Ils sont ministres d'État, poids lourds du régime, et pourtant leurs jours au gouvernement semblent comptés. Selon les révélations explosives de Jeune Afrique publiées cette semaine, Laurent Esso, ministre de la Justice, et René Emmanuel Sadi, ministre de la Communication, figurent en tête de liste des personnalités que Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, souhaite écarter lors du prochain remaniement. Une purge qui s'annonce comme un règlement de comptes au sommet de l'État camerounais.
À 83 ans, Laurent Esso incarne la longévité au sommet de l'État camerounais. Seul responsable à n'avoir jamais quitté le gouvernement depuis l'arrivée de Paul Biya au pouvoir en 1982, il a occupé tous les postes stratégiques : ministre de la Justice (1996-2000), ministre de la Santé publique (2000-2001), ministre de la Défense (2001-2004), ministre des Affaires étrangères (2004-2006), et surtout secrétaire général de la présidence (2006-2011).
C'est précisément cette dernière fonction qui explique l'inimitié profonde entre Esso et son successeur, Ferdinand Ngoh Ngoh. Jeune Afrique révèle que les deux hommes entretiennent "des relations exécrables". Le garde des Sceaux, qui connaît tous les secrets du palais et tous les mécanismes du pouvoir, représente une menace permanente pour Ngoh Ngoh. Contrairement au secrétaire général actuel qui a fait de la discrétion sa marque, Esso n'hésite pas à résister publiquement.
Le conflit entre les deux hommes a atteint son paroxysme avec la question des fameuses "hautes instructions" présidentielles. Selon les informations rapportées par Jeune Afrique et confirmées par d'autres sources, Laurent Esso a eu le courage de critiquer ouvertement ce système par lequel Ngoh Ngoh transmet des ordres en invoquant l'autorité de Paul Biya sans que personne ne puisse vérifier leur authenticité.
Cette prise de position publique, rare dans un régime où la contestation interne est quasi inexistante, a "ravivé la guerre des clans qui sévit à Yaoundé dans l'optique d'une succession du chef de l'État", selon Jeune Afrique. Pour Ngoh Ngoh, qui a fait de ce mécanisme son principal levier de pouvoir, l'affront est impardonnable.
Laurent Esso a frôlé la disgrâce avec l'assassinat du journaliste Martinez Zogo en janvier 2023. Injustement accusé d'avoir commandité ce meurtre, le ministre de la Justice a dû s'expliquer directement auprès de Paul Biya. Pendant des mois, le président refusait de le recevoir, malgré les interventions de Samuel Mvondo Ayolo, directeur du cabinet civil.
Cette période difficile semblait avoir sonné le glas de la carrière d'Esso. Beaucoup prédisaient sa chute. Mais le garde des Sceaux a finalement été blanchi par les enquêtes. Plus encore, il a été reçu à deux reprises récemment par Paul Biya – un privilège rare alors même que le Premier ministre Dion Ngute ne voit presque plus le président. Ces audiences ont permis à Esso d'obtenir l'autorisation de préparer le prochain Conseil supérieur de la magistrature, qui ne s'est pas réuni depuis trois ans.
Mais Laurent Esso est également fragilisé par sa santé. Après un malaise lors des célébrations de la fête de l'Unité nationale en mai 2024, nécessitant son hospitalisation immédiate, son état s'est considérablement dégradé. Son absence remarquée lors de la présentation des vœux au président Paul Biya le 10 janvier dernier a confirmé la gravité de la situation.
Une première tentative d'évacuation sanitaire avait échoué, malgré l'arrivée d'un avion médicalisé spécialement affrété depuis l'Europe. Il a fallu l'intervention de Samuel Mvondo Ayolo pour que l'autorisation présidentielle soit finalement accordée, permettant au ministre de quitter le pays par vol commercial vers l'Europe. Jeune Afrique s'interroge : cette évacuation tardive ne cache-t-elle pas une volonté de laisser le ministre dans une situation difficile ?
Actuellement en Europe pour soins médicaux, Laurent Esso s'est "désengagé de l'ensemble de ses dossiers, désormais gérés par son ministre délégué Jean de Dieu Momo", rapporte Jeune Afrique. Cette absence prolongée pourrait faciliter les plans de Ngoh Ngoh, qui souhaite son départ du gouvernement. Son poste de ministre d'État, numéro deux du gouvernement, fait de lui une cible de choix.
À 77 ans, René Emmanuel Sadi est l'autre grand perdant désigné du prochain remaniement selon les révélations de Jeune Afrique. Diplomate de formation titulaire d'un diplôme de 3ème cycle en Relations internationales et d'une licence bilingue, il a gravi tous les échelons depuis 1975 : directeur adjoint du Cabinet civil de la présidence (1985), secrétaire général adjoint à la présidence (2004-2009), ministre chargé de mission (2009-2011), ministre de l'Administration territoriale (2011-2018), avant d'être nommé ministre de la Communication en janvier 2019.
Jeune Afrique indique que Sadi figure "en ligne de mire" de Ferdinand Ngoh Ngoh avec qui il entretient également "des relations exécrables". Le magazine révèle un incident particulièrement révélateur de cette inimitié : il y a quelques semaines, Ngoh Ngoh a obtenu de Paul Biya le remplacement de Charles Ndongo, directeur général de la CRTV (télévision nationale), par George Ewane, un éditorialiste débauché il y a quatre ans pour en faire un conseiller technique à la présidence.
Mais René Emmanuel Sadi, en tant que ministre de la Communication et président du conseil d'administration de la CRTV, a purement et simplement "court-circuité le projet", selon Jeune Afrique. Un affront majeur qui montre que, comme Laurent Esso, Sadi n'hésite pas à tenir tête au tout-puissant secrétaire général, même au risque de sa carrière.
Ce qui réunit Laurent Esso et René Emmanuel Sadi, au-delà de leur longévité exceptionnelle au sommet de l'État, c'est leur refus de se soumettre totalement à l'autorité de Ferdinand Ngoh Ngoh. Dans un système où la plupart des ministres exécutent sans broncher les directives du secrétaire général, ces deux hommes représentent une forme de résistance institutionnelle.
Leur expérience du pouvoir – Esso a été lui-même secrétaire général de la présidence pendant cinq ans, Sadi a occupé des postes stratégiques pendant des décennies – leur donne une légitimité et une connaissance du système que Ngoh Ngoh ne peut ignorer. Ils savent où sont enfouis les cadavres, connaissent les mécanismes réels du pouvoir et disposent de leurs propres réseaux d'influence.
Jeune Afrique révèle d'ailleurs que "l'exercice du pouvoir par Paul Biya a favorisé la rivalité entre clans, affiliés qui à Ferdinand Ngoh Ngoh, qui au ministre de la Justice, Laurent Esso, qui à celui des Finances, Louis-Paul Motaze". Cette guerre des clans structure désormais toute la vie politique camerounaise, particulièrement quand le président se retire dans sa résidence de Mvomeka'a.
Si les plans de Ferdinand Ngoh Ngoh se concrétisent, le départ de Laurent Esso et René Emmanuel Sadi marquerait un tournant majeur dans l'histoire politique du Cameroun. Ces deux figures, qui incarnent la mémoire institutionnelle du régime et représentent une forme de contre-pouvoir informel face au secrétaire général, laisseraient le champ libre à Ngoh Ngoh pour consolider définitivement son emprise sur l'appareil d'État.
Mais Jeune Afrique termine son enquête par une question cruciale : "Paul Biya acceptera-t-il toutes ces propositions alors que Ferdinand Ngoh Ngoh reste contesté ?" Car si le président a renouvelé sa confiance au secrétaire général le 7 décembre, cela ne signifie pas pour autant qu'il validera l'éviction de deux de ses plus anciens collaborateurs, notamment Laurent Esso qui a servi le régime depuis 1982.
Pour les deux ministres menacés, tout se jouera dans les prochaines semaines. Laurent Esso, affaibli par la maladie et en convalescence en Europe, est particulièrement vulnérable. René Emmanuel Sadi, en meilleure forme physique et toujours actif, pourrait tenter de mobiliser des soutiens. Mais dans un système où la décision finale appartient à un seul homme de 92 ans, influencé par son épouse et son secrétaire général, leurs chances de survie politique semblent minces.
Les révélations de Jeune Afrique annoncent donc une purge qui, si elle se réalise, consacrera le triomphe absolu de Ferdinand Ngoh Ngoh sur ses rivaux historiques. Un triomphe qui ferait de lui l'homme le plus puissant du Cameroun après Paul Biya, sans aucun contre-pouvoir réel au sein de l'exécutif.