Ferdinand Ngoh Ngoh en route pour la Prison, sa place à Kondengui assurée: l'étau se resserre autour du SGPR

Ferdinand Ngoh Ngoh Dans Lextreme Nord Kousseri Image illustrative

Tue, 25 Nov 2025 Source: www.camerounweb.com

Le témoignage d'Alain Ékassi devant le Tribunal militaire ce lundi 24 novembre pourrait ouvrir un nouveau front dans l'affaire Martinez Zogo. En désignant Martin Savom comme l'auteur principal de l'assassinat du journaliste, le témoin du ministère public braque les projecteurs sur les connexions du maire de Bibey avec les plus hautes sphères du pouvoir camerounais. Et notamment sur Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence de la République (SGPR), dont Savom serait un proche.

C'est Jeune Afrique qui, le premier, avait révélé en avril 2024 cette connexion potentiellement explosive. Dans son enquête sur l'analyse des téléphones dans l'affaire Martinez Zogo, le magazine panafricain avait souligné que Martin Savom, "qui a travaillé à la présidence en 2012, est réputé être un proche du secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh".

Cette proximité n'était alors qu'un détail dans une affaire focalisée sur Jean-Pierre Amougou Belinga comme commanditaire présumé. Mais avec le témoignage d'Alain Ékassi qui élève Savom au rang d'"auteur principal" de l'assassinat, cette connexion prend une dimension explosive. Si Savom est effectivement l'organisateur du crime, pour le compte de qui agissait-il ? Cette question, jusqu'ici périphérique, devient désormais centrale.

Les observateurs avertis de la scène politique camerounaise savent que l'affaire Martinez Zogo dépasse largement le cadre d'un simple conflit entre un journaliste et un homme d'affaires. Derrière cette tragédie se joue une véritable "guerre de clan" au sommet de l'État, comme le suggèrent plusieurs sources proches du dossier.

Ferdinand Ngoh Ngoh, en tant que secrétaire général de la présidence depuis 2009, est l'un des hommes les plus puissants du Cameroun. Il contrôle l'accès au président Paul Biya et coordonne l'action gouvernementale. Dans cette position stratégique, il s'est naturellement constitué des alliés mais aussi des adversaires au sein de l'appareil d'État.

L'analyse des téléphones de Martinez Zogo, telle que révélée par Jeune Afrique, avait montré que le journaliste était en contact régulier avec un numéro enregistré sous le nom "SG/PR F Ngoh Ngoh", bien que ce dernier ne répondait "presque jamais". Cette distance polie contrastait avec les échanges plus chaleureux que Martinez Zogo entretenait avec un contact nommé "Épouse SGPR", à qui il écrivait : "Bonsoir la maman, dit à papa que s'il fait confiance au ministre des sports, qu'il fasse attention."

Un élément particulièrement troublant révélé par Jeune Afrique est que le même numéro de téléphone de Martin Savom figurait dans les contacts de Martinez Zogo sous le nom "Savom maire" et dans ceux de Justin Danwe, cerveau présumé du commando, sous le nom "Martin Essouma". Pourquoi cette double identité ?

Cette dissimulation suggère que Savom jouait un double jeu, présentant deux visages différents selon ses interlocuteurs. Un tel comportement est typique d'un agent opérant pour le compte de commanditaires souhaitant rester dans l'ombre. La question est de savoir si ces commanditaires incluent Ferdinand Ngoh Ngoh.

Jeune Afrique avait révélé un détail capital : à 19h54 le 17 janvier 2023, soit quelques minutes avant son enlèvement devant la gendarmerie de Nkol Nkondi, Martinez Zogo avait passé un coup de fil à "Savom maire". Ce coup de fil, le dernier avant sa disparition, prend une dimension sinistre si Savom était effectivement l'organisateur de l'enlèvement.

Le journaliste appelait-il son bourreau sans le savoir ? Ou Savom l'avait-il attiré dans un piège ? Cette communication de dernière minute, désormais éclairée par le témoignage d'Alain Ékassi, pourrait constituer une pièce maîtresse du puzzle.

La question qui agite désormais les couloirs du pouvoir est de savoir si le secrétaire général de la présidence pourrait être formellement mis en cause dans cette affaire. Plusieurs facteurs rendent cette hypothèse à la fois plausible et hautement improbable.

Premièrement, la proximité établie entre Savom et Ngoh Ngoh crée un lien potentiel de commandement. Si Savom est l'auteur principal et qu'il agissait pour le compte d'un donneur d'ordre, la piste menant au SGPR devient incontournable.

Deuxièmement, Martinez Zogo critiquait régulièrement dans son émission non seulement Amougou Belinga mais aussi d'autres personnalités liées au pouvoir. Jeune Afrique avait révélé que le journaliste écrivait en novembre 2022 : "Tu attaques [Louis-Paul] Motaze [ministre des Finances] et Amougou. Laisse les miens, petit frère." Cette phrase suggère que ses critiques touchaient plusieurs cercles du pouvoir.

Troisièmement, l'accusation portée par Alain Ékassi concernant l'implication présumée de Savom dans la mort de Mgr Jean Marie Benoît Balla, si elle se confirmait, placerait le maire de Bibey dans la catégorie des exécutants d'une mission plus large d'élimination de personnalités gênantes. Un tel profil suppose nécessairement des commanditaires puissants et organisés.

Cependant, plusieurs éléments rendent hautement improbable une mise en cause formelle de Ferdinand Ngoh Ngoh, du moins à court terme.

D'abord, sa position au sommet de l'État le protège de facto. Mettre en cause le secrétaire général de la présidence reviendrait à ébranler l'ensemble de l'édifice du pouvoir camerounais. Aucun juge d'instruction, fût-il au tribunal militaire, ne prendrait une telle initiative sans un feu vert politique venant du sommet absolu, c'est-à-dire du président Paul Biya lui-même.

Ensuite, établir un lien formel entre Savom et Ngoh Ngoh, puis entre Ngoh Ngoh et l'ordre d'assassiner Martinez Zogo, nécessiterait des preuves matérielles extrêmement solides : enregistrements, témoignages directs, traces financières. Or, si de telles preuves existaient, elles auraient probablement déjà émergé lors de l'expertise des téléphones menée par Jean-Pierre Ouloumou et Bell Bitjoka.

Enfin, la "guerre de clans" qui se joue en arrière-plan complique considérablement l'équation. Mettre en cause Ferdinand Ngoh Ngoh pourrait déstabiliser des équilibres de pouvoir soigneusement construits et provoquer des réactions en chaîne imprévisibles au sein de l'appareil d'État.

L'affaire offre d'ailleurs un précédent instructif avec le cas de Léopold Maxime Eko Eko, l'ex-patron de la Direction générale du renseignement extérieur (DGRE). Accusé par Justin Danwe d'être celui qui avait ordonné l'opération contre Martinez Zogo, Eko Eko avait toujours nié. L'expertise de ses téléphones, comme l'avait révélé Jeune Afrique, avait conclu que "les activités relevées dans les téléphones de M. Eko Eko ne montrent pas son implication".

Ce précédent montre que même des accusations directes contre de hauts responsables peuvent être écartées si les preuves matérielles ne suivent pas. Il illustre aussi la fragilité des déclarations de protagonistes comme Justin Danwe, dont les téléphones avaient d'ailleurs subi "des traitements modificatifs et des effacements qui les ont rendus quasi-inexploitables", selon Jeune Afrique.

Dans le contexte camerounais, où le président Paul Biya règne depuis 1982 et où les équilibres de pouvoir sont le fruit de décennies de construction patiente, toute remise en cause d'un pilier comme Ferdinand Ngoh Ngoh pourrait s'avérer déstabilisante. Le SGPR, qui contrôle l'accès au chef de l'État et coordonne l'action gouvernementale, est une pièce maîtresse du système.

Cependant, si la justice devait établir de manière irréfutable l'implication de Martin Savom comme auteur principal de l'assassinat de Martinez Zogo, et si des éléments probants venaient lier cet acte à des commanditaires au sommet de l'État, alors même Ferdinand Ngoh Ngoh pourrait ne pas être à l'abri d'une convocation ou d'une audition.

Le témoignage d'Alain Ékassi du 24 novembre 2025 ouvre donc un nouveau chapitre dans cette affaire déjà extraordinairement complexe. En désignant Martin Savom comme auteur principal, il déplace le centre de gravité de l'accusation et pose inévitablement la question du commanditaire réel.

Pour Ferdinand Ngoh Ngoh, même si une mise en cause formelle reste hautement improbable à court terme, cette évolution du dossier ne peut être qu'une source d'inquiétude. La simple évocation publique de sa proximité avec Savom suffit à créer une zone d'ombre sur son éventuelle implication, même indirecte.

Le procès se poursuit au Tribunal militaire de Yaoundé, et chaque audience apporte son lot de révélations. Dans une affaire où se mêlent luttes d'influence, guerres de clans et enjeux de pouvoir, la vérité judiciaire peine encore à émerger clairement. Mais une chose est certaine : plus les investigations avancent, plus elles révèlent les ramifications d'un crime qui dépasse largement le cadre d'un simple règlement de comptes médiatique.

Source: www.camerounweb.com