L'incroyable évasion de Chrislan Maneng's révèle l'implication discrète de diplomaties occidentales dans la protection de l'opposition camerounaise
L'exfiltration par avion privé du stratège en communication Chrislan Maneng's, orchestrée avec l'aide de plusieurs chancelleries occidentales et d'institutions internationales, jette une lumière crue sur les mécanismes de protection dont bénéficient certains opposants camerounais face à la répression du régime de Paul Biya.
Les révélations exclusives de Jeune Afrique dessinent les contours d'une opération d'extraction minutieusement préparée. Après la présidentielle du 12 octobre 2025 et la proclamation de victoire d'Issa Tchiroma Bakary, une vague de répression s'est abattue sur l'opposition. Anicet Ekane avait déjà été interpellé lorsque Chrislan Maneng's, directeur de campagne et communicant en chef du candidat, a été averti qu'il était dans le viseur des autorités.
Selon Jeune Afrique, "on lui a alors demandé de prendre la route de Garoua", ville du nord du Cameroun où il aurait pu se mettre temporairement à l'abri. Mais le stratège a refusé cette option pour une raison familiale : sa fille était scolarisée à Yaoundé. Un choix risqué qui aurait pu lui coûter sa liberté.
C'est là que l'affaire prend une dimension internationale. Jeune Afrique révèle que Chrislan Maneng's "est parvenu, grâce au concours de plusieurs chancelleries et de contacts aux Nations unies et à l'Union européenne, à sortir du Cameroun par un vol privé, via le Nigeria, destination l'Europe". Une formulation qui soulève de nombreuses questions sur le niveau d'implication de ces acteurs étrangers.
Quelles chancelleries exactement ont facilité cette exfiltration ? S'agit-il de la France, puissance traditionnellement influente au Cameroun ? Des États-Unis, qui multiplient les critiques contre le régime Biya ? De la Belgique, ancien colonisateur ? Jeune Afrique ne précise pas l'identité des pays impliqués, mais la mention de "plusieurs chancelleries" suggère une coordination internationale.
Plus troublant encore : le recours à un "vol privé" pour quitter le territoire. Ce mode d'évasion, extrêmement coûteux, nécessite des moyens financiers considérables ou des soutiens logistiques puissants. Le passage par le Nigeria, pays anglophone frontalier où l'opposant pouvait bénéficier d'une relative sécurité avant son transfert vers l'Europe, témoigne d'une planification minutieuse.
L'implication de "contacts aux Nations unies et à l'Union européenne", selon les informations de Jeune Afrique, révèle l'existence de réseaux de protection informels au sein même des institutions internationales. Ces fonctionnaires, diplomates ou experts ont-ils agi à titre personnel ou sur instruction de leurs hiérarchies ? La question reste en suspens.
Ce qui est certain, c'est que cette exfiltration s'inscrit dans un contexte de tension croissante entre le régime camerounais et les institutions multilatérales. L'Union européenne a régulièrement exprimé ses préoccupations concernant la situation des droits humains au Cameroun, tandis que plusieurs rapporteurs de l'ONU ont dénoncé les atteintes aux libertés fondamentales.
L'affaire Maneng's n'est pas isolée. Elle s'ajoute à une liste croissante d'opposants ou de personnalités critiques du régime ayant trouvé refuge à l'étranger, parfois avec l'aide de réseaux diplomatiques. Maurice Kamto, principal opposant historique, a lui-même bénéficié de soutiens internationaux lors de ses démêlés avec la justice camerounaise.
Jeune Afrique souligne que cette exfiltration intervient dans un contexte où Issa Tchiroma Bakary lui-même s'est réfugié en Gambie, d'où il prépare sa "riposte juridique" et sa "propre prestation de serment de président élu". La stratégie de l'opposition camerounaise semble désormais reposer sur une double approche : maintenir la pression depuis l'extérieur tout en s'appuyant sur des réseaux internationaux pour protéger ses cadres.
Cette implication étrangère dans l'exfiltration d'un opposant ne manquera pas d'alimenter le discours du régime sur les "ingérences extérieures" et les "complots néocoloniaux". Paul Biya et son entourage ont toujours présenté l'opposition comme manipulée par des puissances étrangères cherchant à déstabiliser le pays.
Les révélations de Jeune Afrique leur fournissent des munitions pour cette thèse, même si la réalité est plus complexe : si des chancelleries occidentales facilitent effectivement l'exil de certains opposants, c'est aussi parce que le régime camerounais multiplie les violations des droits fondamentaux, poussant ces démocraties à protéger des individus menacés.
Depuis l'Europe, Chrislan Maneng's continue son travail pour Issa Tchiroma Bakary. Jeune Afrique précise qu'il s'emploie à "garder en vie la mobilisation citoyenne" au Cameroun, notamment à travers l'organisation d'opérations "villes mortes". Une stratégie rendue possible par les technologies de communication modernes, qui permettent de coordonner des actions sur le terrain tout en étant physiquement hors d'atteinte du régime.
Cette continuité dans l'action pose une question fondamentale : dans quelle mesure un opposant exilé, protégé par des puissances étrangères, peut-il prétendre incarner une alternative légitime au pouvoir en place ? Le régime Biya ne manquera pas d'exploiter cette faiblesse pour délégitimer l'opposition.
Malgré les révélations de Jeune Afrique, de nombreuses questions restent sans réponse. Quel a été le coût exact de cette exfiltration ? Qui l'a financée ? Les chancelleries impliquées ont-elles agi dans le cadre de programmes officiels de protection des défenseurs des droits humains ou s'agit-il d'initiatives plus informelles ?
Par ailleurs, dans quel pays européen Chrislan Maneng's a-t-il finalement trouvé refuge ? A-t-il obtenu un statut de réfugié politique ou bénéficie-t-il d'une simple protection temporaire ? Ces informations, si elles venaient à être révélées, pourraient embarrasser certaines chancelleries qui préfèrent généralement agir dans la discrétion sur ce type de dossiers.
Au-delà du cas individuel de Chrislan Maneng's, cette affaire illustre la crise démocratique profonde que traverse le Cameroun. Lorsqu'un simple directeur de communication d'un parti d'opposition doit être exfiltré par avion privé avec l'aide de puissances étrangères pour échapper à la répression, c'est le signe que le régime en place ne tolère plus aucune forme de contestation organisée.
Les révélations de Jeune Afrique mettent également en lumière le dilemme auquel font face les démocraties occidentales : jusqu'où peuvent-elles aller dans le soutien à l'opposition camerounaise sans franchir la ligne rouge de l'ingérence ? En facilitant l'exil de certains opposants, ne prennent-elles pas le risque de vider le Cameroun de ses forces vives contestataires, laissant ainsi le champ libre au régime Biya ?
Enfin, cette stratégie d'exil protégé pose la question de la déconnexion progressive de l'opposition camerounaise avec les réalités du terrain. Issa Tchiroma Bakary en Gambie, Chrislan Maneng's en Europe, d'autres cadres dispersés aux quatre coins du monde : comment cette opposition diasporique peut-elle prétendre diriger un jour le Cameroun ?
Jeune Afrique note certes que le duo Tchiroma-Maneng's continue d'organiser des actions depuis l'étranger, mais l'efficacité de ces mobilisations reste à prouver. Les opérations "villes mortes", si elles créent du bruit médiatique, peinent à se traduire en changement politique concret dans un pays où le régime contrôle fermement l'appareil sécuritaire et administratif.
L'exfiltration de Chrislan Maneng's, révélée par Jeune Afrique, marque peut-être un tournant : celui d'une opposition camerounaise qui, faute de pouvoir s'imposer sur son propre terrain, choisit la stratégie de l'exil organisé et de la pression internationale. Une stratégie dont l'efficacité reste à démontrer face à un régime rodé aux pressions extérieures depuis plus de quatre décennies.