verbaux en circulation mentionnent 475 645 inscrits et 237 910 votants. Soit une différence de 295 858 inscrits et 155 798 votants. Les procès-verbaux créditent Issa Tchiroma de 135 207 voix (57,42 %) et Paul Biya de 72 727 voix (30,88 %). Le Conseil constitutionnel attribue 170 874 SVE (43 %) à Issa Tchiroma contre 179 394 voix (46 %) à Paul Biya. Le constat : le Conseil constitutionnel a artificiellement augmenté les voix de Paul Biya de 106 667 et celles de Tchiroma de 35 640.
* Dans la Bénoué, le Conseil constitutionnel indique 423 422 inscrits et 198 943 votants, avec 96 820 SVE (49 %) pour Issa Tchiroma et 66 362 SVE (33,4 %) pour Paul Biya. Les procès-verbaux mentionnent quant à eux 493 198 inscrits et 218 731 votants, avec 114 609 SVE (53,61 %) pour Tchiroma et 70 003 SVE (32,75 %) pour Biya. On observe une réduction d’environ 70 000 inscrits et de 19 788 votants, se traduisant par une baisse de 17 789 voix pour Tchiroma et de 3 683 pour Biya. Cette réduction ciblée semble viser à diminuer la marge de Tchiroma dans les départements où il est populaire.
* Une constellation de 31 départements, principalement dans les régions du Centre, Sud, Est, Nord-Ouest, Sud-Ouest et Extrême-Nord (Mayo-Sava), présente des taux de participation très élevés et des parts de SVE supérieures à 60 % en faveur de Paul Biya, suggérant une inflation artificielle des résultats. Dans ces zones, Paul Biya totalise 1 455 512 voix (60 % des SVE), contre 163 742 voix pour Issa Tchiroma.
Le long délai entre la clôture du scrutin et la publication des résultats définitifs a facilité la circulation de procès-verbaux alternatifs et l’élaboration de tableaux consolidés divergents. Des sources ouvertes indiquent que certains procès-verbaux locaux ont été modifiés et ne reflètent pas fidèlement les votes. Cette situation a probablement été exploitée pour imposer une version « officielle » des résultats.
Les chiffres officiels de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025 montrent à la fois une participation en hausse et des écarts territoriaux extrêmes entre les candidats. Là où Issa Tchiroma l’emporte, ses marges sont solides ; là où Paul Biya l’emporte, ses scores atteignent des niveaux statistiquement improbables. Entre écarts dans l’enregistrement des inscrits, procès-verbaux contradictoires et variations suspectes de la participation, l’analyse statistique plaide pour une vérification indépendante et approfondie des opérations électorales afin de garantir la sincérité du scrutin.