LA BD DU WEEK END - Alors que l'Euro 2016 bat son plein, Laurent Galandon et Damien Vidal racontent le périple de deux jeunes Camerounais arnaqués par un agent sportif véreux qui leur a promis la gloire du terrain, avant de les abandonner à leur sort.
Ils s'appellent Urbain, Ahmadou, Pierre-Paul ou Léonard...et nourrissent tous le même rêve. Devenir Footballeur. Suivre les pas de leur idole, le Camerounais Marc-Vivien Foé, fauché en pleine gloire, mort sur un terrain de foot d'un accident cardiaque.
Ils vivent au Cameroun et développent leur art du football dans la rue avec une pierre en guise de ballon. Un terrain de jeu qui devient également celui des prédateurs. Un homme les observe, il se fait appeler le Boss, il est envoyé par la Fifa. Son rôle, repérer les perles rares pour leur donner leur chance. Urbain et Ahmadou sont les deux chanceux: «Il y a beaucoup de bons joueurs au Cameroun, mais moi, je ne cherche que les diamants les plus rares. (...) Je pense que vous êtes de ces pierres exceptionnelles», leur assène l'agent sportif. Le gibier est ferré.
Pour les deux jeunes garçons, âgés respectivement de 16 et 17 ans, l'heure est au départ. Un problème subsiste cependant, réunir les fonds pour partir, car le périple est à leurs Frais. Ils doivent réunir 6000 euros chacun: «Mais c'est presque 10 ans de salaire pour un Camerounais, M'sieu», s'exclame Urbain. Un gouffre insurmontable. Mais c'est sans compter la solidarité camerounaise. Tout le village va se mobiliser pour réunir l'argent, à charge des deux jeunes de les rembourser quand ils intégreront un grand club. «Vous devez voir Urbain comme un investissement à court terme», explique l'agent au père dubitatif.
Savoir rebondir
Les deux jeunes partent avec des rêves plein la tête pour vivre un véritable cauchemar. Le Boss est un agent véreux qui n'hésitera pas à abandonner l'un et à trahir l'autre. Heureusement, malgré leurs rêves brisés, les deux utopistes sauront... rebondir.
Après Lip, des héros ordinaires, une BD reportage sur le soulèvement des salariés qui s'opposent au démantèlement de leur entreprise en 1973, le tandem Laurent Galandon et Damien Vidal revient sur la face cachée de la planète football. Le foot ici, n'est qu'un prétexte à charge sociale. Derrière les joueurs africains qui gagnent des millions, se jouent de nombreuses destinées bien plus tragiques.
Le personnage malhonnête que met en scène Laurent Galandon, le scénariste, véhicule l'image d'une Europe chimérique, alimentée par des personnes sans scrupule. Ces jeunes arrachés à leur pays par des marchands et briseurs de rêves, qui n'hésitent pas à arnaquer des familles qui ont à peine de quoi vivre, se laissent avant tout berner par ce miroir aux alouettes. Que le lecteur se rassure, Le Contrepied de Foé évite l'écueil du pathos. Les personnages sont forts et trouvent les ressources nécessaires pour se sortir de ce mauvais pas. La fin est même inattendue.
Outre les arcanes sombres du football, la fiction réaliste de Galandon et Vidal évoque avec justesse le quotidien d'un clandestin. Entre la peur d'être attrapé par la police, les affres de la faim et les nuits passées dehors, s'immisce la douleur de la honte chevillée au corps. Un sentiment qui empêche de retourner chez soi et qui fait accepter les pires conditions de vie. Sous la plume de Galandon et le crayon réaliste de Vidal, les personnages choisissent de ne pas jouer cette partie-là.