Le Cameroun vit, comme souvent après une échéance électorale, un moment de reddition de comptes informelle au sommet de l’État. Une rumeur tenace, que certains s’empressent d’ériger en dogme, circule dans les salons feutrés et les médias sociaux : tout membre du Gouvernement dont la localité d’origine n’aurait pas accordé un score « massif » ou aurait « rejeté » l’offre politique du président-candidat, Paul Biya, devrait être immédiatement débarqué.
Cette thèse, séduisante par sa simplicité punitive, est en réalité une dangereuse démagogie qui menace les fondations mêmes de notre cohésion nationale et l’efficacité de l’action publique. Elle réduit la fonction ministérielle à une simple procuration électorale régionale et foule aux pieds le principe fondamental de la compétence.
La fonction ministérielle au-delà du clan
Les débats qui nourrissent cette polémique soulignent implicitement l’idée que le rôle d’un ministre est d’abord celui d’un agent de mobilisation régionale. Or, cette vision est profondément réductrice et erronée dans un État unitaire. Un ministre n’est pas nommé pour garantir un score électoral dans son village natal. Il est le serviteur de la Nation tout entière. Son mandat découle du Président de la République, qui est l’incarnation de l’unité nationale, et non de la vox populi d’un département.
La feuille de route d’un membre du Gouvernement est la mise en œuvre de la politique nationale, la gestion d’un secteur (santé, éducation, travaux publics) et non la sécurisation d’une base locale. En imposant le score électoral comme critère de survie ministérielle, nous ouvrons la porte à une prime à l’ethnicisation de la politique. On juge alors l’homme non pas sur ses résultats à la tête de son département ministériel (réforme, infrastructures, gestion budgétaire), mais sur sa capacité à « museler » ou « convaincre » ses frères et sœurs.
C’est une perversion du concept de méritocratie républicaine. Ernest Renan a défini la Nation comme :« une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». Transposée au contexte camerounais, cette approche est concrétisée par l’héritage indivis de la construction nationale, où la nomination se fait sur l’équilibre et la compétence, non sur la performance partisane et locale.
L’Unité nationale contre la sanction partisane
Si l’on suit l’argument de la sanction par le score, l’on met en péril l’un des plus grands acquis de l’ère Paul Biya : l’équilibre régional et la représentativité au sein des institutions. Faut-il décapiter l’équipe gouvernementale de ses meilleurs éléments sous prétexte que le vote dans leur localité a été l’expression d’un mécontentement conjoncturel ou d’une adhésion à une offre alternative qui, en fin de compte, n’a pas réussi à emporter la majorité nationale ?
Le Président de la République, garant de l’Unité, doit se montrer au-dessus de ces calculs mesquins. Le renouvellement ministériel est une prérogative présidentielle qui doit obéir à une logique de redynamisation de l’action publique et de récompense de l’efficacité, et non de règlement de comptes post-électoral basé sur des critères extra-fonctionnels. Georges Clemenceau affirmait en son temps : « La vraie politique consiste à rendre possible ce qui est nécessaire », aujourd’hui, ce qui est nécessaire au Cameroun, ce n’est pas de purger un gouvernement sur la base de scores locaux jugés insuffisants.
Ce qui est nécessaire, c’est de consolider une équipe capable de faire face aux défis économiques, sécuritaires et sociaux pressants. C’est de juger le ministre des Travaux publics sur l’état des routes, et non sur le bulletin de vote de son village. « En politique, on ne juge pas les hommes par les promesses de leurs régions, mais par les réalisations de leurs fonctions » disait Machiavel. L’on peut donc comprendre que score n’est pas un boulet, mais l’expression démocratique d’une partie du corps électoral. L’efficacité et l’unité de la Nation doivent primer sur la sanction politicienne car « dans l’administration des affaires publiques, la première vertu n’est pas l’allégeance du sang, mais l’efficacité du cerveau », comme pensait Platon.
Ainsi, le prochain remaniement doit être un exercice de haute gestion des ressources humaines de l’État, et non un simple ajustement comptable de la carte électorale. C’est le prix à payer pour une gouvernance qui cherche l’unité, au lieu de la division.