Les habitants de N'Djamena, la capitale du Tchad, et de trois villes du sud se sont réveillés après le premier couvre-feu nocturne imposé hier par le gouvernement dirigé par l'armée, suite aux affrontements qui ont eu lieu lors des manifestations en faveur de la démocratie et qui ont fait près de 50 morts.
Quelles mesures sont prises par le gouvernement ?
Saleh Kebzabo, le Premier ministre nouvellement nommé, estime que les évênements d'hier ne s'agissaient pas d'une manifestation pacifique mais d'une insurection.
Dans une déclaration à la télévision d'Etat, il a annoncé un certain nombre de mesures.
"Le gouvernement de transition que je dirige, suite aux graves dérives de ce matin, a pris les mesures conservatoires suivantes :
L’instauration d’un couvre-feu de 18h à 6h du matin jusqu’au rétablissement total de l’ordre à Ndjamena, à Moundou, à Doba et à Koumra
La suspension de toute activité publique des partis politiques et organisations de la société civile, notamment les Transformateurs, le Parti socialiste sans frontières, Al Takhadoum et Waki Tamma, en attendant d’éventuelles poursuites qui seront engagées suite aux cas de décès, aux vols d’armes de guerre et à la destruction d’édifices publics et de véhicules publics et privés"
Par ailleurs, le nouveau chef du gouvernement a aussi annoncé "l'instauration d'un couvre-feu de 18H à 6H, heures locales, ... jusqu'au rétablissement total de l'ordre à N'Djamena, à Moundou, à Doba et à Koumra".
"Nous n'avons pas d'armes, nous n'avons pas de fusils"
Succès Masra, l'un des opposants au régime du général Deby et dont le parti Les Transformateurs est suspendu avec d'autres formations politiques par le gouvernement, affirme que le peuple tchadien aspire à la démocratie.
Il reproche au président Mahamat Idriss Deby de vouloir se maintenir au pouvoir en prolongeant la transition de deux ans, après 18 mois de service.
"Ce que nous voulons c’est la démocratie. Nous voulons le développement et la sécurité. Nous voulons faire entendre notre voix, c’est le choix que nous faisons", a laissé entendre Succès Masra.
"Nous n’avons pas d’armes, nous n’avons pas de fusils. La seule chose que nous avons, c’est notre voix. La seule chose que nous avons, c’est d’organiser des protestations pacifiques", dit-il.
Tchad, 20 Octobre 2022. Ils tirent sur des Ambulances au sein des hôpitaux. Quand l'humanité a quitté des êtres, et c'est pour installer la dynastie que notre Peuple rejette de façon nette. Il n'y aura pas de Dynastie au Tchad.Le nombre de port augmente dans tout le pays.#Rupture pic.twitter.com/CZZWKbFTc9
— Succès MASRA (@Succes_MASRA) October 20, 2022
Selon le jeune opposant tchadien, le régime de Deby n'a pas respecté les premiers accords qui étaient signés et qui ont pris fin jeudi 20.
"Le peuple veut un nouveau gouvernement parce qu’il y avait un accord il y a 18 mois. Cet accord est terminé ce 20 octobre 2022 et ils n’ont pas respecté leur engagement."
"Vont-ils continuer alors que la communauté mondiale, la communauté internationale dit qu’ils n’ont pas respecté leurs engagements et ils veulent continuer pour deux années supplémentaires et le peuple dit simplement : stop, c’est la fin de votre engagement", poursuit-il.
Suucès Masra souligne que le peuple tchadien de 17 millions d'habitants est déterminé à lutter contre dévolution dynastique du pouvoir.
"... Si nous ne continuons pas cette lutte, alors cela signifie que nous acceptons la transmission dynastique du pouvoir", dit-il.
Le bilan macabre des violentes manifestations qui ont fait une cinquantaine de morts et plus de 300 blessés a suscité maintes réactions à travers le monde.
Quelles sont les réactions de par le monde?
Les réactions sont nombreuses contre la répression meurtrière des manifestations jeudi à Ndjamena.
La Fédération internationale pour les droits humains, l'Union africaine et la France, entre autres, ont tous condamné les violences.
Les organisations membres de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) ont dénoncé les tirs à balles réels, les cas de tortures contre les manifestants et des tirs contre les ambulances qui évacuaient les victimes vers les hôpitaux.
"La FIDH et ses organisations membres appellent l’Union Africaine, l’Organisation des Nations Unies, l’Union Européenne et les pays ayant des intérêts stratégiques au Tchad, en particulier la France, à agir de toute urgence pour mettre fin aux violences contre la population civile au Tchad", peut-on lire dans un communiqué.
Les Nations unies ont déploré le recours à la force meurtrière contre les manifestants.
Les violations des droits de l’homme doivent faire l’objet d’une enquête, selon le Haut Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
Moussa Faky Mouhamad. Président de la Commission de l’Union africaine, a de son côté fermement condamné sur twitter la répression des manifestants, appelant les parties au respect des vies humaines et des biens.
Le ministère français des Affaires étrangères a également condamné les violences avec l’utilisation d’armes léthales contre les manifestants, précisant que Paris ne joue aucun rôle dans ces évènements.
Alex Laskaris, l'ambassadeur des Etats-Unis à Djamena a vivement condamné les violences et s'est incliné devant la mémoire des manifestants tués, comme montré sur le tweet suivant.
L’image du jour. L'ambassadeur des Etats-Unis au Tchad Alex Laskaris s’incline devant la mémoire des manifestants tombés des tirs à balles réelles de la junte. #tchad pic.twitter.com/4ZCYgfDpUw
— Histoire d’Afrique ♤ (@silboyofficiel) October 20, 2022
Comprendre la crise au Tchad
Les affrontements entre les forces de l'ordre et des manifestants interviennent alors qu'un gouvernement dit d'union nationale avait été formé vendredi dernier, dans l'espoir de conduire le pays à des élections repoussées à octobre 2024.
Pour comprendre la crise actuelle dans ce pays de l'Afrique centrale, la BBC s'est entretenu avec le Dr Ahmadou Sehou, enseignant-chercheur en histoire politique et sociale à l’Université de Maroua au Cameroun.
"Le fait d’avoir joué un peu à la roublardise pour se faire donner un prolongement de deux ans pour la transition, cela également a joué à contribuer à irriter ceux qui ne voyaient pas beaucoup de sincérité dans ce dialogue-là", explique-t-il.
"L’autre élément qui a fait déborder le vase, c’est le fait de permettre au fils Deby de pouvoir se présenter à l’élection présidentielle alors qu’il était convenu au départ, et je pense que toute la classe politique avait déjà cela à l’idée que non il assurait la transition, mais sans se présenter", précise-t-il.
"Maintenant, il y a deux années de prolongation de la transition et en plus la possibilité que Mahamat Deby puisse se présenter", poursuit Dr Ahmadou Sehou.
L'universitaire a également fustigé la suspension des partis politiques.
"Nous constatons simplement que Saleh Kebzabo, après avoir lui-même été dans l’opposition, après avoir subi la dureté de cette répression-là de ce régime, s’est lui-même rangé du côté de la répression parce que les mesures prises, oui dans une situation comme celle-là, les militaires n’engagent que la force", dit-il.
Selon lui, la non-disposition des militaires au dialogue "risque tout simplement d’envenimer davantage la situation au lieu de ramener la paix, ramener le calme."
Pour sortir de cette crise, Dr Sehou estime qu'il faut se parler.
"Malheureusement, dans les crises comme ça le retour à la paix, c’est toujours autour d’une table de dialogue, mettre tous les partis ensemble, se parler. Sans se parler, on ne peut pas trouver de solutions", affirme-t-il.
"Le peuple tchadien a trop souffert de ces régimes militaires qui n’ont manifestement rien apporté de bon. C’est propre au Tchad, mais c’est aussi propre aux autres pays africains", indique Dr Sehou.
"Nulle part on a vu ces régimes militaires-là apporter la paix, la sérénité et la stabilité aux pays. Au contraire, on rentre dans un cycle de rébellions, de violences, de coups-d’État à n’en plus finir", conclut-il.