Sécurité militaire : les failles du dispositif de surveillance révélées par l'affaire Tchiroma

Semil Au Cameroun Image illustrative

Mon, 22 Dec 2025 Source: www.camerounweb.com

La fuite de l'opposant Issa Tchiroma Bakary expose les dysfonctionnements criants au sein des services de renseignement camerounais. Entre rivalités internes et dénonciations anonymes, l'enquête patine.

L'exfiltration réussie d'Issa Tchiroma Bakary vers le Nigeria le 27 octobre dernier a mis en lumière des défaillances préoccupantes dans le système de surveillance des services de défense camerounais. Selon des révélations exclusives de Jeune Afrique, l'enquête interne lancée par Yaoundé révèle un climat de suspicion généralisée et des pratiques douteuses au sein même de la Sécurité militaire.

L'arrestation du capitaine Talla Foba, chef d'antenne de la Sémil à Garoua, repose uniquement sur une dénonciation anonyme dont l'origine demeure floue. D'après les informations recueillies par Jeune Afrique, plusieurs responsables militaires contestent fermement la version des faits présentée par cette source mystérieuse. Certains y voient même une manœuvre délibérée pour écarter un officier jugé gênant.

Cette hypothèse prend du poids quand on sait que le capitaine Talla Foba n'a jamais été formellement accusé. Après plusieurs semaines de garde à vue et d'interrogatoires au Secrétariat d'État à la Défense, les enquêteurs n'ont trouvé aucune preuve matérielle de son implication dans l'opération d'exfiltration. Aucun virement suspect, aucun témoignage corroborant, aucune trace de déplacement vers la frontière nigériane.

Au-delà du cas Talla Foba, c'est tout le dispositif de surveillance qui est remis en question. Jeune Afrique révèle que la nuit du 27 octobre, aucun agent de la Sécurité militaire n'était effectivement posté devant la résidence d'Issa Tchiroma Bakary à Garoua. La surveillance se limitait à des passages occasionnels de patrouilles, laissant de larges plages horaires non couvertes.

Plus troublant encore, les services de renseignement n'ont découvert le départ de l'opposant que trois jours plus tard, lorsque ce dernier a lui-même annoncé publiquement son installation à Yola. Cette réaction tardive témoigne d'une coordination défaillante entre les différentes composantes de l'appareil sécuritaire camerounais.

Les investigations menées par Jeune Afrique mettent également en évidence des tensions profondes entre la Sécurité militaire et la Gendarmerie nationale. Les deux gradés de la Gendarmerie arrêtés aux côtés du capitaine Talla Foba ont rapidement été relâchés, leurs supérieurs hiérarchiques contestant toute implication dans l'affaire.

Ces querelles de chapelles paralysent l'enquête. Chaque service protège ses hommes et rejette la responsabilité sur l'autre. Résultat : deux mois après les faits, les autorités camerounaises ne sont toujours pas en mesure d'établir avec certitude comment Issa Tchiroma Bakary a quitté le pays.

Un élément révélé par Jeune Afrique complique encore davantage le tableau : le remplaçant du capitaine Talla Foba, Alain Grégoire Enyengue Mvondo, est un proche du gouverneur de la région du Nord, Jean Abate Edi'i. Cette nomination rapide soulève des questions sur l'implication potentielle de l'administration civile dans cette affaire qui dépasse désormais le cadre strictement militaire.

Le gouverneur Edi'i fait l'objet de critiques de la part de certains cadres du régime qui l'accusent d'avoir failli à sa mission de contrôle du territoire. La région du Nord, zone stratégique frontalière avec le Nigeria, nécessite une coordination étroite entre autorités civiles et militaires. L'échec de cette coordination dans le dossier Tchiroma pourrait lui coûter cher politiquement.

Pour l'heure, le transfert du capitaine Talla Foba à la Marine nationale ressemble davantage à une mise à l'écart qu'à une sanction définitive. Selon Jeune Afrique, l'officier n'a été inculpé d'aucun chef d'accusation précis et pourrait même bénéficier d'une réhabilitation si l'enquête ne progresse pas.

Cette affaire met en lumière les limites d'un système de surveillance reposant davantage sur la multiplication des services que sur leur efficacité réelle. Tant que les rivalités internes prévaudront sur la coopération, les failles resteront béantes.

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