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Le rêve brisé de 1008 jeunes footballeurs camerounais

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Sat, 23 Apr 2016 Source: cameroon-tribune.cm

Un peu plus d’un millier de jeunes footballeurs camerounais déçus ont été recensés par l’association foot solidaire dans la région parisienne en France depuis 2000.

Arnaques, illusions, mensonges… résument le lot de leurs parcours aussi singuliers les uns que les autres.

Ils sont footballeurs ou l’ont été et sont issus de familles très pauvres, moyennes voire très aisées. Dans leurs histoires communes, il y avait cette quête d’un meilleur ailleurs. Il y avait de la peur à des moments, l’envie de survivre, ce rêve de star, de footballeur professionnel bien payé.

Leur lien, c’est ce rêve brisé. Ils étaient prêts au combat. Ils ont connu une vie de vagabonds, dormi dans des aéroports, passé des nuits dans le froid hivernal rude. Franck Fouda Essomba, 27 ans aujourd’hui, est l’un des 1008 anciens joueurs ou joueurs camerounais suivis par l’association Foot solidaire. Son histoire, la voici.

En 2005, au détour d’une rencontre de football dans son quartier Mimboman à Yaoundé, il brille comme d’habitude devant des copains qui palissent de jalousie et l’adulent. Il est élève, veut poursuivre ses études. L’idée d’une carrière dans le foot n’a jamais effleuré son esprit. Mais, deux hommes changeront ses projets, dont l’un, le dénommé Salif, responsable d’une académie de football à l’époque.

Ses parents céderont. Un peu plus de 4 millions de F seront investis pour son départ vers l’Indonésie. Les transactions se feront avec un ancien Lion indomptable. L’arrivée à Jakarta sera froide. Personne à l’aéroport pour l’accueillir. Son compagnon, un cousin, et lui passeront la nuit à l’aéroport. Ils seront orientés par un responsable d’un restaurant vers un Camerounais évoluant à Persitraa, club de la capitale, Jakarta. Ils sont alors recueillis par un autre ancien Lion.

C’est le début de la galère. Il y avait des joueurs sans club qui s’entrainaient au cours d’un 2-0, décrit notre source, des terrains annexes dédié aux Camerounais. Une centaine s’y entraîne quotidiennement. Il y avait des gars meilleurs que moi.

J’ai pris davantage peur et m’entraînais dix fois plus, ajoute-t-il. On attend les tests. Sans succès. On vit de l’argent envoyé depuis le Cameroun. Je recevais 50 000 F tous les mois de mes parents. Pas de rentrées financières. Difficile de demander tout le temps quand on a des parents qui faisaient des sacrifices. Endettement, vie précaire… C’était très lourd. Une horreur.

On fournit plus d’efforts que les autres pour voir la lueur, l’espoir : celui de faire un test tout au moins. Les pseudos managers ne cherchent pas à savoir qui est bon ou pas. C’est la jungle. Je voulais qu’on me donne la chance de faire un test. J’ai eu cette chance. Mon ami et moi devions être les meilleurs parmi 60. Nous avons été retenus mais le manager a présenté d’autres personnes.

L’unique chance a été détruite par le contact. Il fallait rentrer. La loi du pays est rude. Un jour sans papiers, c’est 20 dollars d’amende (plus de 10000 F). Sa famille enverra un peu plus d’un million à verser au gouvernement indonésien pour qu’il soit rapatrié, en plus du billet d’avion. Son retour au Cameroun en 2006 marque la fin de tout. Ses parents prendront en charge son opération de l’épaule évaluée à 11 millions F en Indonésie.

La Chine, grosse galère

Après l’Indonésie, Franck Fouda Essomba ne veut plus poursuivre ses études. Il y a cet oncle, Ze Ondoa, qui le soutiendra moralement et financièrement. Il est prêt à tout pour voir son neveu réussir. Il subira finalement son opération financée par ses parents. La cicatrice, sur son épaule droite est là pour lui rappeler son périple. Des journées à s’entraîner et à jouer pour des club locaux.

Cintra de Yaoundé, Achille FC, TKC sans jamais signer un contrat, par prudence. Mais il y aura cette rencontre. Celle avec Cavour. Il s’en souvient comme si c’était hier. Il s’appelait Cavour. Il se déplaçait à moto et vendait des bijoux aux dames. Il était bien bâti, il avait les mots pour convaincre, raconte-t-il la voix rauque.

Cavour réussira à convaincre son oncle. Franck sent l’entourloupe mais il ne veut pas décevoir. Il était tellement professionnel. Il avait les vidéos, un préparateur physique pour nous suivre, une liste de clubs et d’autres joueurs, se souvient-il amèrement. Dans un groupe de quatre, il reprendra la route de la Chine avec Cavour, un visa d’un mois en poche. Destination, Guangzhou. Franck écorché, dépensera un peu plus d’un million de F.

L’un de ses compagnons de route a eu près de 10 millions F de dépenses, à leurs frais. Après deux semaines passées dans la ville sous le froid hivernal rude en 2008 à quelques mois des J.O., ils doivent survivre. Les fonds de Franck s’épuiseront (300 euros, près de 200 000F).Il empruntera 200 euros (près de 140 000F) auprès d’un compagnon.

L’argent devait être remboursé quand j’allais signer mon contrat. Sauf que le temps passait il n’y avait pas de tests. Mais Cavour les rassurait en réalisant des interviews d’eux, prenant des vidéos…Cavour disparaîtra avec un compagnon de route deux jours avant l’expiration des visas. Ils passeront six mois sans papier en terre chinois à vivre dangereusement.

Proposition indécente en Norvège

On l’appellera Annick. Il veut que cet épisode soit effacé de sa vie. A Yaoundé, il était doué d’après des voisins au quartier Mvog-Betsi lieu-dit dispensaire. Après des contacts, 3 millions de F dépensés par sa sœur aînée, Franck, 17 ans, réussit à se rendre aux Philippines. J’y ai pensé quatre années d’enfer. Je n’avais pas de club. Pas de maison.

Ma sœur ne pouvait plus m’envoyer de l’argent parce que j’avais été lâché par mon agent. J’étais le petit ami d’une dame plus âgée, propriétaire d’un restaurant, résume-t-il. Il écumera des stades d’un quartier de la ville de Makati. Il fera la connaissance d’un compatriote qui reconnaîtra son talent. Il m’a mis en contact avec un club norvégien.

Je voyais ma vie changée, raconte-il. Dans la foulée, Franck doit se rendre en Norvège. Tout a été pris en charge par son contact. Je suis arrivée en Norvège, j’avais gîte, couvert argent de poche. J’ai enfin passé un test. Je devais débuter avec un club célèbre de deuxième division, poursuit-il. Franck s’est réjoui un peu tôt. Pour entrer dans le club, il fallait entretenir un rapport sexuel avec le contact. Un homme, âgé, pas bien foutu. Je l’ai regardé…J’ai pleuré, j’ai demandé à mon agent s’il n’y avait pas une autre solution. Il m’a dit non, c’est la seule.

J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, supplié. Il m’a dit Niet. J’ai demandé à réfléchir. J’ai appelé ma mère qui m’a dit de tout stopper, raconte-il la voix enrouée. Son rêve si proche, s’est éteint. Il a tout perdu. Et s’est contenté de petits boulots jusqu’à son retour en 2013 au Cameroun. Il est aujourd’hui agent de change à la criée.

D’après des informations, les abus sont de plusieurs types. On va de l’abandon en cas d’échec sportif, à la pratique des essais à durée indéterminée, à la fausse promesse de recrutement, en passant par l’exploitation économique (contrats abusifs ou absence de contrat), le maintien dans une situation de dépendance (rétention du salaire, confiscation des documents de voyage, menaces, intimidation)…Mais, le foot que l’on voit à la télé, c’est la fin d’un long périple. Ce périple rassemblé au cours de ces histoires.

Source: cameroon-tribune.cm