Personne n'aurait pronostiqué une victoire aussi cinglante des Lionnes du Cameroun pour leur premier match de coupe du monde. Les camerounais, qui savent qu'elles manquaient de moyens au cours de leur préparation, sont bluffés. Six buts, six leçons au Cameroun du foot.
LEÇON 1 : UN SELECTIONNEUR PEUT PROTEGER SON GROUPE
Sous ses airs policés, Enow Ngachu est un homme de caractère. Car, avec les errements de l'organisation autour des Lionnes, beaucoup de sélectionneurs à sa place auraient jeté l'éponge. On lui a d'ailleurs souvent reproché d'encourager l'amateurisme des dirigeants du foot camerounais en restant en poste dans de telles conditions. Même les railleries de certains de ses pairs qui ne comprenaient pas son acharnement à maintenir en vie une sélection ignorée et méprisée par les décideurs n'ont pas ébranlé sa détermination.
Au contraire, Enow Ngachu a souvent mis son carnet d'adresses et ses deniers personnels à contribution pour maintenir en jambes ses joueuses locales qui n'ont pas de championnat à disputer depuis deux saisons. Notre sélection nationale féminine est devenue un club singulier qui dispute un championnat spécial fait de matchs amicaux contre des clubs masculins de jeunes et de matchs éliminatoires aux compétitions internationales (jeux africains, jeux olympiques, CAN). Certaines joueuses professionnelles sont souvent venues aux regroupements sans l'accord de leurs clubs, mais ce sélectionneur a toujours su les convaincre de revenir, même lorsque leurs salaires suspendus en club n'étaient pas compensés.
A chacune des compétitions qu'elles ont disputées depuis plusieurs années, les Lionnes ont eu des problèmes de primes, mais malgré les incitations des médias, leur sélectionneur a toujours su les dissuader de se fendre en déclarations incendiaires, ce qui a préservé ce groupe de l'implosion ou des représailles des dirigeants du foot comme avec l'équipe masculine. Un sélectionneur peut donc obtenir des résultats en protégeant son groupe des nuisances d'un environnement malsain. Leçon de charisme d'un entraîneur camerounais.
LEÇON 2 : DES JOUEURS PEUVENT RECLAMER LEURS DROITS SANS COMMETTRE DE FAUTES PROFESSIONNELLES
Même au plus fort de leurs exigences sur les primes, les Lionnes n'ont pas cessé de s'entraîner. La domination physique qu'elles ont montrée face à l'Equateur témoigne de cette assiduité au travail. Les Lions Indomptables avaient cessé de s'entraîner pendant une dizaine de jours parce qu'ils réclamaient leurs primes avant le Mondial 2014. Ce fut une grosse faute professionnelle de leur part, que n'ont pas commise Christine Manie et ses coéquipières. Leçon de conscience professionnelle !
LEÇON 3 : LE CAMEROUN RESTE UNE RESERVE DE TALENTS
En regardant Gaëlle Enganamouit jouer contre l'Equateur, on pensait à Adalbert Mangamba, attaquant de génie des années 70/80 : décontraction, vista, efficacité. Gabrielle Aboudi Onguéné par sa vivacité et ses accélérations rappelait Salomon Olembé. Yvonne Leuko par sons sens du placement et sa justesse a ravivé le souvenir de Bertin Ebwellé. Cathy Bou Ndjouh avait la sobriété et l'engagement de Jules Denis Onana. Personne ne nous rappelle Théophile Abéga (Rip), Lauren Etamè Mayer ou François Doumbè Léa chez les Lions aujourd'hui. Il a donc fallu un match des Lionnes pour qu'on se souvienne que le Cameroun reste un vivier de talents purs. Leçon de savoir-faire.
LEÇON 4 : EN FOOT, LE CAMEROUN DOIT VOIR GRAND
Si nos Lionnes avaient pris en considération des propos du genre « il faut apprendre à perdre », ou « la coupe du monde c'est trop haut, il faut travailler pour essayer de gagner la CAN féminine 2016 au pays », elles n'auraient jamais infligé 6 buts à l'Equateur. Les apôtres de la médiocrité et du complexe d'infériorité auraient certainement conseillé à Enow Ngachu de défendre le premier but, et de ne plus prendre de risques offensifs qui seraient prétentieux. En Côte d'Ivoire lors des éliminatoires de la CAN 2015, les Lions (déjà qualifiés !) pouvaient gagner, mais les « reconstructeurs » les en ont dissuadés, et la Côte-d'Ivoire est allée remporter la CAN. Nos filles ont marqué le maximum de buts dans la perspective d'une qualification en 8ème de finale où la différence de buts peut compter. Leçon de force mentale.
LEÇON 5 : LE PLAISIR DE VOIR BRILLER SON PARTENAIRE
Aboudi Onguéné n'est probablement pas la préposée favorite à l'exécution des pénaltys chez nos Lionnes, mais ses coéquipières l'ont laissée tirer pour la récompenser de son grand match. Gaëlle Enganamouit non plus, mais ses coéquipières ont voulu qu'elle couronne son match époustouflant par un triplé. Chez les hommes, on a vu Benjamin Moukandjo refuser des passes à Assou Ekotto au Brésil. Samuel Eto'o s'était plaint que des coéquipiers lui refusaient de bons ballons exprès. Nos filles ont montré qu'elles soutiennent leurs coéquipières qui brillent, car c'est toute l'équipe qui en profite. Leçon d'intelligence et de solidarité.
LEÇON 6 : LA LONGEVITE EN SELECTION N'EST PAS UNE TARE
Beaucoup parmi ceux qui émettent des superlatifs sur la prestation des Lionnes face à l'Equateur ont toujours estimé que la longévité d'un joueur en sélection est néfaste. Idriss CarlosKameni, Samuel Eto'o, etc. ont été éjectés des Lions sans ménagement, parce qu'on leur reprochait de détenir un « titre foncier ». Si Enow Ngachu avait été perméable à ce discours simplet, nous n'aurions pas eu droit aux envolées d'Aboudi Onguéné ou au réalisme de Ngono Mani. Nos filles ont montré que la longévité peut générer cohésion et complicités, et seuls le talent et la performance comptent en sélection nationale. Leçon de clairvoyance.
Si vous pensez que nous nous enflammons pour une victoire en coupe du monde féminine contre une équipe sans galons, vous avez certainement raison. Car les Lionnes peuvent boire la tasse aux prochains matchs. Mais cela n'effacera plus jamais les 6 buts-leçons qui nous sont venus du Canada. Quoi qu'il advienne, nous réserverons un accueil triomphal à ces braves filles. Parce qu'elles ont vaincu la condescendance et l'irresponsabilité de nos décideurs.