Secrétaire générale de la FIFA depuis 2016, Fatma Samoura (61 ans) est entrée au cœur du jeu comme par effraction. Rapidement, elle s’est distinguée et a pris ses marques pour bâtir un édifice solide sur ce qui s’apparentait à un tas de ruines quand elle arrivait à Zurich, dans la maison de verre, le siège de la FIFA. Mais le temps passe vite. Tel un météore, elle est venue, elle s’en va déjà.
En 1995, quand elle fit ses premiers pas au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU), rien ne la prédestinait à un virage vers le terrain glissant du football. C’est que Madame Samoura, Fatma Samba Diouf à l’état-civil, a toujours été déroutante. Au Centenaire Gibraltar, quartier dans la périphérie du centre-ville de Dakar où elle a grandi dans les années 70, la jeune Fatma Samoura est très tôt passionnée par le football, au contact de ses camarades de classes et des voisins du quartier.
Sa grande sœur, Ndèye Astou, rencontrée dans ce quartier historique, nous raconte l’enfance d’une « jeune fille très dynamique, qui n’a jamais eu de mal à exercer des tâches que l’on considérait comme dévolues aux garçons. Pendant la fête de Tabaski par exemple, Fatma se plaisait à dépecer le mouton à côté de papa », se souvient-elle, en montrant quelques photos-souvenirs qui ont immortalisé ces moments.
Brillante élève, la jeune fille a fréquenté le lycée Maurice Delafosse de Dakar, en compagnie d’un certain Cheikh Tidiane Seck, devenu légende du football sénégalais quelques années plus tard.
Après le baccalauréat, Fatma Samoura s’oriente vers des études en langues. Partie à Lyon, en France, elle se perfectionne dans la pratique de l’espagnol, de l’anglais, de l’italien et du français et devient titulaire d’une Maîtrise en Anglais et en Espagnol, acquise à l’Université de Lyon (UDL France) et d’un Master en Gestion, spécialisation en Commerce et Relations internationales de l’Institut d’études supérieures spécialisées (IESS) de Strasbourg (France).
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Le retour au Sénégal
De retour au Sénégal, elle occupe un poste de cadre au sein de l’un des fleurons de l’industrie nationale. De ce passage à la SENCHIM, filiale commerciale des Industries Chimiques du Sénégal (ICS), Fatma Samoura retient ce qui, sans qu’elle ne le sache, la forgera à telle enseigne qu’elle lui servira de boussole des décennies plus tard, dans un tout autre environnement. « Lorsque j’ai commencé ma carrière au Sénégal, en 1986, juste après mes études, à la SENCHIM, c’était aussi dans un corps de métier où il y avait une forte domination des hommes à la tête du management et au niveau de la direction générale. Le fait d’être une femme et d’être une femme africaine, lorsque j’ai pris les rênes de l’administration de la FIFA, je ne l’ai jamais senti comme un fardeau», raconte-t-elle dans un entretien accordé à la BBC.
Pendant 8 ans, Fatma Samoura évolue dans le secteur mouvementé du commerce des engrais et autres intrants chimiques, s’occupant ainsi de l’importation des intrants et de l’exportation de la production, des appels d’offres ainsi que de la mise en place d’un réseau national de distribution.
Fonctionnaire internationale
Elle intègre ensuite le système des Nations Unies en 1995 et y fait ses humanités. Elle gravit les échelons et devient, en 1995, Responsable chargée de la Logistique au Programme alimentaire Mondial à Rome (Italie). Ce passage précède son ascension comme coordonnatrice humanitaire de l’ONU dans plusieurs pays d’Afrique. L’aventure démarre à Djibouti et a duré une vingtaine d’années.
Au total, elle a servi la cause des Nations unies dans cinq pays d’Afrique : Djibouti, Cameroun, Tchad, Madagascar et Nigeria. Dans ce dernier pays, elle remplace un autre Sénégalais, Daouda Touré, et sert comme Représentant résident du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). « J’ai toujours travaillé dans des pays en crise, où il y avait une majorité d’hommes autour de moi », commente-t-elle, fière, quand on lui demande de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur.
Coordonnatrice humanitaire des Nations Unies au Nigeria, son tout dernier poste avant le saut à la FIFA, Fatma Samoura s’est occupée, entre autres, de la budgétisation, des ressources humaines et diverses transactions, coordonnant les activités de près de 2000 agents, supervisant la situation sécuritaire, politique et socio-économique de ce pays.
Rencontre décisive avec Gianni Infantino
Pourtant, c’est à Antananarivo (Madagascar), son poste précédent celui d’Abuja, que la rencontre décisive avec le président de la FIFA, Gianni Infantino, se réalise. Nous sommes en 2015 et l’ancien Secrétaire général de l’UEFA alors en pleine campagne électorale, tente de séduire les électeurs africains et multiplie les descentes dans le continent.
Actuel ministre en charge de l’Urbanisme au Sénégal, mais surtout vice-président de la Fédération sénégalaise de football, Abdoulaye Sow se souvient alors de cette rencontre et de quelques échanges. « Nous avons eu l'honneur, en compagnie du Président Gianni (Infantino), en campagne et de M. Augustin Senghor (président de la Fsf), de partager avec elle un dîner, à la veille du match Madagascar - Sénégal à Antananarivo (comptant pour le 2e tour des qualifications de la Coupe du monde 2018). Le lendemain, elle nous a fait l'honneur de venir au stade avec le drapeau du Sénégal. Cette compatriote, fonctionnaire internationale, est d'une compétence avérée et d'une exquise urbanité. »
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Gianni Infatino justifiera lui, son choix déroutant par le fait que sa colistière sénégalaise est rompue aux tâches managériales qui l’attendaient alors au sein d’une FIFA qu’il fallait relifter après un passage difficile, sur fond de corruption et de mal gouvernance. « Elle est dotée d’une grande personnalité et a l’habitude de gérer de grandes organisations et des budgets importants. Elle va apporter un vent nouveau à la Fifa, elle vient de l’extérieur. C’est quelqu’un de nouveau », s’était alors extasié le patron de la FIFA, sur le pupitre du Centre Banamex Mexico, au lendemain de l’annonce de la nomination de Madame Samoura, quand le monde du football s’inquiétait sur son inexpérience à propos du fonctionnement d’une organisation sportive.
L’intéressée ne fut, selon ses dires, jamais impressionnée au point de douter d’elle-même. « J’ai toujours travaillé dans un contexte de crises et d’urgences. Lorsque j’ai travaillé aux Nations Unies pendant plus de 20 ans, j’ai parcouru la terre entière pour essayer d’éteindre des feux, comme un Sapeur-pompier, narre-t-elle à la BBC. A la FIFA, c’était également une autre mission d’urgence puisqu’elle était sur le point d’être déclarée comme une organisation criminelle par le Département de la Justice américaine. Il fallait se focaliser plutôt sur le football et le football uniquement. »
Sa nomination est rendue publique le 13 mai 2016, lors du 66e Congrès ordinaire de la FIFA. Fatma Samba Diouf Samoura occupera un poste hautement stratégique et exposé. Une sorte de Premier ministre du gouvernement du football mondial, chargé de l’administration de la FIFA qui employait alors 464 personnes dans la capitale suisse, Zurich, où se trouve son siège, «The House of Football» (la Maison du Football).
Elle prend officiellement fonction en juin, après avoir passé le filtre du contrôle d’éligibilité mené par la Commission de Contrôle indépendante de la FIFA, conformément à l’article 37 des statuts de l’instance dirigeante du football mondial.
Directement rattachée au président de l’instance dont elle devient, de fait, la numéro 2, elle sera également chargée de mettre en œuvre les décisions du Comité exécutif.
La Secrétaire Générale est également responsable des finances, des relations internationales, de l'organisation de la Coupe du Monde ainsi que des autres compétitions organisées par la FIFA.
Le Secrétariat Général est composé de plusieurs divisions, chargées du développement, des compétitions, du football, des finances, de l'économie, des ressources humaines, des services et de la communication.
Bilan à la Fifa
Fatma Samoura devient ainsi la dixième personne mais surtout, la première femme et la première non européenne à occuper ce poste, depuis la création de la FIFA.
Parmi ses prédécesseurs, il y a d’illustres noms de la gouvernance du football comme le controversé Sepp Blatter, ancien président de la FIFA et Secrétaire général de l’instance, entre 1981 et 1998.
Fatma Samba Diouf succède aussi à une autre célébrité du football, le Français Jérôme Valcke, en place du 27 juin 2007 au 13 janvier 2016 et suspendu 12 ans, par le Comité d’Ethique de la Fifa, après avoir été démis de ses fonctions, en raison de son implication, entre autres griefs, dans le scandale de corruption qui a éclaboussé l’instance dirigeante du football mondial et conduit au départ de son ancien président, Sepp Blatter. Depuis cette date, c’est l’Allemand Markus Kattner, jusqu’alors Secrétaire général adjoint qui assurait l’intérim de Valcke.
Son passage à la Maison du Football a été fait de hauts et de bas. En termes de réalisations, le premier mandat d’Infantino est marqué par une omniprésence de la Sénégalaise à ses côtés. Ensemble, ils réclameront un bilan reluisant notamment sur le plan financier, avec des réserves de la FIFA atteignant un montant record de 2,7 milliards de dollars US, en fin 2018, contre 600 millions de dollars US à leur arrivée.
Sur le plan administratif, Fatma Samoura a supervisé une restructuration complète de la FIFA qui comprenait la nomination de deux secrétaires généraux adjoints, une division du développement technique, ou encore la nomination de responsables de la conformité et des programmes améliorés pour les 211 associations membres, jouant ainsi, selon certains acteurs, « un rôle central dans la transformation de l’organisation, la restauration de sa crédibilité et la suppression des barrières ».
Sur le plan sportif, ses faits d’armes se conjuguent principalement au féminin, avec la mise sur pied d’une nouvelle division du football féminin entièrement développée. Le football féminin continuant de façon croissante son expansion, jusqu’à la dernière coupe du monde organisée en Australie et en Nouvelle-Zélande, qui constitue la dernière grande mission de Fatma Samoura au sein de la FIFA. C’est d’ailleurs en marge de ce tournoi , au mois de juin 2023, que son départ fut annoncé, suivi des hommages de son patron Gianni Infatino.
Controverses
Mais le passage de Madame Samoura ne fut assurément pas un long fleuve tranquille. Par moments, il fut même l’objet de controverses en interne comme dans les autres sphères du football. C’est ainsi qu’en avril 2018, elle fut dénoncée auprès du Comité d’Éthique de la FIFA.
Pour cause, Fatma Samoura était accusée d'infractions présumées à son code d'éthique relatif au "devoir de divulgation, coopération et déclaration" et "conflits d'intérêts", en rapport notamment avec la candidature du Maroc à l'organisation de la Coupe du monde 2026, finalement octroyée au trio Etats-Unis – Mexique – Canada.
Un an et demi plus tard, Fatma Samoura est planquée à la Confédération africaine de football (CAF) pour une mission spéciale qui, pour certains, avait des airs de sanction ou au moins de volonté de l’écarter du cœur du jeu à Zurich.
Basée au Caire, au siège de la CAF, à partir du 1er aout 2019, Fatma Samoura y occupe un rôle de déléguée générale de la FIFA auprès de l’instance faitière du football africain, secouée par une certaine instabilité politique suite au départ en 2017, après 30 ans de règne, du Camerounais Issa Hayatou, remplacé par le Malgache Ahmad Ahmad, rapidement éjecté après un dossier en justice en France, pour corruption et abus de confiance.
A la CAF, la mission s’avère plus difficile que prévue pour Fatma Samoura, l’Africaine. Elle se heurte régulièrement aux velléités de résistance de certains membres du Comité exécutif qui voit en sa venue comme une forme d’ingérence imposée par Zurich alors qu’elle était chargée, officiellement sur demande de la CAF, de mener une mission d’audit général de l’instance africaine, destinée à "assurer à la CAF un fonctionnement de manière transparente et efficace". Son mandat est annoncé "renouvelable avec l'accord préalable des deux organisations". Elle ne tiendra que six mois.
Pourtant, tout semblait bien parti, d’autant plus qu’officiellement, c’est bien la CAF qui fit la demande d’une telle collaboration inédite dans la gouvernance du football. « Je pense que c’était une bonne chose de s’inspirer d’exemples de réussite et c’est ce qu’avait voulu faire l’ancien président de la CAF, Ahmad Ahmad, en demandant au président de la FIFA de me libérer pour les aider pour une durée déterminée, à restructurer la CAF, comme je l’avais fait avec la FIFA », détaille-t-elle, après coup.
L’affaire finit en eau de boudin. « Ça s’est terminée d’une manière que je ne souhaitais pas, mais je crois qu’aujourd’hui la CAF est dans de meilleures dispositions et a bien pris toutes les recommandations. Quand je partais, j’ai laissé un plan d’actions à 100 points et la plupart a été prise en considération. C’est un travail de longue haleine qui va continuer. Chaque fois que nous avons la possibilité de soutenir (la CAF), nous le ferons, de gaieté de cœur. Et nous allons continuer à le faire jusqu’à ce que notre soutien ne soit plus désiré » conclut-elle, un brin philosophe.
Une page se tourne
À son retour à Zurich, une nouvelle dynamique semble s’être opérée sans elle. Mattias Grafstrom a pris du galon. L’homme de confiance d’Infantino, arrivé à la FIFA en 2016 comme Fatma Samoura, était dans l’ombre. Directeur adjoint de la Division juridique, puis Conseiller spécial du président de l’instance, le Suédois a commencé petit à petit à se faire de la place dans l’administration de la FIFA pendant que la patronne des lieux, au Caire, s’affairait à mettre de l’ordre à la CAF. La nature a horreur du vide. Plus le temps passe, plus Fatma Samoura parait isolée.
A la veille de la coupe du monde féminine en Nouvelle-Zélande et en Australie, son départ de la FIFA, après sept ans de bons et loyaux services, est annoncée pour la fin de l’année, via le site officiel de l’instance.
Sauf que le board de Zurich va accélérer le passage de témoin. Le 04 octobre 2023, alors qu’il restait deux mois et demi à Fatma Samoura, le Conseil de la FIFA annonce officiellement et avec effet immédiat, la nomination du Suédois Mattias Grafstrom comme Secrétaire général par intérim. Alea jacta est.
Pas de quoi, pour autant, nourrir des regrets. En regardant le rétroviseur, Fatma Samoura préférera retenir les coups d’éclat. « Rejoindre la FIFA a été la meilleure décision de ma vie », affirme-t-elle, en se la jouant fair-play. « Je suis très fière d’avoir dirigé une équipe aussi diversifiée. Mon premier mot de remerciement va à Gianni Infantino pour m’avoir confié ce travail de rêve. Il a fait preuve de confiance, de compréhension et d’un niveau de soutien incroyable. C’est un plaisir de travailler aux côtés de quelqu’un qui a transformé la FIFA. La FIFA est aujourd’hui une organisation mieux gouvernée, plus ouverte, plus fiable et plus transparente. Je quitterai la FIFA avec un sentiment élevé de fierté et d’épanouissement », se satisfait-elle. Cela lui aura valu plusieurs distinctions prestigieuses.
« Le plafond de verre est brisé »
Listée, en 2018, parmi les 100 Women de la BBC qui la présente comme la plus puissante femme du monde du sport, elle est également 35e dans le TOP 50 des Africains les plus influents, selon Jeune Afrique. La même année, elle reçoit le tout premier Prix du Sport du Réseau de la Renaissance et de la Diaspora africaine (ARDN) au siège des Nations Unies à New York.
Plus récemment, en 2023, elle est distinguée aux Best of Africa Awards à Londres, et a reçu le tout premier Prix d’Excellence du Sommet mondial du Football, à Séville, en Espagne. « Le plafond de verre est brisé », pour reprendre ses propos tenus en 2018 au micro de la BBC quand elle reçoit sa première distinction sous le maillot de la FIFA.
Et maintenant qu’il est brisé, on peut bien croire que le ciel est la limite. Mais, après l’humanitaire et le Sport, il ne faut surtout pas lui parler de saut dans l’arène politique. Ce n’est pas sa tasse de thé : « Je n’ai jamais aimé la politique. Je n’ai pas de base politique. Je pense qu’on peut aider le Sénégal et la politique d’une autre manière que la politique. Mais je suivrai de très près la situation politique de mon pays. »
Une nouvelle page s'ouvre
Quid de son nouvel agenda, à dérouler à partir de ce jeudi 22 décembre 2023 ? « D’abord un break de trois mois pour revenir me ressourcer au Sénégal où j’ai passé très peu de temps, savoure-t-elle, entre deux éclats de rires et une blague sur son âge. J’ai aujourd’hui 61 ans et j’ai passé moins du tiers de ma vie dans ce pays que j’aime. J’aimerai également passer beaucoup plus de temps avec ma famille. Mais également continuer à œuvrer dans le social, surtout pour m’occuper de personnes, notamment des jeunes, qui ont des problèmes avec la justice, mais également de femmes qui souffrent d’anxiété et de problèmes mentaux. »
Mais ce sera toujours avec une certaine implication dans le football dont le virus semble l’avoir définitivement piquée. « Je suis toujours dans le football d’une certaine façon puisque mon mari est un féru de football et il est à la tête d’une académie qui a vu le jour il y a moins d’une année. J’aimerais quand même consacrer un peu de temps à l’aider, à restructurer et à développer le football, encadrer ces jeunes qui aspirent un jour à représenter le Sénégal au plus haut sommet du football mondial. »
En attendant, dès qu’elle sera totalement déchargée de toute fonction officielle, il y a l’échéance de la Coupe d’Afrique des Nations qui se tiendra dans la foulée en Côte d’Ivoire et pour laquelle son pays, le Sénégal, défendra son statut de champion d’Afrique. Et Fatma Samoura se voit déjà comme une supportrice en tribunes : « Je m’y rendrai. Surtout si le Sénégal arrive en finale. J’espère être en tribunes. Cette fois, comme une supportrice. »
Liste des différents Secrétaires généraux de la Fifa