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Je n’ai pas de salaire pour mon record olympique - Françoise Mbango

1969 Mbango En Or Jo 2008 01 Ns 500 Françoise Mbango profite actuellement de ses vacances dans un cadre agréable

Wed, 2 Aug 2017 Source: sport365.com

A la sortie du premier camp d’entrainement de sa toute nouvelle école d’accompagnement des athlètes en devenir, la double médaillée d’or olympique nous a accordé un entretien, un des rares où elle accepté de se lâcher.

Bonjour Françoise Mbango, dix jours passés à Limbé, vous donnez l’impression de profiter de vos vacances à fond ici chez vous…

Je me sens super bien. Ici il y a la mer, l’air est pur, il y a du bon vent, ça donne envie de se reposer. Et surtout, ça rafraichit un peu les idées.

Après quinze années d’exigences du très haut niveau, vous en aviez besoin non ?

Oui bien sûr. Après quinze ans de haut niveau et d’énormes pressions, beaucoup d’attentes, là je souffle, je récupère. Mais en même temps, je continue quand même à penser à la relève, ça travaille un peu.

C’est quoi le quotidien d’une dame de 41 ans qui a été deux fois médaillée d’or olympique ?

C’est vrai qu’aujourd’hui je ne suis plus trop sur les pistes, je me concentre un peu plus sur les papiers. Je veux coucher sur du papier quelque chose qui va donner une valeur à mes quinze années de haut niveau, qui va montrer que Oui, au Cameroun il y a eu un double champion olympique. Je passe mon temps à réfléchir, à penser la meilleure façon de coucher sur papier ces quinze années de haut niveau.

On sait qu’il y a eu une maternité entre les deux médailles d’or. C’était en 2006. Niels Adena a déjà un petit frère ?

Exactement. J’ai eu mon premier fils entre les deux médailles d’or olympiques. Il a onze ans, et un petit frère qui a deux ans et demi, venu au monde longtemps après la deuxième médaille.

Y a-t-il un monsieur qui partage le quotidien de la star ? Françoise Mbango c’est madame qui ?

Oui, je suis mariée (rires)

Mais on veut savoir…

Je suis mariée, mais c’est un côté de ma vie que je garde un peu discret. C’est personnel. C’est bien pour mon foyer, pour mes enfants. Je n’en parle pas beaucoup. D’ailleurs je me suis mariée de manière très discrète à Paris.

A quel moment vous vient l’idée de créer le Africa Jump Training Camp ?

Cette idée me vient juste après ma deuxième médaille d’or olympique. J’avoue qu’après ça, quand j’ai fait le golden tour, j’ai vraiment vu les missions que le sport en général, et l’athlétisme en particulier peut apporter. Ce sont des moments qu’on voyait beaucoup plus dans d’autres sports collectifs. A force de venir au Cameroun et de participer à des compétitions d’interclubs qui se passent, j’ai vu qu’il y a des enfants qui ont du potentiel, mais après il n’ y a pas un suivi. Généralement, les plus jeunes, pendant les jeux de la fenasco (Fédération nationale des jeux scolaires). C’est vrai que je connais un peu ce qui s’y passe, mais je me suis rendue compte que ça perdure. Il n’y a pas un système de suivi jusqu’au très haut niveau. Beaucoup de talents se perdent alors qu’ils avaient déjà montré de bonnes dispositions. Cela m’a interpellée. Deuxièmement, au niveau mondial, j’ai vu que les résultats ont commencé à chuter. Dans les Jeux Olympiques, on n’a plus de médaillés, dans les championnats du monde, on n’en n’a plus. Mais ce qui est encourageant et qui montre que les athlètes ont vraiment du potentiel, c’est qu’ils gagnent au niveau africain. Dans les championnats d’Afrique centrale, on a des médailles aux jeux africains, et des médaillés d’or dans ceux de la francophonie comme ceux qui se déroulent en ce moment en Côte d’Ivoire. Cela montre qu’il y a du potentiel, mais on n’arrive pas à accéder au niveau mondial. C’est tout ceci qui m’a interpellée. Pour répondre à toutes ces attentes, j’ai mis Africa Jump Training Camp sur pied.

Pourquoi Limbé et Buea ?

J’avoue que je voulais un peu sortir des grandes villes du Cameroun d’une part, et d’autres parts, ces villes nous offrent de très belles infrastructures qui sont encore toutes neuves qui ont aussi besoin d’être utilisées. Ensuite le climat est très intéressant par rapport aux athlètes qui font partie de mon équipe, notamment les demi-fondeurs, nous sommes en hauteur, question de trouver de l’oxygène, et j’avoue que la ville aussi a été très accueillante pour moi. Les autorités m’ont très bien accueillie. Un petit exemple : c’est le gouverneur qui a instruit le dossier au niveau du préfet à Limbé. Le préfet a suivi le dossier avec nous et toutes les parties prenantes dont les entreprises de la place. Seulement ce préfet-là est allé à la retraite deux jours seulement avant le lancement de notre stage, mais cela n’a pas empêché que le préfet entrant prenne rapidement le relais. Sa première sortie officielle en sa qualité de préfet du Fako, c’était pour présider le lancement de notre stage. C’est une marque de reconnaissance et de soutien, et je profite de vos colonnes pour leur transmettre ma gratitude et celles des enfants. Nous sommes très contents.

Quand on est Françoise Mbango, on appartient au monde entier. Et puis, le projet se nomme Africa Jump Training Camp. On peut donc vous imaginer en train de vous déployer au Gabon, en Algérie, au Maroc ou en Afrique du Sud ?

Pourquoi pas ? Nous n’avons pas de limites. D’ailleurs, notre slogan c’est : Au-delà de la limite ! c‘Est vrai que la 1ère édition c’est ici, la prochaine édition on la voit dans la région, mais Africa Jump peut aussi s’expatrier. Pour preuve, au sein de notre fondation, il n’y a pas que les camerounais. Il y a des gens venus d’ailleurs qui viennent aider ces enfants à exprimer leur potentiel. Oui, aujourd’hui à Limbé, demain pourquoi pas ailleurs…

On sait que c’est la Fenasco qui est l’outil de détection. C’est quoi la limite d’âge d’entrée à la Fondation Françoise Mbango ?

Oui, pour l’instant c’est à la Fenasco que nous détectons. La limite d’âge c’est vingt ans.

Mais on sait qu’il y a de jeunots de moins de vingt ans dans les universités. On peut vous voir bientôt sur les terrains des jeux universitaires ?

Oui, pourquoi pas. Déjà dans ce 1er camp d’entrainement, il y a un jeune qui a 17 ans et qui vient d’avoir son baccalauréat. Il fait du saut en hauteur. Il saute 2 mètres (2,00m) vous ne pouvez pas le croire, c’est vraiment énorme. Il sera à l’université l’année prochaine, et nous allons continuer à le suivre là-bas. Il ya beaucoup de potentiel au Cameroun, et la détection est énorme. Il ne faut pas seulement aller chercher dans les jeux scolaires ou encore les jeux universitaires. Il y’a même plein d’enfants dans la rue qui ont du potentiel. Il suffit d’organiser quelque chose pour emmener les enfants de la rue, cela va diminuer la délinquance dans la rue. Cela peut leur montrer qu’ils ont quelque chose sur quoi ils peuvent s’appuyer pour devenir de grands hommes demain. La détection peut même aller se faire dans les villages. Là parmi nos enfants, il y en a qui viennent de Nkambè. C’est une localité dans le Nord-Ouest, à quatre heures de routes de Bamenda. Il y en a qui viennent de Yagoua dans l’Extrême-Nord. Cela a été très facile pour moi de passer par la Fenasco avec qui j’ai un partenariat, j’ai aussi un partenariat avec le ministère des enseignements secondaires, donc cela a été facile pour moi. Mais j’attire l’attention des autorités. Le Cameroun regorge des enfants ayant un très grand potentiel, il faut simplement aller les chercher là où ils sont.

Votre slogan c’est aller au-delà de la limite. Françoise Mbango regrette-t-elle d’être partie trop tôt ? Vous croyez que ces enfants feront mieux que 15,39m votre record olympique au triple saut ?

Non, je ne regrette pas. Mais je crois que parmi nos enfants, nombreux iront au-delà de 15,39m, si on considère que c’est la limite. Oui, je crois fermement que nombreux parmi eux feront mieux que moi. Ils iront même plus loin que 15,50m. Ils ont cette grande chance aussi, c’est que j’ai le secret pour y arriver, et je suis prête à partager. Et pas seulement au triple saut. Je vous parlais tout à l’heure du jeune homme qui fait 2,00m au saut en hauteur à 17 ans, sans un entrainement spécifique, en sautant en ciseaux. Je veux dire sans les techniques qu’on utilise au haut niveau. Il y a une fille de 17 ans aussi, qui fait 56 secondes au 400m. C’est énorme ! Si on suit ce genre de gamins, ils peuvent facilement exploser.

Quels sont les objectifs de Africa Jump Training dans le court, le moyen et le long terme ?

A court terme c’est cette détection, créer une base de données des enfants pour les suivre. A moyens termes, c’est le suivi à distance. Après ce camp d’entrainement, nous mettrons sur pied un programme pour les accompagner au quotidien là où ils se trouvent. Nous allons organiser des déplacements pour faire mieux la connaissance de leurs milieux de vie, quels sont leurs problèmes, échanger avec leurs parents, car ils sont encore tous mineurs, et voir les aides qu’on peut leur apporter pour qu’ils soient encore plus performants. A long terme, nous voulons que nos enfants soient les meilleurs citoyens de demain, j’entends par là qu’ils soient toujours scolarisés, qu’ils aient les grands diplômes dans le cadre de leurs formations académiques, sur le plan de la santé qu’ils soient toujours en forme, et sur le plan sportif, évidemment, qu’ils battent le record olympique de Françoise Mbango, qu’ils battent le record du monde, qu’ils soient les meilleurs dans le monde.

Que retenir de ce premier camp ?

Quand je vois comment il a été accueilli, je me dis franchement que je ne me suis pas trompée. Tout le monde en avait besoin. Des petits enfants jusqu’aux autorités. Même les partenaires savent qu’accompagner ce programme, c’est donner une chance aux jeunes pour les lendemains meilleurs.

Nous allons vous citer quelques personnalités du monde sportif, et vous nous direz les relations qui vous lient : Samuel Eto’o…

… Rires. C’est un grand sportif comme moi…

On sait que Samuel c’est le sommet du football au niveau mondial, et que Françoise c’est le sommet du triple saut féminin ; vous avez souvent discuté ? Avez-vous parlé de ce projet avec lui ?

Oui, il est au courant de ce projet, je lui en ai parlé. Et je dois vous dire que c’est un monsieur qui me respecte beaucoup, et il m’appelle Mama. C’est un signe de respect et de considération chez nous les africains. Je le respecte aussi beaucoup, car c’est un sportif qui a toutes les qualités, qui a gagné au très haut niveau, et qui a mit le monde entier d’accord par son travail. Il a su porter le nom du Cameroun et son propre nom au très haut niveau. Je lui tire ma révérence.

Roger Milla…

C’est le grand frère qui m’a tenue par la main pendant un bon moment quand j’étais encore sur les pistes, d’ailleurs depuis le lycée Leclerc, à la maison à la cité verte, voilà.

Yannick Noah…

Alors Monsieur Yannick Noah, (rires) je l’ai déjà aussi approché, une ou deux fois ici au Cameroun, c’est quelqu’un qui m’a déjà félicitée à travers les réseaux sociaux. Cela m’a beaucoup marquée, j’étais agréablement surprise, mais ce n’est pas quelqu’un que je peux voir régulièrement, mais il a beaucoup d’admiration et de respect pour ma personne.

Sandrine Mbumi (actuelle championne du Cameroun du triple saut féminin)

C’est une petite sœur qui a beaucoup de potentiel, et ce depuis deux ou trois ans. Mais quand on parle d’athlétisme, et encore plus de ma discipline le triple saut, j’ai tendance à être un peu dure. Mais ce n’est pas de manière méchante. Parce que pour moi, Sandrine a un potentiel qu’elle n’exprime pas en totalité aujourd’hui. C’est appréciable ce qu’elle fait, mais il lui manque encore un peu plus de professionnalisme dans son travail. Si elle est fière de ses performances d’aujourd’hui, c’est bien. Je suis fière pour elle. Mais si elle peut lire ces lignes, je lui dirai : tu vaux beaucoup mieux. Pour moi, vu son potentiel, elle est capable d’arriver au moins à une demi-finale du niveau mondial.

Auriol Dongmo (actuelle championne d’Afrique du lancer de poids féminin)

Auriol Dongmo, je l’admire beaucoup. C’est une petite sœur qui a de la gnaque ! C’est-à-dire qu’elle en veut. Elle est insatiable. Quand elle fait une performance, elle a envie de battre la performance pendant la même compétition. Je crois qu’elle a beaucoup de chance d’aller au très haut niveau.

Tatyana Lebedeva(athlète russe médaillée de bronze en 2004 et médaillée d’argent en 2008 lorsque Françoise Mbango gagne l’or)

C’est une concurrente du triple saut avec qui j’ai fait plusieurs compétitions, c’est une athlète très forte et très bien encadrée, mais, pour battre la Lionne Indomptable que je suis, (rires), cela n’a pas été facile.

Inessa Kravets…

C’est une athlète ukrainienne avec qui j’ai travaillé qui est très forte. Elle détient encore le record du monde du triple saut féminin qui est de 15,50m. Mais je suis désolée de le dire, elle a été bannie de l’athlétisme parce qu’elle a été contrôlée positive à l’anti-dopage plus de deux fois.

Cela veut donc dire que ses performances ne sont plus considérées, si on s’en tient avec ce qui se fait ailleurs comme au cyclisme. Les sept tours de France gagnés par Lance Amstrong ne sont pas comptabilisés. Cela voudrait donc dire que votre performance est la meilleure mondiale jamais réalisée, donc record du monde aussi ?

Je m’abstiens de le dire, mais logiquement c’est ce que ça devrait être.

Dans le monde entier, les médaillés d’or olympique appartiennent au comité olympique et sportif de leurs pays respectifs. A quand les responsabilités de Françoise au CNOSC ?

C’est une évidence. Dans plusieurs pays, voire dans tous les pays, les médaillés olympiques font partie de leur comité olympique et sportif. Et cela se fait parce que les comités leur proposent. Les athlètes ne viennent pas par eux-mêmes. En ce qui me concerne, non seulement cela ne m’a pas été proposé, mais j’ai moi-même proposé des projets de soutien et d’accompagnement pour les sportifs de haut niveau, mais tous ces projets et toutes ces démarches sont restés vains. Je me suis rapproché aussi du ministère des sports pour des projets d’accompagnement notamment pendant la CAN féminine en tant que sportive de haut niveau, même à la fédération camerounaise de football, mais rien ! Je n’ose même pas parler de la fédération d’athlétisme. Mais je n’ai pas voulu garder toute cette expérience et toutes ces connaissances que j’ai pour moi même. C’est pour cela que j’ai lancé mon projet.

Quand on détient un record olympique y a-t-il une consultation automatique du Comité International Olympique (CIO) ? Y a-t-il un salaire ?

Rires… Non, non et non. En tout cas si ça doit exister, je ne peux pas le confirmer, parce que je n’ai jamais touché de salaire pour mon record olympique depuis le 17 août 2008, date de ce record. Je reste la recordwoman du triple saut olympique, mais je n’ai jamais touché de l’argent pour cela au CIO, et je ne m’en plains pas.

Quand les jeux olympiques approchent, on vous appelle quand même ? Vous obtenez des invitations ?

Normalement à chaque olympiade je suis invitée, et mon invitation arrive toujours au niveau du comité olympique camerounais. Malheureusement, ils ne m’ont jamais informée. Pour les derniers JO tenus à Rio au Brésil, on a voulu que chaque champion olympique soit représenté, mais je n’ai été informée qu’après les jeux. A chaque fois qu’une invitation arrive pour moi au CNOSC, je ne suis jamais informée. Je suis désolée de le dire comme ça, mais c’est la triste réalité.

Si l’Etat du Cameroun devrait faire quelque chose pour accompagner Africa Jump Training, ce serait quoi ?

Si l’Etat veut accompagner Africa Jump, (hésitations puis rires), je dirai tout simplement que notre fondation répond à l’adresse africa-jump.org. Quelle que soit l’origine de l’accompagnement, à travers un contact via cette adresse, nous allons nous asseoir autour d’une table pour échanger.

Source: sport365.com