Le mariage est une chose trop sérieuse pour être l’affaire des pauvres. On pourrait ainsi paraphraser la célèbre formule pour décrire la propension actuelle des couples camerounais à choisir de vivre en union libre, au lieu de passer chez le maire pour officialiser le lien conjugal, ou devant un ministre du culte pour le consacrer. Le défaut de moyens de subsistance est l'alibi fréquent pour cette option conjugale. Cependant, à y regarder de près, on s’aperçoit que la tendance au concubinage, obéit aussi à des raisons diverses et variées.
D'abord, il y a aujourd’hui de la part des hommes cette espèce de prudence, qui les amène à hésiter à s’engager définitivement avec une épouse, préfèrent prendre, disent-ils, le temps de bien observer leur compagne avant de décider de faire le grand saut avec elle. On voudrait voir par exemple si elle peut avoir des enfants, si elle est une bonne mère et une femme qui saura combler son mari sur le temps long. Tant pis si ce « test » en vient à prendre des années, avant d’aboutir enfin au mariage. Ou dans le pire des cas, à la séparation sans autre forme de procès.
Dans ce dernier cas, au grand dam de la femme, qui aura donc perdu de précieuses années de sa vie dans un genre de « sursis », pour se voir larguée telle une orange pressée. On peut toujours imputer cette pratique dite du « viens, on reste » à une sorte de permissivité sexuelle liée à la modernité urbaine ayant désacralisé le mariage. Certains évoqueraient même plus généralement une forme de lâcheté des hommes, qui ne veulent pas assumer leurs pleines responsabilités de paterfamilias, pour se contenter d’une union de bohème avec une copine, les obligations en moins. Mais pour revenir à la question des moyens, il y a ces couples désirant sincèrement se marier, mais qui n’en ont pas la possibilité matérielle, à cause du fléau de ces dots exorbitantes que les familles exigent au futur gendre. Ceci est assurément dû à un dévoiement des traditions : il n’y a pas si longtemps la dot était encore un symbole public de l’acceptation de l’union projetée par les parents de la jeune fille. Avant de devenir aujourd’hui, par mimétisme de mauvais aloi ou par simple cupidité, l’occasion pour certains de « vendre cher » leur enfant. Surtout si cette dernière a reçu une bonne éducation et a déjà trouvé un emploi : on parle alors de « produit fini ». Ce qui indique bien la tournure bassement mercantile prise par la dot, désormais chiffrée à des millions. Une société dans laquelle marier sa fille est devenu un business juteux ne peut pas prétendre être saine : l’argent et la soif de biens matériels a démoli chez certains tout sens moral, et cette espèce d’élégance traditionnelle d’un père donnant sa fille en mariage, en recevant quelques victuailles à partager avec toute la parentèle, dans la joie d’une cérémonie codifiée dans toutes les communautés. D’où la décision de beaucoup d’amoureux de se mettre ensemble contre vents et marées, souvent envers et contre leurs familles respectives, en attendant de réunir éventuellement les moyens pour une dot digne de ce nom. Il est donc difficile de leur en tenir rigueur, en reconnaissant que l’amour peut être plus fort que les coûteuses mascarades imposées par des aigrefins sans respect pour eux-mêmes et sans considération pour l’avenir de leur progéniture.