Derrière l'exil d'Issa Tchiroma Bakary se cache une délicate partie d'échecs diplomatique impliquant le Nigeria, la Gambie et le Cameroun. Jeune Afrique révèle dans une enquête exclusive les coulisses de ce dossier sensible qui embarrasse Abuja et met en lumière le rôle déterminant de la première dame gambienne.
Selon les révélations exclusives de Jeune Afrique, le président nigérian Bola Tinubu se trouve dans une position particulièrement inconfortable. Après avoir accueilli Tchiroma Bakary à Yola début novembre, Abuja a rapidement compris que le maintien de l'opposant camerounais sur son territoire risquait de compliquer ses relations avec Yaoundé.
Le magazine panafricain rapporte que les autorités nigérianes ont fait savoir à Tchiroma Bakary qu'elles ne souhaitaient pas être mêlées à la crise camerounaise, malgré le soutien apporté par des figures influentes de l'entourage présidentiel nigérian. Parmi ces soutiens de poids, Jeune Afrique cite l'émir de Kano Muhammad Sanusi II, l'émir de Bornou Abubakar Ibn Umar Garbai El-Kanemi, et l'émir de Yola Muhammadu Barkindo Aliyu Mustapha.
Une tentative d'arrestation avortée grâce à un stratagème
L'enquête de Jeune Afrique révèle également qu'une tentative d'arrestation de Tchiroma Bakary a été mise sur pied avec l'accord de la National Intelligence Agency (NIA) nigériane. Cette opération, basée sur la localisation d'un de ses téléphones au Nigeria, a échoué car l'appareil n'était plus en possession de l'ancien ministre camerounais, démontrant sa prudence face aux menaces qui pèsent sur lui.
Le magazine précise que cette collaboration entre services de renseignement intervient alors même que la présidence nigériane tentait à plusieurs reprises de joindre directement Paul Biya pour l'informer de la situation. Révélation significative de Jeune Afrique : ces appels n'ont jamais été pris par le président camerounais lui-même, mais par le directeur de son cabinet civil, Samuel Mvondo Ayolo.
Selon les sources de Jeune Afrique, c'est finalement sur instruction directe du président Bola Tinubu, via son conseiller national à la Sécurité Nuhu Ribadu et l'émir de Kano, que la décision d'un exil vers la Gambie a été prise. Nuhu Ribadu aurait personnellement sécurisé le voyage de Tchiroma Bakary vers Banjul.
Le magazine explique qu'Abuja a présenté plusieurs options à l'opposant camerounais, mais que le choix d'un pays jugé "neutre" a finalement prévalu. Une source citée par Jeune Afrique confie : "Cette stabilité était préférable aux allers-retours entre Yola et Garoua qu'il effectuait auparavant", révélant ainsi que Tchiroma Bakary effectuait régulièrement des déplacements transfrontaliers avant son exil définitif.
Jeune Afrique souligne un détail géopolitique crucial : le Cameroun ne dispose pas d'ambassade à Banjul, offrant ainsi à Tchiroma Bakary un éloignement géographique plus confortable aux yeux de Yaoundé. Cette absence de représentation diplomatique camerounaise en Gambie complique considérablement toute action des autorités de Paul Biya contre l'opposant.
Le magazine note également que c'est Abuja elle-même qui, souhaitant clarifier sa position vis-à-vis de Yaoundé, a demandé à Banjul d'officialiser publiquement l'arrivée de Tchiroma Bakary sur son territoire. Cette révélation de Jeune Afrique explique pourquoi les autorités gambiennes ont publié leur communiqué le 23 novembre, alors que l'opposant se trouvait déjà sur leur sol depuis plusieurs jours.
Cette affaire, telle que racontée par Jeune Afrique, illustre les tensions régionales que génère la crise post-électorale camerounaise. Le Nigeria, géant économique et militaire de la région, se retrouve coincé entre son rôle traditionnel de médiateur en Afrique de l'Ouest et la nécessité de préserver ses relations avec son voisin camerounais.
La décision de transférer le "problème" vers la Gambie, loin d'être anodine, témoigne de la volonté d'Abuja de maintenir une position d'équilibre précaire dans ce dossier explosif. Comme le révèle Jeune Afrique, cette stratégie de désengagement progressif permet au Nigeria de préserver ses intérêts tout en évitant une confrontation directe avec Yaoundé.