Le ministre turc de l'Intérieur affirme que 600 000 migrants sont rentrés volontairement dans leur pays au cours des six derniers mois. Les migrants syriens affirment que nombre d'entre eux sont expulsés contre leur gré.
Yaser vivait avec sa famille à Istanbul depuis cinq ans lorsque la police est arrivée à l'usine où il travaillait, il y a trois mois, pour inspecter les documents de chacun.
Réfugié de la guerre en Syrie, Yaser était enregistré comme vivant à Ankara, et non à Istanbul, et la police l'a donc emmené. Il a d'abord été envoyé dans un centre d'expulsion à Tuzla, à la périphérie de la ville, puis à Mersin, à 150 km de la frontière syrienne.
Pendant trois jours, sa femme, Zana, n'a pas pu le joindre.
"Tout ce que je savais, c'est que la police l'avait emmené, mais je ne savais pas où il se trouvait", dit-elle.
Finalement, il a été libéré, mais à condition de déménager à Ankara, où lui et sa femme vivent maintenant dans une cabane délabrée avec leur bébé de huit mois.
"Depuis quelques mois, la police contrôle les pièces d'identité partout, comme des fourmis", explique Yaser.
Le nombre de migrants en situation irrégulière est inconnu.
Les Syriens arrivés récemment dans le pays affirment qu'il est désormais presque impossible d'obtenir le statut de "protection temporaire".
Maheer, 23 ans, qui est arrivé en Turquie depuis la Syrie il y a six mois pour soigner des brûlures causées par une explosion, explique que l'enregistrement à Ankara est désormais fermé, comme c'est le cas dans de nombreuses grandes villes.
Cela signifie qu'il n'est pas sûr de quitter son logement.
"Une fois, j'ai voulu me promener dans le quartier, mais un policier m'a arrêté au coin de la rue et m'a demandé ma carte d'identité. Il a ensuite regardé mon visage brûlé, s'est senti désolé pour moi et m'a dit : ‘Ne vous promenez pas par ici’. Puis il m'a laissé partir."
"À moins qu'il y ait quelque chose d'urgent, je ne peux même pas aller au marché. Je scrute rapidement la zone et je me dépêche de rentrer chez moi, car il y a beaucoup de patrouilles de police dans le coin."
Naser, 16 ans, avait l'habitude de se déplacer librement dans son quartier, mais aujourd'hui, il est toujours sur le qui-vive.
"Il y a un an, personne ne me demandait une pièce d'identité lorsque je passais devant la police, mais aujourd'hui, dès que j'aperçois un policier au loin, je m'enfuis", explique-t-il.
Cette situation a contrarié ses projets d'aller à l'école et d'apprendre le turc.
"Je n'ai aucun espoir, aucun projet pour mon avenir. Si je n'ai rien d'important à faire, je ne sors pas. C'est comme si je vivais en prison."
Confinés à la maison, tous les trois sont de plus en plus déprimés, selon Rasha.
Tamim, qui vit en Turquie depuis dix ans, attribue le changement d'attitude des autorités à l'égard des migrants à une bagarre entre jeunes Turcs et Syriens à Altindag il y a deux ans, au cours de laquelle un jeune Turc a été poignardé à mort.
Si certains Syriens ont appris le turc, poursuivi leurs études et trouvé un emploi, ils restent pour la plupart mal intégrés, marginalisés et sans voix.
Zana, l'épouse de Yaser, qui a été contrainte de quitter Istanbul pour s'installer à Ankara, doit accoucher d'un deuxième enfant au printemps.
Contrairement à son mari, elle est sans papiers, ce qui signifie qu'elle n'a pas accès aux soins de santé financés par l'État et qu'elle doit accoucher dans un hôpital privé.
Sa première césarienne a coûté 171 dollars US (environ 100 500 francs CFA), mais on lui a dit que la prochaine coûterait plus de trois fois ce montant et elle ne sait pas comment elle pourra se le permettre.
"Parfois, je ressens des douleurs liées à la césarienne, mais je ne peux pas voir de médecin", dit-elle.
Yaser explique que la vie en Turquie était un paradis par rapport à la Syrie, mais qu'elle est devenue insupportable.
"Nous avons trois options : aller en Europe, retourner en Syrie ou rester en Turquie et vivre cachés comme des rats. Je ne peux pas aller en Europe parce que je n'ai pas assez d'argent et je ne peux pas retourner en Syrie à cause de la guerre. Mais si la situation en Syrie s'améliore, je ne resterai pas ici."
Tous les noms ont été modifiés.