Voilà maintenant 47 jours que Paul Biya n’a pas été aperçu au Cameroun, après une dernière apparition furtive, le 8 septembre dernier, en Chine. Depuis, plus rien. Ni communiqué officiel, ni image récente, ni signe de son retour imminent. Le chef de l’État camerounais, au pouvoir depuis 42 ans, semble s’être évaporé. Une rumeur d’hospitalisation en Europe se répand, comme souvent. Certains vont même jusqu'à évoquer sa mort. Mais à Yaoundé, Douala ou Garoua, c’est le calme plat. Les marchés bruissent de discussions, mais aucune trace de cette inquiétude politique qui devrait normalement animer un pays laissé sans capitaine. Pas de manifestations dans les rues, pas de cris d’alarme de l’opposition. Silence radio.
Les Camerounais semblent vivre comme si leur président n’existait pas. Et peut-être, en un sens, n'existe-t-il déjà plus pour eux. Une question lancinante traverse alors l’esprit : comment une nation en vient-elle à se résigner à l’absence de son leader sans même lever un sourcil ?
𝐋𝐞 𝐩𝐫𝐞́𝐬𝐢𝐝𝐞𝐧𝐭 𝐟𝐚𝐧𝐭𝐨̂𝐦𝐞 : 𝐮𝐧𝐞 𝐡𝐚𝐛𝐢𝐭𝐮𝐝𝐞 𝐟𝐨𝐫𝐠𝐞́𝐞 𝐩𝐚𝐫 𝐥𝐞 𝐭𝐞𝐦𝐩𝐬/𝐊𝐚𝐧𝐝.𝐎
Ce qui étonne d’abord, c’est l’apparente normalité de cette situation. Dans n'importe quel autre pays, un tel détachement vis-à-vis de l’absence du chef de l’État serait inconcevable. Imaginez un instant : un président américain introuvable pendant deux jours seulement déclencherait un ouragan médiatique et politique sans précédent. En France, une simple rumeur de maladie suffirait à saturer les chaînes d’information et à envoyer des journalistes campés devant l'Élysée. Mais ici, au Cameroun, quarante-sept jours d’absence présidentielle ne provoquent qu’un haussement d’épaules. Tout au plus, quelques memes partagés sur Facebook et WhatsApp.
Les plus fervents défenseurs du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), fidèles au président, assurent sans la moindre gêne que Paul Biya n’a aucune obligation d’être visible ou présent. « Il sera là quand il le voudra », disent-ils avec un aplomb désarmant, comme si l’idée même de rendre des comptes à une population relevait du folklore démocratique. Le Cameroun fonctionnerait-il mieux sans son président ? Certains finissent par se demander si le pays ne s’est pas déjà habitué à vivre dans l’absence prolongée de Biya, tant celle-ci semble ne plus susciter d’émotion.
𝐋𝐞 𝐫𝐨̂𝐥𝐞 𝐝’𝐮𝐧 𝐩𝐫𝐞́𝐬𝐢𝐝𝐞𝐧𝐭, 𝐮𝐧𝐞 𝐧𝐨𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐨𝐮𝐛𝐥𝐢𝐞́𝐞 ? 𝐊𝐚𝐧𝐝 𝐎.
Or, le président est censé incarner une nation. Il n’est pas seulement le chef de l’État ou le garant de l’ordre constitutionnel. Il est aussi, en principe, une présence symbolique et morale, une boussole vers laquelle les citoyens tournent le regard en période de doute ou de crise. Pourtant, chez nous, cette fonction semble avoir perdu tout son sens, ou peut-être n’a-t-elle jamais été vraiment intériorisée par une partie de la population.
Mes compatriotes ont-ils, à force de désillusions, appris à se passer de l’idée même d’un président ? Après plus de quarante ans de gouvernance statique, où le pouvoir central semble n’exister que pour lui-même, il est possible que la figure présidentielle ne soit plus, en effet, qu’une abstraction lointaine, sans lien direct avec la vie quotidienne des citoyens. « Qu’est-ce que Paul Biya a fait pour moi, de toute façon ? » pourrait-on entendre au détour d’une conversation. Si un chef d’État se fait invisible, il finit par disparaître aussi des esprits.
Cette érosion progressive de la figure présidentielle n’a rien d’anodin. Elle trahit un décrochage profond entre l’État et la société, où chacun, à son niveau, se résigne à avancer seul. Dans un tel contexte, la présence ou l’absence du président devient une donnée accessoire. Le marché doit ouvrir, les enfants doivent aller à l’école, et les vendeurs de call-box doivent faire leur chiffre. Avec ou sans président, la vie continue. Peut-être est-ce là une forme d’adaptation à la nature du pouvoir au Cameroun : une autorité lointaine, indifférente, et immuable, à laquelle on a renoncé à demander des comptes.
𝐑𝐞́𝐬𝐢𝐠𝐧𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐨𝐮 𝐬𝐚𝐠𝐞𝐬𝐬𝐞 𝐩𝐨𝐩𝐮𝐥𝐚𝐢𝐫𝐞 ? 𝐊𝐚𝐧𝐝.𝐎
Faut-il voir dans ce silence une forme de résignation, un désaveu tacite d’un système politique qui semble depuis longtemps hors de portée ? Ou bien s’agit-il d’une sorte de sagesse populaire, une manière de ne plus gaspiller d’énergie à chercher du leadership là où il n'y en a jamais eu ? Les grands mouvements de contestation comme ceux qui ont secoué le Sénégal, le Burkina Faso ou le Mali en réaction à la mauvaise gouvernance n'ont jamais vraiment pris racine ici. Peut-être parce que l’immobilisme du régime a fini par engendrer un immobilisme de la société elle-même.
Mais cette indifférence apparente est-elle aussi paisible qu’elle en a l’air ? L’absence de Biya pourrait bien être le calme avant la tempête, un moment suspendu avant que des luttes intestines ou une succession mal préparée n’ouvrent les vannes de l’instabilité. À force de gouverner sans gouverner, de s’effacer sans prévenir, Paul Biya pourrait laisser derrière lui un vide dangereux, où chacun tentera de tirer son épingle du jeu.
𝐔𝐧 𝐩𝐚𝐲𝐬 𝐬𝐚𝐧𝐬 𝐜𝐚𝐩𝐢𝐭𝐚𝐢𝐧𝐞, 𝐦𝐚𝐢𝐬 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐜𝐨𝐦𝐛𝐢𝐞𝐧 𝐝𝐞 𝐭𝐞𝐦𝐩𝐬 ? 𝐊𝐚𝐧𝐝.𝐎
Ce qui est frappant dans cette situation, ce n’est pas seulement l'absence de Biya, mais l’absence de réaction. Si un président peut disparaître pendant quarante-sept jours sans provoquer le moindre soubresaut, c’est qu’un problème systémique est à l'œuvre. Le Cameroun a-t-il besoin d’un président ? La question pourrait sembler absurde, mais elle mérite d’être posée.
À force de ne rien attendre du pouvoir, les Camerounais ont appris à vivre en autarcie politique, à fonctionner dans une société où le leadership politique n’est plus qu’un mirage distant, un décor figé au sommet de l’État. Mais combien de temps ce système peut-il tenir ? À quoi ressemblera le jour où Paul Biya ne reviendra pas du tout ?
Le vrai danger, au demeurant, n’est pas que les Camerounais continuent de vivre comme si leur président n’existait pas. Le danger, c’est qu’ils se réveillent trop tard, une fois que le vide laissé par son absence aura attiré toutes les ambitions et toutes les rivalités.
Paul Biya est absent, mais le Cameroun est-il vraiment là ? Voilà la question que les Camerounais devront un jour affronter. Car aucun pays ne peut indéfiniment ignorer l’absence de son capitaine sans finir par chavirer.